Le Sénat punit la consultation de sites djihadistes

Le Sénat, où la droite est majoritaire, a voté mardi 2 février la pénalisation de la consultation régulière de sites faisant l’apologie du terrorisme. Une mesure considérée par le gouvernement et par de nombreux juristes et défenseurs des libertés comme inefficace et impossible à appliquer. Explications.
Sylvain Rolland
Contre l'avis du gouvernement et du nouveau ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, les sénateurs ont voté une sanction de "deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende" pour les gens qui consultent régulièrement des sites qui font l'apologie du terrorisme.

Nicolas Sarkozy peut jubiler. L'ancien président de la République, qui milite depuis 2012 et l'affaire Merah pour introduire un délit de consultation régulière de sites faisant l'apologie du terrorisme, a été entendu par le Sénat, qui examinait mardi 2 février la proposition de loi visant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste.

Contre l'avis du gouvernement et du nouveau ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, les sénateurs ont ajouté que de tels actes seront punis "de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende". Autrement dit, les sénateurs élargissent aux sites djihadistes le délit de visite d'un site Internet, qui ne s'appliquait jusqu'à présent qu'aux sites pédopornographiques.

La droite, qui militait pour que cette mesure s'applique à tout le monde sans exceptions, a toutefois mis un peu d'eau dans son vin. Les personnes qui consulteraient régulièrement de tels sites dans "l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public" -les journalistes- ne sont pas concernées. Tout comme les chercheurs, qui pourraient vouloir étudier la propagande djihadiste, ou encore les services de police dans le cadre d'une enquête.

Pourquoi le gouvernement est contre

Cette précaution de la droite concernant les journalistes, les policiers et les chercheurs n'a pas convaincu Jean-Jacques Urvoas. Le Garde de Sceaux a rappelé que la consultation de sites terroristes est déjà considérée comme une infraction depuis la loi antiterroriste de novembre 2014. Mais "elle ne peut pas être le seul fondement à une incrimination", a-t-il précisé, car les citoyens lambda peuvent simplement vouloir s'informer à la source, même régulièrement. Le ministre estime que le dispositif actuel est "suffisant". Consulter régulièrement un site djihadiste ne doit être condamnable que si cette action en lien avec un projet terroriste, estime-t-il.

En plus du gouvernement, la proposition hérisse de nombreux juristes. Véritable serpent de mer de la droite, qui tente de l'imposer à chaque texte de loi relatif à la sécurité nationale, cette idée a déjà été rejetée plusieurs fois depuis 2012. Et pas plus tard qu'en novembre dernier, lorsque les députés examinaient le projet de loi pour prolonger l'état d'urgence. Les juristes pointent du doigt l'incompatibilité de la mesure avec les engagements de la France concernant la liberté d'expression et de communication. Des atteintes que ne laisseraient pas passer le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme.

Une mesure inefficace ?

Juridiquement, cette disposition peine à convaincre. Délimiter ce qui relève de la propagande terroriste n'est pas aisé. Si les sites pédopornographiques sont très clairs sur leur nature, l'impact des écrits, images et vidéos à caractère politique et idéologiques doit être mesuré au cas par cas. Et que veut dire une "consultation habituelle" ? S'agit-il de visiter ces sites tous les mois, toutes les semaines, tous les jours ? De même, tous les journalistes n'ont pas la carte de presse, notamment les blogueurs...

L'efficacité d'une telle mesure pose aussi question. Outre le fait qu'il existe de nombreux outils, comme les VPN, pour surfer discrètement sur la Toile, il apparaît extrêmement compliqué de recenser tous les sites faisant l'apologie du terrorisme. Et un apprenti djihadiste pourrait se connecter sur de multiples terminaux, avec des adresses IP différentes, ce qui rendrait son identification difficile par les forces de l'ordre.

Les défenseurs des libertés craignent aussi une nouvelle escalade vers la surveillance de masse. "Pour que cette mesure soit efficace, cela veut dire qu'il faut être en mesure de surveiller l'ensemble des consultations", pointe Adrienne Charmet-Alix, la directrice des campagnes de l'association La Quadrature du Net.

Un coup de com' qui restera probablement lettre morte

Cette initiative du Sénat, dominé par la droite, apparaît donc plutôt comme un énième coup de com', pour montrer à l'opinion que la droite veut aller plus loin que le pouvoir socialiste dans la lutte antiterroriste.

Sauf qu'elle ne verra probablement jamais le jour. Puisque le gouvernement reste opposé à la mesure, ses chances d'être inscrite dans la loi sont très faibles. Le texte est discuté à l'Assemblée nationale à partir de ce mercredi en première lecture. La gauche y est majoritaire. Sauf revirement de François Hollande, les députés devraient -à nouveau- retoquer la proposition. Reviendra-t-elle encore lors son passage en deuxième lecture au Sénat ?

Sylvain Rolland

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Commentaires 8
à écrit le 04/02/2016 à 1:15
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Il est interdit d'interdire. Et interdire de lire ce qui est publié est un aveu d'impuissance qui revient à se voiler la face.

le 04/02/2016 à 10:48
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Incompréhensible... Pourriez vous être plus clair ? Merci.

à écrit le 03/02/2016 à 20:20
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Ils devraient publier une liste des sites pour qu'on n'aille pas y faire un tour même par ricochet d'un lien, par curiosité, en pensant tomber sur autre chose. Oui mais s'ils la mettent sur un site, ce site deviendra concerné car listant les sites i...

à écrit le 03/02/2016 à 19:24
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encore une gesticulation existentielle d'une assemblée non élue par le peuple qu'il faut supprimer au plus tôt ,les finances de ce pays ne s'en porteront que mieux !

à écrit le 03/02/2016 à 17:56
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y aura une liste de sites a ne pas visiter? ou sera t elle publiee? comment les gens le suaront? est ce que le quidam qui y va a l'occasion sera puni, sachant que ceux qui veulent se monter le bourrichon peuvent utiliser des reseaux cryptes, ou des s...

à écrit le 03/02/2016 à 17:31
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Les sénateurs devraient faire attention, on commence par interdire un texte puis un journal, ensuite on censure internet etc En France avec notre pensée unique on est déjà assez castré comme ça, on ne peut plus rien dire sans que de belles âmes pouss...

à écrit le 03/02/2016 à 17:20
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Ceux qu'il faut punir ce sont ceux qui mettent en ligne et diffusent ce genre de matériel, pas ceux qui les visionnent et qui peuvent avoir des motifs parfaitement valables de les consulter. Les policiers et services de renseignements sont estomaqu...

à écrit le 03/02/2016 à 15:09
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vous avez vu à quoi ressemblent les sénateurs ? ces gars-là sont complètement dépassés par les évolutions de la société moderne, il est urgent de s'en débarrasser.

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