La reconnaissance faciale transforme déjà notre quotidien

Déverrouiller son smartphone, prendre l'avion ou encore ouvrir un compte bancaire... Autant d'actions qui peuvent désormais faire appel à un système de reconnaissance faciale en France. La Tribune dresse le panorama des expérimentations déjà réalisées dans l'Hexagone autour de cette technologie très controversée.
Anaïs Cherif
Les Français sont déjà confrontés au quotidien à la reconnaissance faciale.
Les Français sont déjà confrontés au quotidien à la reconnaissance faciale. (Crédits : Reuters)

La reconnaissance faciale, longtemps restée cantonnée aux films de science-fiction, est devenue une réalité en quelques années, y compris en France. Dernière annonce en date : Cédric O, secrétaire d'Etat au Numérique, a récemment appelé à ouvrir une expérimentation de cette technologie en temps réel sur les images de vidéosurveillance.

Un marché estimé à 4,5 milliards d'euros en 2019

Grâce à l'intelligence artificielle, la reconnaissance faciale permet l'identification d'une personne à partir de son visage ou de vérifier qu'elle est ce qu'elle prétend être (on parle alors d'authentification). La reconnaissance faciale est capable d'analyser les traits du visage, mais aussi des données biométriques, comme les yeux, et de les comparer si besoin à des photos ou des vidéos.

Cette technologie controversée soulève de nombreuses craintes parmi ses opposants, qui craignent des atteintes à la protection des données et aux libertés individuelles avec des soupçons de surveillance généralisée. Pour ses défenseurs, la reconnaissance faciale permet des authentifications fiables, rapides et sécurisées pour lutter contre tous types de fraudes.

Le marché de la reconnaissance faciale était estimé à 5,07 milliards de dollars dans le monde en 2019 (4,55 milliards d'euros), et il devrait dépasser les 10 milliards en 2025 (9 milliards d'euros), selon une étude du cabinet d'analyse Mordor Intelligence. Cette technologie s'est déjà largement imposée dans certains pays, comme la Chine. En France, elle est juridiquement encadrée par la loi Informatique et liberté du 6 janvier 1978 et par le fameux RGPD européen (Règlement général sur la protection des données) entré en vigueur en mai 2018.

Par principe, l'utilisation de cette technologie est interdite. Mais de nombreuses exceptions existent, à commencer par l'obtention explicite du consentement. Les expérimentations se développent donc tous azimuts, en dépit des appels à moratoire lancés par la société civile, la Commission nationale Informatique et Libertés (Cnil) et certains élus. Tour d'horizon des usages déjà réels ou en projet de la reconnaissance faciale.

| Lire aussi : Reconnaissance faciale : la France bascule-t-elle sur un terrain glissant ?

■ Déverrouiller son smartphone

Cela peut désormais paraître anodin, mais déverrouiller son smartphone à l'aide de votre visage nécessite le recours à la reconnaissance faciale 3D. Ce système de déverrouillage est en train de se développer, sous l'impulsion d'Apple. La firme de Cupertino a intégré à ses produits un système de reconnaissance faciale, baptisée "Face ID", depuis 2017 à partir de l'iPhone X. "En France, l'authentification faciale 3D est principalement utilisée par Apple pour l'instant. Il existe d'autres smartphones (Oppo Find X ou Xiaomi Mi8) qui y recourent, mais ils ne sont pas vendus sur le marché français", précise Ville-Petteri Ukonaho, directeur associé au cabinet d'études Strategy Analytics.

"Pour 2018, nous avons dénombré environ 2 millions de smartphones équipés de reconnaissance faciale 3D en France, et cela devrait atteindre plus de 3 millions pour 2019. En 2020, nous nous attendons à ce que d'autres fournisseurs adoptent également l'authentification faciale 3D, de sorte que les volumes augmentent", anticipe Ville-Petteri Ukonaho.

Concernant la reconnaissance faciale 2D, qui permet l'authentification à partir d'une simple photo, "elle est beaucoup plus courante et moins sécurisée", affirme l'analyste. "Nous estimons qu'environ 13 millions de smartphones vendus en France en 2018 en sont équipés."

