Course à l'IA : Google met les bouchées doubles pour rattraper son retard sur OpenAI et Microsoft

Champion de l'intelligence artificielle, Google n'a pas réussi à suivre la vague d'innovations lancée par OpenAI et Microsoft depuis la sortie de ChatGPT fin 2022. Pour rattraper son retard, le géant de la tech a donc décidé de fusionner ses deux laboratoires de recherches en IA, Google Brain et DeepMind, au sein d'une même méga-division. Décryptage.
François Manens
Google décide d'accélérer dans l'intelligence artificielle.
Google décide d'accélérer dans l'intelligence artificielle. (Crédits : ANNEGRET HILSE)

Pour rattraper l'avance prise par le duo OpenAI/Microsoft dans l'intelligence artificielle, Alphabet a décidé de fusionner ses deux divisions de recherche, DeepMind (basé au Royaume-Unis) et Google Brain (basé en Californie). Le nom de son nouveau navire amiral ? Google DeepMind. Mais sous l'apparence d'une simple restructuration opérationnelle se trouve un changement profond du fonctionnement interne de l'entreprise.

Et pour cause : DeepMind, ancien concurrent d'OpenAI racheté en 2014 par Google pour 400 millions de livres -un peu moins de 500 millions d'euros à l'époque- avait jusqu'ici maintenu une certaine indépendance vis-à-vis de la maison-mère. Cette situation a d'ailleurs créé son lot de tension au cours des années, Google exigeant un meilleur retour sur son investissement. Mais la crise interne déclenchée par le déploiement de ChatGPT et l'offensive de Microsoft sur le marché des moteurs de recherche a poussé le groupe à casser de force la digue entre ses deux divisions d'intelligence artificielle.

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Google bousculé par Microsoft

Si Google n'est pas encore entré dans le détail de la fusion, il a précisé qu'il combinera les deux effectifs de Brain (environ 3,500 employés) et DeepMind (environ 1,200 employés) en une seule équipe, sans licenciement. Demis Hassabis, pointure de l'IA et cofondateur de DeepMind dont il était resté CEO, va prendre la direction de Google DeepMind. Jeff Dean, le chef de Google Research en charge de Brain, va quant à lui monter d'un cran dans l'organisation du groupe et devenir directeur scientifique. Il aura à charge d'ébaucher la stratégie de Google dans l'IA, et de diriger les projets les plus critiques. « Combiner tout ce talent dans une seule équipe, appuyée par les ressources informatiques de Google [numéro 3 mondial du marché du cloud, ndlr], va accélérer significativement nos progrès en IA », s'enthousiasme dans un communiqué Sundar Pichai, le CEO de Google.

Le dirigeant a plusieurs fois exprimé sa frustration vis-à-vis de la récente séquence sur l'intelligence artificielle générative lancée par ChatGPT fin 2022, dans laquelle il apparaît dépassé par OpenAI et Microsoft. Pourtant, l'entreprise a placé dès 2016 l'intelligence artificielle au centre de ses priorités, avec un certain succès. Par exemple, le « transformer », le type de modèle de machine learning utilisé pour la création des grands modèles de langage comme GPT-4, est sorti des laboratoires de Google Brain en 2017. Mais là où OpenAI est très vite passé à l'intégration de sa technologie dans des produits grand public comme ChatGPT, Google l'a gardé dans les laboratoires. Et aujourd'hui, il invoque des précautions pour expliquer ses retards de déploiements sur son concurrent.

Autrement dit, Google semble systématiquement battu sur le marché, alors qu'il n'avait pas vraiment de retard dans les laboratoires. Les batailles perdues s'accumulent : le chatbot Bard a été annoncé trois mois après ChatGPT et n'est toujours pas déployé à grande échelle ; la présentation du modèle de langage PaLM a rapidement été éclipsée par les performances de GPT-4 ; ou encore, l'intégration de fonctionnalités d'IA dans la suite de bureautique Google Workspace a rapidement été contré par Microsoft Copilot. Pire, en intégrant des modules d'IA à Bing, Microsoft a réussi à bousculer Google sur son cœur de business, le moteur de recherche.

