Le jeu vidéo bascule dans la 5e dimension

Le marché mondial du jeu vidéo devrait atteindre 65 milliards d'euros cette année. La french touch y fait des merveilles. Mais les modèles économiques changent sans cesse...
Destiny est présenté comme le plus gros lancement de toute l'histoire du jeu vidéo et le plus onéreux jamais produit

C'est une superproduction que lançait le 9 septembre dernier Activision Blizzard, le numéro un mondial de l'édition de jeux vidéo. Destiny, c'est son nom, est un jeu nouvelle génération d'action et de rôles dans un univers de science-fiction. Le joueur est invité à explorer notre système solaire après la chute de l'Âge d'or et à y parcourir des terres sauvages :

« Vous êtes l'un des gardiens de la dernière cité sur Terre, doté d'incroyables pouvoirs. Explorez les ruines du glorieux passé de notre civilisation dans le système solaire, des dunes rouges de Mars aux jungles luxuriantes de Vénus. Triomphez des ennemis de la Terre. Reprenez ce que nous avons perdu. Devenez une légende. »

À la manière des réseaux sociaux, Destiny se veut résolument « social » et multijoueur « coopératif ou compétitif ». On peut y jouer en solitaire, entre amis ou avec des joueurs du monde entier, tout en personnalisant et en améliorant son avatar, sa façon de combattre par combinaisons d'armures, d'armes et modifications visuelles.

L'ex-filiale du groupe français Vivendi, lequel détient encore 6 % du capital qu'il pourrait céder en 2015, aurait investi dans Destiny quelque 500 millions de dollars ! C'est du moins ce qu'affirme son directeur général Robert Kotick, alias Bobby, en y intégrant non seulement plus de quatre ans de développement par le studio Bungie (lié contractuellement avec Activision pour dix ans, sur 2010-2020), mais aussi les infrastructures, les licences et surtout le marketing et la commercialisation.

Un risque industriel à quitte ou double !

Destiny est ainsi présenté comme le plus gros lancement de toute l'histoire du jeu vidéo et le plus onéreux jamais produit (voir le graphique ci-dessous). À lui seul, il dépasse les 300 millions d'euros de budget de production que les éditeurs français (Ubisoft Entertainment, Gameloft, Avanquest, Quantic Dream, Focus Home Interactive, Arkane Studios, Ankama...) ont consacré ensemble en 2013 à leurs jeux vidéo ! Il détrône surtout Grand Theft Auto V (GTA 5), cinquième opus de la célèbre franchise, qui aurait coûté plus de 250 millions de dollars au studio Rockstar Games (label de Take Two Interactive Software). Face à cette surenchère dans le développement et la commercialisation, les éditeurs mondiaux préfèrent risquer plus gros, mais sur moins de jeux.

Avec Destiny, jamais un jeu vidéo à gros budget n'a été autant attendu : les précommandes en ligne ont commencé il y a un an pour les consoles Xbox (360 et One) et PlayStation (3 et 4). Activision joue son vatout. C'est même à quitte ou double, tant le risque industriel est grand. Bobby Kotick n'en attend pas moins de 1 milliard de dollars de recettes dès le premier jour de commercialisation ! Cela suppose que Destiny fasse deux fois mieux que l'autre méga-bestseller d'Activision, le jeu de guerre Call of Duty: Black Ops II, et dépasse aussi du même coup le record de vente en un jour encore détenu par GTA 5, lequel avait engrangé, dès le jour J, 800 millions de dollars avec près de 15 millions de jeux vendus !

Le cinéma n'a désormais plus le monopole des blockbusters. Les jeux vidéo relevant de ce que l'on appelle le dixième art sont même sur le point de détrôner le septième art. Lors de sa sortie, un jeu vidéo peut maintenant prétendre battre le record de recettes d'un film à succès dès les premiers jours en salles. Il a fallu par exemple une vingtaine de jours à Avatar comme au dernier Harry Potter pour dépasser chacun 1 milliard de dollars de recettes. Mais la comparaison entre ces deux industries culturelles ne s'arrête pas là.

