"Restez chez vous ! Vous ne pouvez pas rester sur cette zone !" L'ordre est prononcé par une voix de synthèse, émise depuis plusieurs mètres de hauteur au-dessus des têtes. Elle ordonne aux passants de ne pas rester dans les rues lors du confinement depuis... un drone. Cette scène, filmée fin mars près de la Pyramide du Louvre à Paris, a largement été relayée sur les réseaux sociaux. Inimaginable en France il y a quelques mois, l'opération est pourtant loin d'être un cas isolé. Et pour cause.
Depuis le début de la crise sanitaire, la police et gendarmerie française recourent à ces engins volants, équipés d'un haut-parleur, dans de nombreuses villes du territoire (Paris, Nice, Ajaccio, Metz, Limoges, Nantes, Montpellier, Rennes...). Les drones ont ainsi été déployés en France entre le 24 mars et le 24 avril "dans le cadre de 535 missions réalisées par la police nationale, dont 251 missions de surveillance et 284 missions d'information de la population", selon un rapport de la commission des lois du Sénat publié fin avril.
Le but affiché : surveiller le respect des mesures de confinement et de déconfinement. L'entreprise Flying eye, qui loue ses drones à la police de Paris, vante ainsi les mérites de cette utilisation d'engins sur son site Internet : "Les drones sont rapidement devenus une technologie vitale pour les agences de sécurité publique pendant cette crise, car ils peuvent surveiller les espaces publics en toute sécurité, diffuser des messages sur des haut-parleurs, repérer des activités dangereuses, désinfecter de grandes surfaces, créer des cartes 2D et 3D des futurs sites de test (...) - le tout à une distance de sécurité."
La vie privée en danger, selon le Conseil d'Etat
Mais le Conseil d'Etat est loin d'être de cet avis. Il a ordonné lundi aux pouvoirs publics de suspendre "sans délai" l'utilisation dans la capitale de drones chargés de surveiller le respect des consignes de la phase de déconfinement. En cause : l'absence de cadre légal précis pour le déploiement de tels dispositifs, entraînant une atteinte grave au respect du droit de la vie privée des citoyens. "L'usage de drones survolant l'espace public, hors de tout cadre juridique, associé à un dispositif de captation d'images, constitue un traitement de données à caractère personnel illicite", peut-on lire dans la décision de la plus haute juridiction administrative française rendue lundi.
Etant donné que les appareils permettent de zoomer et donc, d'identifier potentiellement des citoyens, le Conseil d'Etat a estimé qu'il s'agissait d'une "ingérence grave et manifestement illégale dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et du droit à la protection des données personnelle."
Le recours en urgence avait été déposé par deux associations, La Quadrature du Net et à la Ligue des droits de l'homme (LDH). Selon Patrice Spinosi, avocat de la LDH, l'ordonnance est généralisable à l'ensemble de la France, rapporte Franceinfo.
"Depuis le début du confinement et un peu partout en France, la police prétend se faire assister de drones pour lutter contre les infractions. Pourtant, puisqu'ils sont déployés en l'absence de tout cadre légal spécifique et adapté, ce sont eux qui violent la loi et nos libertés", justifiait début mai dans un communiqué de presse La Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet.
Sujets les + commentés