Jeu vidéo : le direct et les influenceurs, poules aux œufs d'or des studios

Apex Legends réalise un lancement record grâce aux vidéastes de Twitch, Fortnite s'appuie sur ses joueurs populaires pour vendre ses contenus payants. À l'heure où les têtes d'affiche du jeu vidéo attirent des centaines de milliers de spectateurs, les éditeurs n'hésitent plus à miser sur eux.
François Manens
Grâce aux influenceurs, Apex Legends a été téléchargé plus de 10 millions de fois dans les trois jours qui ont suivi son lancement.
Grâce aux influenceurs, Apex Legends a été téléchargé plus de 10 millions de fois dans les trois jours qui ont suivi son lancement. (Crédits : EA Games)

Tyler "Ninja" Belvins, créateur américain sur Twitch et YouTube et joueur de Fortnite, a reçu un million d'euros pour jouer au jeu vidéo Apex Legends, d'après Reuters. L'opération fait grand bruit par son montant, mais est pratique courante. Les éditeurs de jeux vidéo misent depuis plusieurs années sur les joueurs populaires, principalement sur YouTube et Twitch, pour promouvoir leurs produits. En revanche, les deux jeux à succès du moment, Fortnite et Apex Legends, portent l'impact marketing des vidéastes à une nouvelle échelle grâce à des pratiques inédites.

Apex Legends, un départ record grâce aux streamers

Le 5 février, impossible pour quiconque se connectait à la plateforme de vidéo en direct Twitch de manquer Apex Legends. Le nouveau jeu vidéo gratuit de Respawn Entertainment, édité par Electronic Arts (EA), rassemblait, de loin, le plus de spectateurs. Inconnu au bataillon jusque-là, il occupait une place habituellement monopolisée par le jeu de tir et de construction Fortnite et le MOBA League of Legends. L'explication est simple : l'éditeur avait lancé une grande opération spéciale, et rémunéré les principaux joueurs de jeu de tir de Twitch. Les influenceurs Ninja (Fortnite), Shroud (CS:GO) ou encore Gotaga (Fortnite) en France jouaient et diffusaient Apex Legends devant leurs dizaines de milliers de spectateurs habituels.

En plus de jouer en direct aux heures de pointe, ce type de contrat comprend la publication d'un certain nombre de vidéo YouTube et de messages sur les réseaux sociaux. Si Electronic Arts n'a pas innové dans la forme, la coordination et l'ampleur de l'opération était inédite. « Nous voulions qu'il soit impossible d'échapper à Apex pendant tout une journée, et nous voulions créer la sensation qu'un même événement se déroulait partout dans le monde simultanément », commente Drew McCoy, producteur en chef du jeu, auprès de Business Insider.

Avant cette date, Respawn n'avait dévoilé aucun élément du projet. Aucune bande-annonce, aucune campagne de publicité, aucune conférence de presse : le développeur avait presque tout misé sur cette soirée Twitch. Connu pour la licence Titanfall, le studio était attendu sur un 3e opus plus que sur un nouveau jeu, après un Titanfall 2 moins réussi que le premier.

« Nous faisons un jeu gratuit, avec des "loot boxes" (boîte virtuelle qui contient des gains aléatoires, interdites dans certains pays et encadrées dans d'autres, NDLR) après avoir été acheté par EA, et ce n'est pas Titanfall 3. C'est la recette parfaite pour qu'un plan marketing parte de travers, donc pourquoi en faire un ? Envoyons juste le jeu et laissons les joueurs jouer », expose Drew McCoy, lead producer du jeu, au site eurogamer.net.

Apex Legends surfe sur la vague des "Battle Royale", un format tiré par Fortnite et Player Unknown's Battleground, que tous les éditeurs cherchent à s'approprier. Le principe est simple : un grand nombre de joueurs sont parachutés sur une île, et doivent équiper leur personnage. Encerclés par une zone radioactive qui se réduit à intervalle régulier, ils s'entre-tuent jusqu'à ce qu'un seul d'entre eux (ou une seule équipe) soit en vie, et gagne ainsi la partie.

