De Cambridge Analytica au deal nucléaire d’Obama... Qui se cache derrière Black Cube ?

Black Cube est une agence privée de renseignement citée dans pas moins de trois tempêtes médiatiques en à peine six mois : Cambridge Analytica au Nigéria, l'Affaire Weinstein et désormais l'accord sur le nucléaire en Iran sous Obama. Elle possède un bureau en France.
(Crédits : DR)

Jusqu'où s'étendent les tentacules de la moins en moins discrète pieuvre du renseignement « Black Cube» ? Après avoir été citée par le lanceur d'alerte Christopher Wylie dans le cadre de l'enquête sur Cambridge Analytica, la société technologique londonienne, responsable de la fuite des données des 87 millions d'utilisateurs Facebook (dont 2,7 millions d'Européens), Black Cube, agence privée israélienne, se retrouve au coeur d'une nouvelle affaire d'État. Mais cette fois - comme un écho avec l'actualité - , pour espionner des membres de l'administration Obama alors en pleine négociation sur l'accord nucléaire iranien (JCPOA), que Trump vient officiellement de révoquer.

Dès le mois de mai 2017, selon les informations de l'édition dominicale de The Guardian, l'administration Trump aurait fait appel à une agence privée d'intelligence pour mener des "dirty ops" ou campagnes de dénigrement sur les diplomates travaillant pour Obama. Le tout, pour révéler si possible d'éventuels bénéfices personnels retirés par les négociateurs américains dans le cadre de l'accord avec l'Iran, selon le média britannique. Le New Yorker confirme; c'est Black Cube, l'agence créée par des anciens du Mossad - l'une des trois agences de renseignement d'Etat en Israël - qui est à la manoeuvre.

Après une enquête sur Cambridge Analytica pour une mission de récupération de données privées de l'actuel président nigérian en 2015 - qu'elle a formellement démentie - , c'est donc une nouvelle affaire politique potentiellement explosive pour Black Cube. Là encore, elle a fermement démenti ces accusations.

L'agence de «creative intelligence» basée à Tel-Aviv voit les vagues de révélations déferler, mais tient bon. Comme une répétition de l'histoire, Black Cube s'est fendu vingt-quatre heures plus tard d'un communiqué repris par The New Yorker stipulant que «(sa) politique est de ne jamais discuter de ses clients avec des parties tiers, et de ne jamais confirmer ou nier toute spéculation sur le travail de l'entreprise ». Et d'opposer à nouveau :

« Black Cube n'a aucune relation d'aucune sorte avec l'administration Trump, des conseillers de Trump, et toute personne proche de l'administration, ou dans le deal sur le nucléaire iranien ».

En dehors du champ politique, elle fut aussi citée dans l'affaire Weinstein, autre tempête médiatique en novembre dernier, pour laquelle elle avait reconnu avoir fait des recherches sur des femmes accusatrices pour l'ancien magnat d'Hollywood. Mais cette fois-ci, elle avait choisi de s'excuser de cette participation. L'affaire avait d'ailleurs éclaboussé un autre ponte du secteur de la cybersurveillance ; l'ancien Premier ministre Ehud Barak qui a affirmé avoir seulement donné le nom de l'agence à Harvey Weinstein.

Mais pour les affaires aux couleurs politiques, Black Cube adresse des réponses cinglantes. Pour l'affaire Cambridge Analytica et le Nigéria, elle avait qualifié de «mensonge flagrant» et «diffamatoire», tout en étant «flattée d'être apparemment connectée à chaque incident international qui survient», rapportait le quotidien israélien Haaretz du 27 mars. Pour enfoncer le clou, Sean Richardson, le directeur des services juridiques de Cambridge Analytica, avait, lui, écrit une lettre au Jerusalem Post dans laquelle il souligne «qu'aucun employés, agents ou entreprises affiliés à Cambridge Analytica n'a jamais travaillé avec Black Cube, ses directeurs, employés ou agents, et (que) toute autre déclaration affirmant l'inverse était fausse».

La riposte n'est jamais avare de mots et est coordonnée.

Un réseau international plus large qu'à l'écran

Black Cube ne craint d'ailleurs pas d'afficher en toutes lettres son arrière-boutique. À la question «qui se cache derrière l'agence?», elle y répond très ouvertement dès sa page d'accueil :

«Un groupe de vétérans triés sur le volet, issus de l'unité d'élite d'intelligence israélienne, spécialisé dans des solutions sur mesure pour résoudre des enjeux business et des litiges complexes», peut-on lire sur son site, en guise d'appât commercial.

