Grand ménage chez le centenaire IBM : « Nous sommes de nouveau une entreprise technologique »

Pour retrouver un nouveau souffle, IBM, l'une des plus anciennes entreprises technologiques au monde, mise sur le cloud hybride, les services logiciels et les technologies de pointe.
Depuis sa création en 1924, IBM, qui compte parmi les plus anciennes sociétés technologiques au monde, n'a cessé de se réinventer.
Depuis sa création en 1924, IBM, qui compte parmi les plus anciennes sociétés technologiques au monde, n'a cessé de se réinventer. (Crédits : Brendan McDermid)

En 1880, Herman Hollerith, jeune ingénieur américain, vole au secours de Bureau du recensement des États-Unis, qui peine à recenser rapidement une population mobile et en pleine croissance. Grâce à sa Tabulating machine, un appareil électromécanique de traitement des données, Hollerith leur permet d'accomplir en trois mois un travail qui, effectué à la main, aurait pris dix ans. Fort de ce succès, il fonde en 1896 la Tabulating Machine Company afin de commercialiser son invention à grande échelle. En 1924, sous l'impulsion de son nouveau dirigeant, Thomas J. Watson, celle-ci change de nom : ce sera désormais International Business Machines, ou IBM.

Depuis, l'entreprise, qui compte parmi les plus anciennes sociétés technologiques au monde, n'a cessé de se réinventer, devenant l'un des fournisseurs privilégiés du New Deal rooseveltien, puis passant à la fabrication d'équipements militaires durant la Seconde Guerre mondiale, avant de participer à la révolution de l'informatique dans les années 1960. L'IBM 360, lancé sur le marché en 1965, contribue largement à la diffusion de l'informatique dans le monde professionnel. Aujourd'hui, sous l'impulsion de son directeur-général, Arvind Krishna, IBM amorce un nouveau virage, afin de passer définitivement du matériel au logiciel.

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Divorce à l'américaine

La scission avec Kyndryl, achevée début novembre, s'inscrit dans la droite ligne de cette stratégie. En laissant Kyndryl voler de ses propres ailes, IBM se sépare de sa branche spécialisée dans la gestion des infrastructures IT des entreprises, qui représentait encore un quart de son chiffre d'affaires et de sa main d'œuvre sur l'année 2020.

Si cette activité a fait la fortune de Big Blue au cours des années 1990, elle est depuis plusieurs années en perte de vitesse face à la montée en puissance du cloud, qui permet aux entreprises de sous-traiter la gestion de leurs infrastructures, et fait donc concurrence à ce type de solutions. Après que son entreprise a affiché des résultats économiques en berne par rapport aux prévisions au troisième trimestre de cette année, Arvind Krishna a ainsi pointé une rationalisation des dépenses effectuée par les clients d'IBM, dont Kyndryl aurait particulièrement souffert.

Le géant de l'informatique, qui maintiendra des liens très étroits avec Kyndryl, entend donc réorganiser ses activités pour se focaliser sur la vente de services numériques aux entreprises, autour de technologies plus porteuses et innovantes, dont le cloud, mais aussi l'intelligence artificielle ou encore l'informatique quantique. « Nous sommes de nouveau une entreprise technologique », s'est ainsi félicité Rob Thomas, senior vice president of global markets, suite à la scission.

Une entreprise plus spécialisée

« Le IBM post-Kyndryl sera une entreprise plus légère et spécialisée », affirme de son côté Daniel Newman, analyste chez Futurum Research, un cabinet de recherche spécialisé dans l'innovation. « Au cours des dernières années, IBM a fait preuve de sa volonté de se spécialiser dans les services cloud, en ciblant notamment les industries les plus régulées, où l'adoption de cette technologie est plus faible qu'ailleurs : la finance, les télécommunications, les services publics ou encore la santé », note l'analyste. IBM tire aujourd'hui environ 40% de ses revenus du cloud, selon Daniel Newman, une proportion qui devrait donc être amenée à augmenter à l'avenir.

Le marché du cloud mondial devrait atteindre 623 milliards de dollars d'ici à 2023, et IBM compte bien s'arroger une part substantielle de ce juteux gâteau. « IBM n'est pas toujours à l'origine des transformations technologiques, mais au cours de ses 109 années d'existence, l'entreprise s'est révélée experte lorsqu'il s'agit de pivoter son modèle d'affaires. Elle mise désormais clairement son avenir sur le cloud », affirme Frank Palermo, vétéran de l'industrie américaine des technologies.

