La course à l'ordinateur quantique s'échauffe. Déjà bien placé sur la ligne de départ, tout comme ses concurrents Google ou Amazon qui investissent tout comme lui des moyens colossaux, IBM avance ses pions et a choisi de s'implanter plus profondément en Allemagne pour rayonner sur le Vieux Continent. Mardi, la chancelière Angela Merkel a inauguré le premier ordinateur quantique d'IBM hors des Etats-Unis, installé à Stuttgart, en coopération avec l'institut de recherche allemand Fraunhofer.
Premier ordinateur quantique à usage commercial
La machine, opérationnelle depuis avril, est un "Q System One". Au moment de son lancement, en 2019, IBM la présentait comme « le premier système d'informatique quantique intégré au monde pour un usage commercial ». Les clients allemands et européens auront accès à ses services via le cloud.
« Ne le considérez pas comme un ordinateur quantique capable de résoudre tous les problèmes d'informatique quantique. Considérez-le comme un prototype vous permettant de tester et de développer davantage la programmation qui pourrait être utile dans le futur », expliquait alors Winfried Hensinger, professeur de technologies quantiques, au média The Verge.
Autrement dit, il ne s'agit pas d'un "vrai" ordinateur quantique, capable de réaliser des calculs aujourd'hui impossibles avec un ordinateur classique. Mais d'un ordinateur qui simule le fonctionnement d'un vrai ordinateur quantique, ce qui permet aux chercheurs et aux développeurs de s'entraîner à programmer en quantique, en attendant le premier "vrai" ordinateur quantique commercial, qui ne sera vraisemblablement pas prêt avant au moins une décennie, d'après les experts du secteur. En attendant, les grands groupes et les industriels, qui voient dans les technologies quantiques des leviers de compétitivité pour l'avenir, peuvent se préparer à cette nouvelle ère de l'informatique.
L'ordinateur d'IBM en Allemagne, doté d'une capacité de 27 qubits, est moins puissant que les supercalculateurs utilisés au quotidien pour résoudre les équations les plus complexes. Mais il suffit en théorie d'un qubit supplémentaire pour doubler la puissance de calcul. Au cours de la coopération de quatre ans entre IBM et Fraunhofer, financée par 40 millions d'euros d'argent public, l'ordinateur sera mis à jour et sa capacité améliorée, a précisé IBM.
Le "vrai" ordinateur quantique n'existe pas encore
Les technologies quantiques sont amenées à véritablement changer le monde. Elles doivent rendre possible l'utilisation d'ordinateurs hyper-puissants, ridiculisant les capacités des meilleurs super-calculateurs actuels, grâce à l'exploitation des propriétés physiques spectaculaires des particules infiniment petites. La grande différence entre l'informatique classique et l'informatique quantique est que cette dernière fonctionne avec des "qubits" plutôt qu'avec des "bits". Alors que les "bits" peuvent prendre les valeurs 0 ou 1, les "qubits" peuvent avoir plusieurs valeurs à la fois.
Cette superposition d'états permet, en théorie, de réaliser une infinité de calculs simultanés -plus un ordinateur quantique compte de qubits, plus le nombre d'opérations possibles en même temps est élevé-, donc de démultiplier la puissance de calcul afin de résoudre des problèmes aujourd'hui insolubles. Dans le domaine de la santé par exemple, le calcul quantique pourrait enfin permettre de mieux comprendre les interactions entre les molécules et donc de découvrir de nouveaux médicaments. Le quantique porte donc en lui une potentielle révolution de l'informatique, qui devrait chambouler de nombreux secteurs, de la finance aux transports, en passant par la cybersécurité ou l'énergie.
"Cela va générer des machines qui ont des capacités de traitement un million de fois, ou plus, supérieures aux machines qu'on connaît aujourd'hui", résume Olivier Hess, responsable des activités quantiques chez IBM France. Mais on n'y est pas encore. Aujourd'hui, certains acteurs comme Google ont réussi à réaliser de vrais calculs quantiques. Mais ceux-ci sont bardés d'erreurs car les qubits utilisés sont "imparfaits", c'est-à-dire qu'ils laissent beaucoup trop d'erreurs s'immiscer dans les calculs, ruinant la puissance potentielle de l'informatique informatique. De nombreux acteurs, aux Etats-Unis comme en Chine ou en Europe, essaient de trouver comment "stabiliser" le qubit pour réaliser des calculs sans erreurs. Un travail de longue haleine, digne d'un prix Nobel.
Le quantique, un enjeu technologique et de souveraineté crucial pour l'Europe
La France et l'Allemagne ambitionnent de se ranger parmi les leaders du domaine. Paris a annoncé en janvier un plan national ambitieux de 1,8 milliard d'euros sur cinq ans, tandis que Berlin va injecter 2 milliards pour construire un ordinateur quantique d'ici à 2025. "L'Allemagne fait partie des meilleurs en recherche sur les technologies quantiques et compte le rester", a affirmé Angela Merkel, qui a rédigé pendant ses études une thèse en chimie quantique, pendant la conférence de presse.
Pour l'instant, les Etats-Unis et la Chine dominent le quantique. "Le reste du monde ne dort pas", a averti Angela Merkel, estimant que les ordinateurs quantiques "peuvent jouer un rôle dans la quête de souveraineté numérique et technologique" de chaque pays et de l'Union européenne.
"Il faudra encore attendre, selon une estimation optimiste, entre dix et vingt ans jusqu'à l'utilisation pratique dans un contexte industriel" d'un ordinateur quantique, explique également Manfred Hauswirth, directeur chez Fraunhofer, cité sur le site internet de l'institut. L'objectif pour Fraunhofer est d'apprendre à se servir de l'outil pour tenter d'arriver à des cas de "suprématie quantique", quand l'ordinateur quantique sera plus performant pour certaines opérations qu'une machine classique.
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