La dimension internationale de l'agence y est aussi présente. L'agence, qui vient de s'installer au 26e étage d'une Tour sur le très huppé boulevard Rothschild à Tel-Aviv, est aussi à Londres. Elle y a ouvert une filiale, assez vite après sa création, en 2010.

Pour son troisième bureau, en 2015, elle a choisi... Paris. L'adresse renseignée sur le site est le «10 place Vendôme», face aux fenêtres du ministère de la Justice. Ces trois adresses internationales ne sont toutefois qu'un aperçu, au vu des dernières affaires, sur un terrain de missions beaucoup plus large : États-Unis, Nigéria (pour une mission facturée près de 2,3 millions d'euros (2 millions de livres) par Cambridge Analytica, d'après le Guardian) et désormais des liens supposés avec l'Iran.

Le Mossad et la "human intelligence" à son board

En plus de ses 120 salariés, dont 30 auraient été recrutés l'année dernière, sur son site, Black Cube fait la présentation d'un "board" de conseillers assez peu orthodoxe. Parmi ceux qui y siègent, on trouve Meir Dagan, un ancien directeur du Mossad et ancien conseiller du Premier ministre Ariel Sharon, un ancien chef du Conseil de Sécurité Nationale d'Israël, un chercheur en micro-économie proche des Ministères de la Défense et des «infrastructures nationales», un directeur Marketing mobile au sein de la société américaine Verifone spécialisée dans les terminaux de paiements nouvelle génération... Et un certain «E.J», seul resté fidèle à la culture de l'anonymat. On saura seulement qu'il a dirigé une unité d'élite «Humint», pour "human intelligence", nom de code qui réfère aux opérations spéciales menées sur le terrain, à Gaza ou en territoires occupés. Enfin, autour de cette galaxie de compétences multinationales, Paul Reyniers, un ancien consultant anglais de PWC basé à Londres.

Si l'on ne se trouve dans le dernier opus d'un James Bond, tous les ingrédients sont bien là : réseau mondial, hacker repenti, données secrètes... la dimension politico-business en plus. Car en Israël, avant d'être une fiction d'espionnage, le marché de la cybersécurité est une réalité économique. Deuxième champion après les Etats-Unis, le pays a en effet attiré 16% des investissements mondiaux en cyber-sécurité en 2017, selon les chiffres de l'agence Start Up Nation Central. L'an passé, le pays comptait 420 entreprises dans ce secteur, dont 70 nouvellement créées.

Rien ne semble donc arrêter les sociétés comme Black Cube ou Cambridge Analytica, pas même les scandales. D'ailleurs, en pleine tourmente dans l'affaire Facebook, Cambridge Analytica annonçait fermer boutique le 2 mai dernier. Mais déjà en août dernier, ses dirigeants ouvraient en parallèle une nouvelle entreprise de données, comme le révélait le New York Times.

«Nous sommes à un tournant des technologies, comparable à lre qu'a inauguré Robert Oppenheimer, le père de la bombe atomique», rappelle Fabrice Epelboin, spécialiste en cybersécurité.

Sauf qu'avec la démocratisation des technologies, les cyber-codes peuvent désormais tomber entre les mains d'une multitude de réseaux.

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LA CYBERSÉCURITÉ EN ISRAËL : les chiffres d'un poids lourd

  • 420 entreprises de cybersécurité en Israël aujourd'hui, soit plus de vingt fois plus qu'en 1996 (IVC Research Center).
  • 814,5 millions de dollars, c'est le montant levé par les entreprises israéliennes de la cybersécurité en 2017, un record et une hausse de 28 % sur un an, selon Start-Up Nation Central.
  • 3,6 millions de dollars, c'est le ticket moyen levé en 2017, et en amorçage, par une entreprise de cybersécurité, soit près de deux fois plus qu'en 2016 (Start-Up Nation Central).
  • 20% des entreprises des nouvelles technologies sont spécialisées dans la cybersécurité (IVC Research Center).
  • 9 milliards de dollars, c'est ce qu'aurait coûté le campus du CyberSpark situé dans le désert du Néguev à Beer Sheva, dans le sud du pays, selon plusieurs experts. Le site, qui réunit depuis 2014 tout un écosystème, militaire et civil, est financé en joint venture par l'Israeli National Cyber Bureau du gouvernement, la municipalité, l'université Ben Gourion du Néguev et des entreprises privées de la cybersécurité (Deutsche Telekom, EMC, Check Point...)
  • Plus de 1 000 entreprises auraient été fondées par l'unité d'élite militaire appelée « Unit 8200 », de l'Armée de défense d'Israël, d'après Forbes. Elle est la plus grande unité militaire de Tsahal, l'équivalent de la NSA américaine pour les Israéliens. Elle forme des milliers de hackers et d'entrepreneurs de la cyber intelligence.

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