Une diversification vers le cinéma et l'audiovisuel

Sans attendre que l'industrie vidéoludique mondiale se hisse au niveau du chiffre d'affaires du cinéma (probablement après 2017, selon PwC), le jeu vidéo commence à faire son cinéma. La frontière entre jeux vidéo et films tend à s'estomper. Les effets pyrotechniques de certaines grandes productions de jeux n'ont plus rien à envier aux films de Hollywood. Les scénarios de l'un peuvent en outre être adaptés à l'autre, et vice versa. Des passerelles se multiplient entre ces deux mondes du divertissement, comme le montre la célèbre franchise Pokémon, déclinée en séries télévisées dont les premières furent diffusées à partir de 1997 au Japon et longs-métrages, dont le dix-septième, Diancie et le cocon de l'annihilation, est sorti cet été.

Le français Ubisoft Entertainment, aux avant-postes de cette french touch, montre la voie en nouant des partenariats avec le japonais Sony Pictures Entertainment. Les premiers longs-métrages tirés des jeux Assassin's Creed, Tom Clancy's Splinter Cell et Watch Dogs sont attendus pour 2015 au plus tôt.

Le Français et le Japonais avaient déjà annoncé en début d'année une seconde collaboration pour la réalisation d'un autre film, cette fois tiré des Lapins crétins une autre des franchises à succès d'Ubisoft qui l'a déjà déclinée en série d'animation.

De son côté, l'éditeur américain Electronic Arts (EA) a annoncé en mai dernier avoir passé un accord avec Disney, qui lui accorde une licence exclusive pour produire des jeux vidéo basés sur la saga Star Wars. EA n'avaitil pas envisagé dès 2009, avec le studio Fox, de faire de son jeu vidéo Spore un longmétrage aux créatures fantastiques ? Activision, dont la filiale Blizzard prévoit de sortir un film Warcraft en 2016, s'apprêterait à lancer à son tour son propre studio de cinéma. Et aurait-on imaginé un jour qu'une star de cinéma passionnée de jeux vidéo comme feu Robin Williams puisse faire l'objet d'un hommage dans World of Warcraft ?

À travers cette diversification dans le cinéma et l'audiovisuel, le jeu vidéo trouve de nouveaux débouchés et des relais de croissance bienvenus, au moment où son marché d'origine traditionnel est en train de basculer avec les incertitudes sur les recettes futures des jeux physiques (sur CD/DVD ou cartouches) vers les jeux en ligne (multijoueurs, téléchargeables, sur réseaux sociaux ou Internet) et le free-toplay (ou free2play). Cette mutation à risques du 10e art vers la dématérialisation et la « gratuité » est aussi marquée par le passage à la huitième génération de consoles de salon, avec en tête les trois ténors du marché : la Wii U de Nintendo lancée fin 2012, suivie fin 2013 par la PlayStation 4 (PS4) de Sony et la Xbox One de Microsoft. Tandis que de nouveaux entrants - Valve, nVidia, GameStick, eSfere, Razer Edge, Bluestacks ou encore Ouya - viennent bousculer les positions dominantes.

La nouvelle guerre des consoles est lancée

« Les nouvelles consoles sont aujourd'hui de véritables plates-formes de divertissement donnant accès à du jeu, de la musique ou encore de la vidéo », souligne David Neichel, président du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell) et directeur général d'Activision France.

Toute l'industrie retient son souffle, car elle joue gros. Le marché des consoles de jeux vidéo fonctionne par cycles et chaque génération de consoles a permis jusqu'à maintenant de doubler le chiffre d'affaires de toute l'industrie. C'est le tiercé gagnant consoles-jeux-accessoires. Mais la huitième génération tiendra-t-elle ses promesses ?

Parmi les nouveaux favoris : l'américain Valve, qui est non seulement éditeur de jeux vidéo (dont le best-seller Half-Life) et éditeur de la plate-forme de vente en ligne de jeux Steam, mais aussi fabricant de consoles avec ses puissantes Steam Machines. Ces dernières pourraient permettre, de la même manière que la Xbox One et de la PS4, d'accéder à de la musique, du cinéma et de la télévision, leurs extensions du domaine de la lutte.

Selon l'institut d'études Idate, le marché mondial du jeu vidéo (équipements compris) passera de 53,9 milliards d'euros en 2013 à 65 milliards cette année (+20 %) et atteindrait 82,1 milliards en 2017. Soit une croissance annuelle moyenne de 11 % ! Un véritable boom. Cette dynamique est due à l'effet conjugué de l'arrivée de cette nouvelle génération de consoles, de la montée en charge des jeux pour mobiles et de la croissance des jeux en ligne en mode free2play - où la « gratuité » peut finalement coûter très cher aux joueurs incités aux achats intégrés dits in-app (dans le collimateur de la Commission européenne). Mais, dans trois ans déjà, ce nouveau cycle toucherait à sa fin et les revenus associés seraient globalement à la baisse.

