La finance verte au chevet de la planète

Les effets néfastes du dérèglement climatique poussent les institutions financières publiques et privées à orienter leurs investissements vers les entreprises les plus vertueuses. Bpifrance a par exemple mis le climat au centre de son action et veut aider les patrons à devenir militants de cette cause. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°6 Octobre 2021)
(Crédits : Istock)

La finance verte a le vent en poupe. Ce concept récent rassemble « l'ensemble des opérations financières ayant pour finalité de favoriser la transition énergétique et de lutter contre le réchauffement climatique » selon Novethic, filiale du Groupe Caisse des Dépôts spécialiste de la finance durable. Elle est composée de fonds d'investissement verts qui favorisent les critères environnementaux, et de Green Bonds, des obligations émises pour financer les initiatives encourageant la transition énergétique. Le Grand Paris Express, par exemple, a bénéficié d'un montant record de 6 milliards d'euros en Green Bonds émis par la Société du Grand Paris. Cette finance verte, appelée aussi à impact, a pour objectif d'ajouter aux critères financiers classiques (chiffre d'affaires, rentabilité, EBITDA) des principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Une sorte de capitalisme nouvelle génération qui aurait enfin pris la mesure du défi climatique et modifié son logiciel fondé sur une croissance infinie nourrie de l'exploitation sans limite des ressources naturelles. « Au xixe siècle, les machines exploitaient la planète pour générer du profit. Cela a bien fonctionné durant un siècle. La nouvelle révolution est environnementale. C'est un défi qui demande de nous réinventer totalement et la France a les atouts pour jouer son rôle » estimait ainsi Bruno Le Maire lors du Forum « Partageons l'économie » organisé par La Tribune. La pression citoyenne et l'action des ONG poussent pouvoirs publics et investisseurs privés à modifier l'allocation de leurs ressources financières pour les diriger vers une économie plus durable et plus résiliente. Ce qui passe par une modification de l'arsenal réglementaire. L'Union européenne a édicté la taxonomie verte, une classification standardisée pour évaluer la durabilité de 70 activités économiques représentant 93 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) et qui devrait entrer en vigueur en 2022. Les entreprises devront alors publier les informations concernant leur bilan carbone sur leur site. Mais ces critères de reporting extra-financiers ne sont pas pareils en Europe et aux États-Unis, et une harmonisation de la réglementation sera nécessaire pour être efficace.

Un prix pour les externalités négatives

En France, les régulateurs comme l'AMF (Autorité des marchés financiers) et l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) ont pris les choses en main et ont lancé une commission climat et finance durable ainsi qu'une évaluation des engagements des acteurs financiers. Côté entreprises, les choses commencent doucement à bouger. Axa France a mis en place depuis 2010 une politique d'investissement responsable qui repose sur l'intégration de facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). « Nous avons pris l'engagement d'investir 25 milliards d'euros pour le climat et nous finançons des projets de transition » expliquait Bertrand Poupart-Lafarge, Chief Financial Officer d'Axa, lors du Forum RSE de La Tribune. Les fonds d'investissement, eux, peuvent modifier leurs pratiques pour favoriser une finance à impact qui cherche à limiter les « externalités négatives », lorsque la production ou la consommation d'un bien ou d'un service nuit à une tierce partie. Mais il faudra alors mettre un prix sur ces externalités négatives, comme le proposait dès 1972 le rapport du Club de Rome, Les Limites à la croissance, dit rapport Meadows. Cette révolution verte de l'univers financier n'est pas exempte de greenwashing et ne fait pas l'unanimité chez les économistes. Hélène Tordjman, maîtresse de conférences en économie à l'université de Sorbonne Paris-Nord, estime dans son livre La croissance verte contre la nature (éd. La Découverte, 2021) que les promoteurs de la finance verte s'attachent plutôt à sauvegarder le modèle industriel qui est la cause de la catastrophe en cours. Les ONG, elles, alertent sur une augmentation massive des financements aux énergies fossiles en 2020, dont 100 milliards d'euros investis par les grandes banques françaises, à rebours de leurs déclarations en faveur d'une finance à impact. Reclaim Finance a diffusé récemment son Scan de la Finance Fossile, un outil d'évaluation des politiques pétrole et gaz des acteurs financiers français qui vise « à donner les moyens de comprendre ce qui se passe derrière les grands discours des établissements financiers » selon l'ONG. Heureusement, les choses avancent. Patricia Crifo, professeur à l'École Polytechnique et chercheuse au CREST, rappelle que l'investissement socialement responsable représentait 1 % des actifs investis sur les marchés financiers en 2007 contre 20 % aujourd'hui.