Malgré de nombreuses tentatives, aucun "Battle Royale" n'a réussi à contester la suprématie de Fortnite... jusqu'à Apex Legends. En trois jours, le jeu avait enregistré 10 millions de téléchargements, un départ record jusque-là tenu par son illustre prédécesseur. Les marchés financiers ont immédiatement réagi, et la valorisation d'Electronic Arts a grimpé de 16%, l'équivalent de 4 milliards de dollars.

À la fin de sa semaine de lancement, Apex Legends revendiquait 25 millions de joueurs, puis 50 millions à la fin du mois de février. La franchise d'Epic Games avait mis plus de 4 mois pour atteindre ce niveau. Si la qualité du jeu a permis de faire grandir la communauté de joueurs sur le moyen terme, la soirée de lancement, propulsée par la puissance de frappe de EA, a posé à elle seule le jeu dans le paysage médiatique.

Les joueurs populaires de Fortnite incitent à dépenser en jeu

Pour rejoindre Fortnite en haut de l'affiche, Apex Legends devra convaincre 200 millions de joueurs supplémentaires. Et pour générer autant de chiffre d'affaires, il devra prouver que son modèle économique est aussi réussi que celui conçu par Epic Games.

Le modèle économique de Fortnite s'appuie sur la vente de produits cosmétiques numériques. N'importe qui peut télécharger le jeu et y jouer gratuitement, sans limitation. En revanche, les joueurs peuvent acheter des apparences pour leur personnages, des danses et autres animations pour se moquer des ennemis. Toutes les transactions s'effectuent en V-bucks, la monnaie virtuelle du jeu. Puisque 1 euro équivaut environ à 100 V-bucks, un habillage de personnage coûte à partir de 5 euros et jusqu'à 15 euros. Chaque saison, d'une durée d'environ 2 mois, s'accompagne d'un "battle pass" à 10 euros, qui permet de débloquer des cosmétiques avec un système de gain d'expérience et de défis.

Et ça marche : le jeu de Epic Games a fait passer son éditeur dans une autre dimension. Le Wall Street Journal estimait à 15 milliards de dollars sa valorisation en octobre 2018 et Techcrunch évoquait 3 milliards de dollars de bénéfice sur l'année. À titre de comparaison, le géant chinois Tencent achetait 40% des parts de Epic Games en 2012, pour "seulement" 330 millions de dollars. D'ailleurs les BATX a fortement influencé la stratégie du développeur de jeux vidéo.

5 euros pour le créateur tous les 100 euros dépensés

Pour inciter à acheter ces produits cosmétiques en jeu, Epic Games s'appuie sur sa communautés de joueurs professionnels et de streamers, ces joueurs qui diffusent leur partie en direct sur une plateforme comme Twitch ou Youtube, et interagissent avec leur audience. En octobre 2018, l'éditeur a mis en place un programme "soutenez un créateur", accessible sur candidature. Pour être accepté, le candidat (personne ou société) doit simplement être suivi par au moins 1.000 personnes sur une plateforme sociale majeure, et accepter le code de conduite lié au contrat d'affiliation. Une fois validé, Epic Games attribue un code au créateur.

La communauté de ces vidéastes a la possibilité de rentrer ce code créateur à chaque achat de V-bucks ou de cosmétiques. Epic Games reverse l'équivalent de 5 dollars aux créateurs par tranche de 10.000 V-bucks (environ 100 euros) dépensés par leurs soutiens. En conséquence, les joueurs populaires incitent constamment leurs communautés à utiliser le code, et donc à dépenser dans la boutique virtuelle. En plus de marteler leur code tel un slogan dans leurs streams, ils interagissent avec les fans et présentent fièrement leurs achats sur les réseaux. Par exemple, Kinstaar, joueur suisse de la structure Solary, commente, retweet ou aime systématiquement les messages de ses fans qui sont accompagnés d'une capture d'écran. Parfois, se sont les communautés qui se mobilisent pour que le code de leur créateur préféré, comme "Mushway", soit omniprésent sur les réseaux sociaux.

Annoncé comme un système temporaire, le programme "soutenez un créateur" a été reconduit indéfiniment à la fin de l'année 2018. Et le 6 février, Epic Games a décidé de l'étendre à tous les jeux de son magasin de vente de jeux dématérialisés, l'Epic Games Store. L'entreprise aura besoin du soutien marketing des créateurs, puisqu'elle s'attaque au géant du secteur, la plateforme Steam, développée par Valve.

François Manens

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