C'est que la dématérialisation de la distribution de jeux vidéo et le paiement en ligne (sur smartphones, ordinateurs connectés, consoles de salon, consoles portables connectées et maintenant télévision connectée) ont commencé à prendre le relais. Ils génèrent aujourd'hui plus de la moitié des revenus mondiaux et s'arrogeront environ les deux tiers en 2017.

L'ordinateur connecté, lui, restera malgré tout le terminal le plus lucratif pour les jeux vidéo en ligne (le jeu hors ligne sur ordinateur étant voué à disparaître). Viennent ensuite la console de salon, la console portable, puis le smartphone et la tablette. La France - où près des deux tiers des ventes à fin 2013 se sont encore faites physiquement, selon Gametrack et Ipsos pour le Sell - n'échappera pas à cette dématérialisation. Ce n'est pas un hasard si Twitch, la plate-forme permettant de regarder et commenter des parties diffusées en direct par des millions de joueurs en ligne, fait de plus en plus d'adeptes dans l'Hexagone et dans le monde (55 millions de visiteurs uniques par mois). Amazon, déjà présent dans le jeu vidéo avec ses propres studios, va l'acquérir pour près de 1 milliard de dollars.

Viralité, mise en nuage et dématérialisation

Plus de la moitié des jeux vidéo seraient aujourd'hui en accès libre, avec des options payantes. « Le succès incontestable du free2play [Clash of Clans, de Supercell, ou Candy Crush Saga, de King Digital Entertainment] conduit l'industrie traditionnelle à s'adapter aux nouveaux usages », relève Laurent Michaud, consultant loisirs numériques à l'Idate. Les jeux en ligne dits « massivement multijoueurs » - appelés MMOG dans le jargon, pour massively multiplayer online game, ou MMO - ont presque tous basculé du modèle payant par abonnement au free2play, tels que Star Wars : The Old Republic, d'EA, Gotham City Imposteurs, de Warner Interactive, ou encore Aion, de NC Soft.

Si la huitième génération de consoles de salon (Wii U, PS4, Xbox One, Steam Machines, Gamepop, Ouya...) tire inéluctablement le marché vers la dématérialisation, la viralité et la mise en nuage, le cloud gaming va être aux jeux ce que le cloud TV commence à être pour la télévision. À savoir : le recours au nuage informatique pour le stockage des données et la puissance de calcul, afin de permettre au joueur d'y accéder à distance, où qu'il soit et quel que soit son terminal. Avec cette virtualisation des jeux vidéo, les fabricants de consoles et les éditeurs de jeux vidéo se préparent à l'idée d'abandonner le support physique (DVD) lors du passage à la neuvième génération, au-delà de l'année 2017.

Mais y aura-t-il vraiment une neuvième génération de consoles de salon ? Les capacités décuplées des terminaux en tout genre (ordinateurs, smartphones, consoles portables, téléviseurs connectés, etc.) sont telles que d'aucuns prédisent la fin des consoles de salon. Tout se fera en réseau (très) haut débit, en haute définition, voire en ultra-HD ou 4K grâce à une nouvelle génération de compression d'images (H.265, HEVC, VP9...). L'immersion vidéo-ludique promet de se démocratiser grâce aux casques intégraux de réalité virtuelle en 3D, comme Morpheus de Sony, Gear VR de Samsung ou celui d'Oculus (société rachetée en mars par Facebook), lesquels étaient présentés à la grand-messe du jeu vidéo E3 de Los Angeles. Mais d'ici là, les consoliers vont promouvoir le second écran et l'ubiquité des jeux, associant télévision, tablette, smartphone ou écran d'ordinateur.

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Commentaires 4
à écrit le 24/09/2014 à 16:12
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Destiny cé trop bien.

à écrit le 24/09/2014 à 16:05
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Comment pouvez-vous encenser ce jeu vide et graphiquement banale ? Je l'ai acheté et renvendu après trois jours d'ennuie... La Tribune appartiendrait-elle au groupe Vivendi ? "L'ex-filiale du groupe français Vivendi, lequel détient encore 6 % du ca...

le 24/09/2014 à 17:26
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Ô Tribune quand tu nous tiens… ;)

à écrit le 24/09/2014 à 14:27
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Il s'est vraisemblablement inspiré de la politique française.

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