Google Brain et DeepMind, la fusion de deux rivaux

Au jeu des annonces, Google perd les batailles, mais il n'en reste pas moins très proche de Microsoft. C'est pourquoi l'entreprise a décidé de concentrer ses efforts : ses deux divisions d'IA étaient séparées, alors même que leurs sujets de recherche pouvaient se chevaucher...  Fin mars, The Information rapportait déjà la mise en place d'un projet commun entre les ingénieurs de Google Brain et ceux de DeepMind. Il portait sur le développement d'un logiciel d'IA générative nommé Gemini, censé rivaliser avec les outils d'OpenAI. Mais avec la fusion, Google s'expose à un choc culturel entre ses deux divisions, comme le relève dans le Wall Street Journal Christopher Manning, directeur du laboratoire d'intelligence artificielle de Stanford. Et pour cause : historiquement, les deux divisions de recherche d'Alphabet ont connu de nombreuses vagues de tensions.

D'un côté, Google Brain a toujours eu des objectifs clairs de recherche appliquée. Ses avancées sur les réseaux neuronaux ou sur la reconnaissance d'image devaient se traduire en amélioration dans les produits du groupe. Considérée comme une des meilleures divisions de R&D du monde, Brain a fait de Google un leader de l'intelligence artificielle.

De l'autre côté, DeepMind avait des objectifs de recherche fondamentale. A l'instar d'OpenAI, a dès ses débuts en 2010 recruté des pointures de l'IA, dans le but de créer à long terme une intelligence artificielle générale, c'est-à-dire une IA capable de reproduire le raisonnement d'un cerveau humain. Et tout comme son concurrent, DeepMind avait inscrit dans son ADN l'importance de l'ouverture de sa recherche. En conséquence, les chercheurs ont publié la majorité de leurs travaux en open source (sans faire payer), et le laboratoire s'est rapidement illustré par des prouesses technologiques très médiatisées. Il a notamment créé une IA capable de battre le champion du monde de jeu de Go, une autre capable de battre les meilleurs joueurs du jeu vidéo Starcraft 2, ou encore une IA capable de prédire avec une précision inégalée le repliement des protéines.

Fin de l'indépendance pour DeepMind ?

Le problème ? Les modèles de DeepMind, bien que très performants, n'ont pas de modèle économique évident. Ils ont été développés dans la cadre de la recherche fondamentale, mais leur transformation en produit commercial exige des ajustements parfois lourds. L'apport financier de DeepMind à sa maison-mère est donc difficile à chiffrer : grâce à sa filiale britannique, Google aurait par exemple diminué la facture liée au refroidissement de ses data centers de 40%, amélioré les performances de Google Traduction, ou encore optimisé l'utilisation de la batterie des smartphones sous Android. Mais DeepMind n'en reste pas moins une machine très onéreuse -avec plus de 700 millions de dollars de masse salariale annuelle-, dont le chiffre d'affaires (1,4 milliards de livres en 2021 soit 1,75 milliards de dollars) est quasi-intégralement issu de la vente de licence... à Google.

Conscient de cette situation, DeepMind continuait en 2021 de demander plus d'indépendance vis-à-vis de sa société-mère, et exigeait même la constitution d'une structure à but non-lucratif. Il expliquait que la puissance de l'IA ne devait pas être contrôlée par une seule entreprise, et exprimait la crainte de se détourner de son but originel : la création d'une intelligence artificielle générale. Mais Google a refusé ces demandes, toujours en rappelant ses objectifs économiques.

Ironiquement, OpenAI a fait le chemin inverse en 2019, en créant une structure à but lucratif, afin de valider les premiers investissements de Microsoft. Et c'est la nouvelle stratégie qui en a découlé, plus orientée vers les produits, qui a mené au déploiement de ChatGPT... Désormais, Google va donc pouvoir concentrer la majorité de ses efforts sur la recherche appliquée. Suffisant pour rattraper Microsoft et OpenAI ?

François Manens

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Commentaire 1
à écrit le 23/04/2023 à 20:06
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Ca ne donnera rien avant d'avoir une avancé avec un génie ou cerveau non artificiel comme celui d'Einstein, payer des millions d'euros aux USA des cerveaux talentueux mais sans aucun caractère rare ou exceptionnel n'aboutira que sur des effets d'anno...

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