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Le cloud hybride en ligne de mire

Si le marché est pour l'heure largement dominé par Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud, IBM, à coup d'acquisitions et de partenariats, muscle ses capacités sur le cloud hybride, qui consiste à combiner infrastructures sur site et cloud public.

Cette option s'avère particulièrement intéressante pour les entreprises rechignant à placer des données particulièrement sensibles dans le cloud public. Elle est une composante clef de la notion de cloud de confiance. Fort de ce constat, Arvind Krishna a mené pas moins de 18 acquisitions depuis sa prise de poste à la tête d'IBM en avril 2020, nombre d'entre elles ayant vocation à servir la stratégie d'IBM autour du cloud hybride.

Il y avait déjà eu le rachat de Red Hat, fabricant de logiciels libres pour 34 milliards de dollars en 2019. En avril dernier, l'entreprise s'est également offert myInvenio, une jeune pousse italienne qui propose aux entreprises d'optimiser leur organisation à l'aide de services d'intelligence artificielle opérant dans le cloud. Un partenariat avec Palantir a également été mis en place afin de proposer aux clients d'IBM une solution de traitement des données dans un environnement cloud hybride.

Les talents de demain

« Si les gros rachats comme celui de RedHat attirent particulièrement l'attention, l'entreprise effectue constamment des acquisitions stratégiques. La plupart tombent dans deux catégories. La première consiste à acquérir des technologies complémentaires qui viennent servir sa vision autour du cloud hybride, de l'intelligence artificielle et de l'automatisation (citons par exemple Instant, WDG Automation, Turbonomic). La seconde à rassembler des talents, des compétences et des certifications sur le cloud hybride et le multicloud : Nordcloud, Taos, Boxboat, Waeg... » résume Daniel Newman.

IBM s'efforce également de former ses propres talents : en octobre, l'entreprise a annoncé un vaste programme visant à former 30 millions de personnes aux technologies de demain (notamment code informatique, cloud et intelligence artificielle), à travers 170 partenariats académiques et industriels dans 30 pays différents.

Watson est mort, vive Watson ?

En 2011, après sa victoire au jeu télévisé américain Jeopardy!, rien ne semblait pouvoir arrêter Watson, le superordinateur d'IBM, fleuron de l'intelligence artificielle. Entre deux conversations avec Serena Williams et Bob Dylan, Watson devait permettre d'identifier de nouveaux marchés porteurs, de lutter contre la changement climatique, et de guérir le cancer. L'entreprise entendait en effet s'en servir pour automatiser l'analyse des radios médicales afin de proposer des diagnostics plus rapides et précis.

Mais les performances du superordinateur n'ont pas été aussi brillantes qu'attendu, au point qu'IBM envisage désormais de vendre sa division Watson Health, comme l'a révélé le Wall Street Journal en début d'année. Revenu de ses grandes ambitions, IBM entend désormais intégrer l'expertise de son superordinateur à sa stratégie autour du cloud hybride.

En 2019, IBM a ainsi annoncé que sa suite Watson AI, comprenant notamment Watson Assistant, qui permet de construire des interfaces conversationnelles, et Watson OpenScale, pour lutter contre les biais algorithmiques, ne serait plus seulement disponible sur le cloud d'IBM, mais que ses clients pourraient également le déployer sur d'autres clouds (comme celui d'Amazon ou de Microsoft) et sur leurs propres centres de données. Un projet certes moins grandiose que de guérir le cancer, mais qui pourrait s'avérer plus lucratif.

Outre l'intelligence artificielle, IBM mise également sur une autre technologie de pointe : l'ordinateur quantique. Le 14 novembre dernier, Arvind Krishna a annoncé à la chaîne américaine HBO que le processeur Eagle conçu par son entreprise pouvait supporter 127 qubits, un pas de géant par rapport au processeur Sycamore de Google, qui avait cru atteindre la suprématie quantique en 2019 à l'aide d'une machine de 53 qubits. Et une preuve que Big Blue entend bien revenir à la pointe du progrès technologique.

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Commentaires 3
à écrit le 17/12/2021 à 14:38
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On peut rappeler que la boite X-fab (800 salariés) que Castex avait été voir en premier à Corbeil Essonnes s'appelait avant Altis (1500 salariés) mais avant encore IBM France, des années 50 au plan social qui a concerné 4000 salariés fin 1999.

à écrit le 17/12/2021 à 12:24
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Bref comme tous les autres ils misent sur nos données mais qui peut battre Microsoft en la matière ?

à écrit le 17/12/2021 à 11:57
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à sa création, IBM utilisait la carte perforée, invention française. cette technologie avait permis de mettre au point le premier système de programmation d’un métier à tisser au début du 18e siècle.

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