■ Accéder aux services publics en ligne

Le ministère de l'Intérieur et l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) développent l'application Alicem (pour Authentification en ligne certifiée sur mobile). Elle permettra aux utilisateurs qui le souhaitent de s'identifier sur smartphone via un système de reconnaissance faciale pour accéder aux services publics en ligne. Le but : sécuriser les échanges sur Internet, selon le ministère.

Concrètement, les utilisateurs devront être dotés d'un passeport biométrique, délivré après juin 2009, et équipé d'une puce sécurisée. Pour se connecter, l'utilisateur devra scanner et lire la puce de son passeport et procéder à la reconnaissance faciale. Cette dernière étape passe par la prise d'une petite vidéo, où plusieurs actions doivent être réalisées (cligner des yeux, tourner la tête de gauche à droite...)

"L'authentification par reconnaissance faciale ne s'effectue qu'une seule fois, le jour où l'application est installée sur smartphone", précise Jérôme Letier, directeur de l'ANTS. "La photo du passeport et le flux vidéo sont envoyés sur les serveurs de l'ANTS pour être comparés. Une fois la vérification effectuée, toutes les données biométriques sont effacées dans les secondes qui suivent", insiste Jérôme Letier, face aux nombreuses inquiétudes soulevées par le déploiement de cette application.

Dans une interview accordée au Parisien fin décembre, Cédric O affirmait n'être "pas certain" qu'Alicem soit un jour déployé sous cette forme. Interrogé sur la mise en service de l'application, Jérôme Letier exlique :

"Alicem est en phase de test depuis juin 2019 sur quelques centaines d'utilisateurs volontaires. Finaliser l'application est notre priorité actuelle pour pouvoir la mettre en service début 2020, si l'autorité politique donne son feu vert."

■ Authentifier les passagers dans les aéroports

Les aéroports à Orly et Roissy-Charles-de-Gaulle ont installé des sas équipés d'un système de reconnaissance faciale depuis l'été 2018 pour tous les voyageurs majeurs, titulaires d'un passeport biométrique et ressortissants de l'Union européenne, de la Suisse, de l'Islande, de la Norvège ou du Liechtenstein. Environ 45% des passagers des aéroports parisiens sont éligibles à ce nouveau système de reconnaissance faciale, contre seulement 10% des usagers pouvant emprunter les sas de reconnaissance digitale.

L'idée est de fluidifier les contrôles aux frontières, au regard de la croissance du nombre de passagers et des menaces terroristes qui pèsent sur le transport aérien. Le voyageur doit scanner son passeport et attendre quelques secondes qu'une première porte s'ouvre. Une fois dans le sas, une caméra scanne le visage et le compare avec la photo du passeport, avant d'actionner l'ouverture de la deuxième porte. Temps total du processus, entre 10 à 15 secondes par passage. Des dispositifs similaires sont également déployés à la Gare du Nord, à Paris, pour prendre l'Eurostar.

Lire aussi : Aéroports : comment la reconnaissance faciale et le big data vont limiter les files d'attente

■ Ouvrir un compte bancaire

Depuis 2018, la Société Générale permet d'ouvrir un compte à distance via reconnaissance faciale, grâce à la technologie du français Idemia. L'authentification en ligne était suivie dans la foulée par un tchat vidéo avec un conseiller.

"Depuis octobre 2019, nous avons fait évolué le dispositif pour remplacer la visio par un selfie dynamique (ndlr : qui consiste à réaliser un autoportrait sous différents angles pour permettre la captation des données biométriques). Cela nous permet d'industrialiser le processus, qui repose moins sur la disponibilité des conseillers", justifie Grégoire Dupiellet, responsable marketing digital à la Société Générale.

La Société Générale, qui ne communique pas de chiffres, se contente d'affirmer que ce nouveau dispositif est "deux fois plus utilisé" que le précédent.

L'utilisation de la reconnaissance faciale dans le secteur de la banque n'en est qu'à ses débuts puisque la directive européenne DSP2 pourrait favoriser de nouveaux usages. Entrée en vigueur en janvier 2018 pour réduire la fraude dans l'e-commerce, elle impose de renforcer l'authentification pour les paiements en ligne supérieurs à 30 euros, en recourant notamment aux données biométriques comme le visage ou l'empreinte digitale. En France, les banques ont jusqu'à la fin de l'année pour s'y conformer.

