Les "big tech" et l'environnement : peuvent mieux faire !

Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) se posent en grands défenseurs de l'environnement et affichent des objectifs très ambitieux. Mais le compte n'y est pas. En partie responsables de l'impact carbone du numérique, ces mastodontes tentent surtout de minimiser les dégâts en agissant sur leurs activités directes, comme leurs data centers. Le reste de la chaîne de valeur, des sous-traitants aux consommateurs, est souvent ignoré.
Anaïs Cherif
Le numérique serait, à lui seul, responsable de 3,8% des émissions de gaz à effet de serre et de 5,5% de la consommation d'électricité mondiale, selon une étude GreenIT.fr.
Le numérique serait, à lui seul, responsable de 3,8% des émissions de gaz à effet de serre et de 5,5% de la consommation d'électricité mondiale, selon une étude GreenIT.fr. (Crédits : CC0 Public Domain)

Recourir massivement aux énergies renouvelables, atteindre une empreinte carbone neutre - voire négative... Les géants de la tech ne lésinent pas sur les grandes promesses vertes. Il faut dire qu'il y a beaucoup à faire : l'empreinte environnementale du numérique dans le monde en 2019 "représentait un 7ème continent d'une taille de 2 à 5 fois celle de la France", d'après Frédéric Bordage, le fondateur de GreenIT, qui regroupe les acteurs français de l'informatique durable.

Le numérique serait, entre autres, responsable de 3,8% des émissions de gaz à effet de serre et de 5,5% de la consommation d'électricité mondiale. Et cet impact ne fait qu'augmenter au fur et à mesure de la digitalisation de l'économie et de la généralisation des nouveaux usages numériques. Netflix engloutit par exemple à lui seul 25% de la bande-passante en France et 15% dans le monde. Autre signal d'alarme : la croissance du nombre d'objets connectés, encore à ses prémices, est exponentielle. On en dénombrait 1 milliard en 2010, quand leur nombre est estimé à 48 milliards en 2025 ! Autrement dit et contrairement aux idées reçues, le numérique est un désastre environnemental et les géants du Net, qui dominent cette économie, en sont partiellement responsables.

Lire aussi : Comment le numérique pollue dans l'indifférence générale

Multiplication des promesses vertes sous la pression des consommateurs

Sous forte pression, ils multiplient donc les engagements pour réduire cet impact. Le dernier en date vient de Jeff Bezos. Le patron d'Amazon et homme le plus riche du monde, a annoncé mi-février la création d'un fonds "pour la Terre" doté de 10 milliards de dollars. Son but : financer "des scientifiques, des militants, des ONG - soit tout effort qui offre une réelle possibilité d'aider à préserver et à protéger le monde naturel", a-t-il déclaré sur le réseau social Instagram.

Microsoft a aussi choisi de dévoiler ses engagements à la mi-janvier, quelques jours avant le Forum économique mondial de Davos, qui était consacré cette année à l'environnement. La firme de Redmond, qui revendique une empreinte carbone neutre depuis 2012, a promis d'atteindre une empreinte carbone négative d'ici à 2030. Cela consiste à éliminer plus de carbone qu'elle n'en émet dans l'atmosphère. Elle s'est même engagée à compenser toutes ses émissions de carbone depuis sa création en 1975 d'ici à trente ans. Pour y parvenir, la société informatique fait valoir la création d'un "fonds d'innovation pour le climat" doté d'un milliard de dollars. Ce dernier devrait financer entre autres des technologies de capture et d'élimination du carbone. Microsoft dit également vouloir recourir exclusivement aux énergies renouvelables d'ici à 2025 pour ses data centers, ses bureaux et ses campus, et promet de participer à des opérations de reboisement.

"Depuis la fin de l'année 2019, nous assistons à l'apparition d'une vague verte au sein des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), estime Jean-Christophe Liaubet, directeur associé au sein du cabinet de conseil Fabernovel. L'environnement est désormais au cœur de leur communication. Est-ce du greenwashing ou des initiatives sincères ? Probablement un peu des deux", jauge le spécialiste.

Les entreprises tech ont commencé à s'emparer du sujet au tournant des années 2010, suite aux premiers rapports d'ONG comme Greenpeace sur l'impact environnemental du cloud"Cela a entraîné des réactions à la chaîne plus ou moins rapidement. Apple a été précurseur, suivi par Facebook et Google. Amazon, très en retard sur le sujet, a réagi plus tardivement", commente Agathe Martin, analyste financier chez Fabernovel. Ainsi, Apple revendiquait dès 2013 que l'intégralité de ses data centers étaient alimentés grâce aux énergies renouvelables (solaire, éolien...). Google a quant à lui annoncé "se reposer sur 100% d'énergies renouvelables pour l'ensemble de ses activités à travers le monde, bureaux et centres de données compris" depuis 2017. Un objectif que Facebook promet d'atteindre au cours de cette année.

Pour Agathe Martin, ce récent sursaut s'explique par la "pression croissante de la part de toutes les parties prenantes" : les clients finaux qui "veulent désormais consommer durable" et les investisseurs "qui créent de plus en plus des fonds spécifiques incluant des critères environnementaux". Sans oublier les employés eux-mêmes, 'qui n'hésitent plus à se mobiliser", souligne la spécialiste. Cela a notamment été le cas fin janvier chez Amazon, où plus de 350 employés ont ouvertement critiqué sa politique environnementale dans une pétition en ligne. Cette pression va de pair avec les capacités de financement dont disposent les Gafam.