Le plan climat de Bpifrance

Le gouvernement français a décidé de consacrer 30 des 100 milliards d'euros du plan de relance à la transition écologique. Bpifrance, bras armé de l'État pour le financement des entreprises, a lancé avec la banque des Territoires un Plan Climat de près de 40 milliards d'euros pour la période 2020/2024, dont la moitié est consacrée aux entreprises, principalement les ETI et PME. Son objectif : encourager la transition écologique et énergétique (TEE) des entreprises et des territoires avec des solutions d'accompagnement et de financement. « Nous allons déployer 1,5 milliard d'euros de prêts verts mais notre rôle va au-delà. Nous devons faire plus que donner de l'argent car cette transformation des entreprises exige plus que le simple apport en capital » estime Anne Guérin, directrice exécutive en charge du Financement et du Réseau chez Bpifrance qui porte ce Plan Climat. Ces prêts verts à taux préférentiel vont de 50 000 euros à 5 millions d'euros et sont sans garantie, ni sur les actifs de l'entreprise, ni sur le patrimoine du dirigeant. Leur durée est de 2 à 10 ans, avec 2 ans de différé (la société ne rembourse que les intérêts pendant cette période). La banque publique d'investissement veut embarquer les patrons d'ETI et de PME dans cette aventure avec son slogan « Climat cherche patrons militants » et la création de la communauté du Coq Vert, qui regroupe les entreprises engagées dans la transition écologique et propose à ses membres de favoriser les échanges de bonnes pratiques. Une communauté forte de 400 membres et 60 éclaireurs qui viennent présenter à leurs pairs leurs actions concrètes. « Tous ces chefs d'entreprise qui ont débuté leur TEE grandissent ensemble grâce à des formations, des webinaires et des échanges », décrit Anne Guérin. En plus des diagnostics environnementaux proposés par Bpifrance, un accélérateur dédié à la filière de la transition énergétique, en partenariat avec l'ADEME, existe depuis 2019 et a pour vocation de prodiguer à une trentaine d'entreprises un accompagnement sur mesure. La directrice exécutive en charge du Financement chez Bpifrance reconnaît néanmoins que les objectifs fixés par la COP21 (maintenir la hausse des températures sous la barre des 1,5 °C d'ici à 2100) seront difficiles à tenir. Mais elle reste optimiste : « Tout le monde va se mettre en chemin. Quel que soit le sujet abordé avec nos clients - innovation, financement, export -, nous leur parlons systématiquement d'environnement. Et ce discours est très bien reçu ». Anne Guérin croit aussi au pouvoir de l'innovation, comme ces panneaux qui protègent les plantes de l'augmentation des températures tout en produisant de l'électricité grâce à des panneaux photovoltaïques. Un procédé mêlant mécanique, datas et intelligence artificielle unique au monde inventé par la start-up Ombrea soutenue depuis ses débuts en 2016 par Bpifrance. « Réaliser sa TEE est une question de survie pour les entreprises : demain, plus personne ne pourra vendre des produits non verts. Et les jeunes sont de plus en plus exigeants vis-à-vis de leur employeur » conclut Anne Guérin.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°6 - PLANETE MON AMOUR - Réparons les dégâts ! Octobre  2021 - Découvrez la version papier

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