Au-delà des opérations en ligne, la banque de détail espagnole, CaixaBank, permet depuis février 2019 aux clients qui le souhaitent de s'authentifier par reconnaissance faciale dans ses distributeurs automatiques de billets pour retirer de l'argent. Cette initiative était présentée comme une "première mondiale".

■ Se rendre à un événement sans billet

Exit les QR codes et les invitations à imprimer pour se rendre à un événement culturel ou sportif. Votre ticket, c'est votre visage. C'est l'expérimentation menée à Paris le 18 avril dernier, lors du Sommet européen de l'intelligence artificielle, et déployée par l'entreprise française Artefact. Un système de reconnaissance faciale a été mis en place à l'entrée du Palais de Tokyo pour un accès sans billet.

Sur la base du volontariat, les visiteurs pouvaient s'inscrire en envoyant au préalable une photo afin d'être reconnu une fois sur place. "Nous avons développé une application mobile qui filmait les visiteurs pour les reconnaître en temps réel", détaille Philippe Rolet, cofondateur et directeur de la technologie chez Artefact. Sur 2.000 visiteurs attendus, "environ la moitié des personnes se sont portées bénévoles", chiffre le cofondateur.

Recourir à la reconnaissance faciale pour remplacer un billet, l'idée commence à faire son bout de chemin. Les Jeux Olympiques de 2020, qui se dérouleront à Tokyo cet été, vont déployer pour la première fois de la reconnaissance faciale pour le système de contrôle d'accès sur l'ensemble des quelques 300.000 athlètes, journalistes, bénévoles et organisateurs.

Anaïs Cherif

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Commentaires 9
à écrit le 17/01/2020 à 22:22
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Cet technologie ( pour les particuliers) n’est pas trop au point : ça fonctionne une fois sur 10 , les médias en font trop ...

à écrit le 16/01/2020 à 14:36
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Facile il suffit de porter une casquette ou autre emetteur avec des diodes infrarouge pour eclairage nocturne (pile de 9 volts) pour saturer les CCD des cameras de surveillance et rendre inoperante cette technologie

à écrit le 16/01/2020 à 10:36
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Cantonnée aux films de Science-fiction !!! Sors de ton douar, Anaïs ! Dès 1998, chez IBM-France, on faisait de la reconnaissance faciale avec des ZISC's (Zero-Instruction-Set-Computer) basés sur des réseaux de cellules neuronales. Mais IBM n'a pas po...

à écrit le 16/01/2020 à 2:35
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"Par principe, l'utilisation de cette technologie est interdite !" Je n'ai pas de smartphone, je ne prends pas l'avion, vous ne me verrez jamais dans un stade de peste mondialisé (foot). Quant à Cédric O, il a été interviewé dernièrement. Si j'ai ...

à écrit le 15/01/2020 à 16:26
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le problème de ces technologies est dans le choix que nous avons de refuser! Et il semble que l'administration comme la présidence du pays étant entre les mains de ceux qui fabriquent ces technologies, disons qu'il suffit d'un peu de lobbying pour r...

à écrit le 15/01/2020 à 13:58
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Alors, en ce monde à trop de gosses faits sans aucun discernement, tous malsains et mal bougés en viles villes au final (pire qu'autour de l'Acropole en Grèce..., la première supposée ville des temps anciens, mais vite en manque d'eau par oublie de f...

à écrit le 15/01/2020 à 12:14
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Suis je le seul à trouver les applications de la technologie d'un intérêt complètement dérisoire? Les risques (désocialisation, contrôle des déplacements et des comportements, erreur et usurpation d'identité) me semblent incomparablement plus importa...

le 15/01/2020 à 15:22
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Le but final est de contrôler l'ensemble de la population comme en Chine ou en Inde sous couvert de terrorisme, bien sur.

à écrit le 15/01/2020 à 11:40
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Il faudrait nous dire où en sont les américains de leur rejet de ce système et voir quels sont les arguments qui forcément doivent aller en évoluant, bien plus important que de nous faire le récapitulatif des secteurs envahis par les marchands.

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