"En 2019, ils ont accumulé 471 milliards de dollars en cash, équivalents de trésorerie et titres négociables. Ce sont des moyens colossaux ! A titre de comparaison, le budget annuel moyen de l'EPA américain (agence de protection environnementale) est de 8 milliards de dollars depuis 2001", chiffre Agathe Martin.

Lire aussi : Black Friday: trois ONG déplorent l'impact environnemental d'Amazon

De vrais efforts mais le compte n'y est pas

Face à cette prise de conscience généralisée, les mastodontes de la tech consentent donc à s'engager pour l'environnement... d'autant plus qu'ils y trouvent leur compte. "Déployer une stratégie environnementale demande beaucoup d'efforts mais cela s'accompagne de bénéfices non négligeables : améliorer son image de marque, engager davantage les clients et les talents, anticiper les réglementations potentielles plutôt que les subir", résume Agathe Martin.

Mais les efforts réels consentis par les géants du Net sont-ils suffisants ? "Aujourd'hui, les actions des Gafam sont davantage dans une optique de minimisation des dégâts", tacle l'analyste. Car les géants du Net se focalisent principalement sur le recours aux énergies renouvelables et la réduction d'émissions de carbone. Mais l'impact environnemental du numérique ne se limite pas aux seuls data centers, bien au contraire. En 2019, le numérique était constitué de 34 milliards d'équipements pour 4,1 milliards d'utilisateurs dans le monde (hors accessoires tels que les chargeurs, clavier, souris, clés USB...), selon une étude* réalisée par GreenIT.fr. A cela s'ajoute les centres de données et les réseaux.

Les annonces des Gafam se focalisent donc principalement sur la partie visible de l'iceberg:

"Aujourd'hui, pour être politiquement correct, les entreprises se doivent a minima de se positionner sur le climat", décrypte Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT. "Pour les Gafam, cela se résume aux gaz à effet de serre et aux énergies renouvelables car ils répondent uniquement aux demandes minimales de leurs clients, qui reflète la compréhension des enjeux par la société civile."

Amazon en est l'exemple parfait. Le géant du e-commerce a annoncé en septembre vouloir atteindre la neutralité carbone en 2040 et promet d'atteindre 50% de livraisons à zéro émission de carbone d'ici à dix ans. La firme de Seattle chiffre son empreinte carbone - liée à ses activités directes et indirectes - à 44,40 millions de tonnes de CO2 pour l'année 2018, selon les derniers chiffres communiqués. Elle s'engage également à recourir à 100% d'énergies renouvelables d'ici 2030 pour ses data centers.

Les problématiques liées à l'intégralité de la chaîne de valeur sont donc oubliées : épuisement des ressources naturelles et extraction de métaux rares, gestion des déchets...  Les utilisateurs représentent 54% du bilan énergétique global du numérique, contre 29% pour les réseaux et 17% pour les centres informatiques, selon GreenIT. "Les promesses des entreprises tech vont dans le bon sens, mais ce n'est absolument pas suffisant pour permettre de réduire concrètement les impacts environnementaux", regrette Frédéric Bordage.

Ecologie et profits : des vents contraires pour les Gafam

Pour aller plus loin, les entreprises tech devraient donc inciter les sous-traitants, mais aussi les consommateurs, à se tourner vers des choix durables. Apple dit se mobiliser en ce sens. Il revendique par exemple avoir "réduit de 70% l'énergie moyenne utilisée par ses produits depuis 2008", peut-on lire sur son site Internet. Depuis 2015, il a également lancé un programme dédié à ses sous-traitants, pour les inciter à utiliser 100% d'énergies propres pour leurs productions dédiée à la firme de Cupertino. Le fabricant d'iPhone revendique désormais 44 sous-traitants dans son programme.

Mais en parallèle, Apple est régulièrement accusé de pratiquer l'obsolescence programmée, c'est-à-dire dégrader volontairement ses propres appareils pour inciter le consommateur à acheter un modèle plus récent. En 2017, la firme de Cupertino avait admis que son système d'exploitation iOS ralentissait volontairement les processeurs de certains anciens modèles d'iPhones (iPhone 6, iPhone 6s et iPhone SE). Apple avait alors justifié cette manœuvre pour "prolonger la durée de vie des appareils".

La réalité est que le ver est dans le fruit : la protection de l'environnement finit par entrer en collision avec la nature même des activités des géants du Net. "Inciter à consommer plus durablement est en totale contradiction avec leurs intérêts économiques, souligne Agathe Martin. Que ce soient des fabricants [comme Apple, Ndlr] ou des plateformes [comme Facebook ou Google], leur intérêt est respectivement de vendre toujours plus de produits et d'agréger massivement des données pour attirer de nouveaux clients et annonceurs." Et de poursuivre :

"Toutes les parties prenantes sont pleines de contradictions. Les consommateurs eux-mêmes ne se sont pas prêts à faire l'impasse sur le confort acquis par le numérique."

*Etude "Empreinte environnementale du numérique mondial" publiée en octobre 2019 par GreenIT.fr.

Anaïs Cherif

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Commentaire 1
à écrit le 17/03/2020 à 9:13
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C'est pour cela qu'au lieu de bêtement les taxer de leur imposer de s'autosuffire énergétiquement avec bien entendu des énergies non polluantes serait une priorité. Ils en ont largement les moyens mais ne feront rien si les puissances politiques ...

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