Rachat de Twitter par Elon Musk : les actionnaires se frottent les mains, le réseau social dans le flou sur son avenir

Actant une probable défaite en justice contre Twitter, Elon Musk s'est sorti de l'imbroglio judiciaire en acceptant d'honorer sa promesse de rachat du réseau social faite en avril, au prix convenu de 44 milliards de dollars. Cette décision est une immense victoire pour les actionnaires, qui obtiennent un prix très avantageux dans un contexte difficile pour la tech. Pour Twitter, c'est une autre affaire : les intentions d'Elon Musk restent floues, même si l'entrepreneur vient d'énoncer un futur où le réseau social s'intégrerait dans une « appli pour tout », comme celle du chinois WeChat. Explications.
Sylvain Rolland
Elon Musk compterait intégrerTwitter dans une sorte d'appli unique et géante, un peu comme le fait le chinois WeChat qui offre des services d'achats, de réseaux sociaux, de discussions ou encore de finance.
Elon Musk compterait intégrerTwitter dans une sorte d'appli unique et géante, un peu comme le fait le chinois WeChat qui offre des services d'achats, de réseaux sociaux, de discussions ou encore de finance. (Crédits : DADO RUVIC)

Rira bien qui rira le dernier, semblait narguer Elon Musk en juillet dernier quand Twitter le traînait en justice après l'annonce du refus du milliardaire de racheter le réseau social, alors qu'il s'y était engagé trois mois plus tôt. Mais il semblerait que dans cette histoire rocambolesque, le grand gagnant soit finalement Twitter, ou plutôt ses actionnaires. Le 4 octobre, Elon Musk a réalisé une nouvelle volte-face en acceptant de payer les 44 milliards de dollars promis en avril, à la condition d'annuler le procès qui devait se tenir du 17 au 21 octobre.

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Jackpot pour les actionnaires

Les actionnaires de Twitter peuvent se frotter les mains : Elon Musk accepte d'acquérir la plateforme pour 54,20 dollars l'action, soit largement au-dessus du cours actuel de l'entreprise, qui naviguait autour de 40 dollars dans le mois avant l'annonce. La capitulation de Musk a eu l'effet de booster le cours, qui remontait à 52 dollars dans les échanges post-clôture, soit son plus haut historique depuis que Musk a annoncé son intérêt pour Twitter, début avril. Le 25 avril, le jour où l'entrepreneur a proposé de racheter l'intégralité du réseau social, l'action atteignait 51,70 dollars. Depuis, elle avait chuté jusqu'à 32,65 dollars le 11 juillet -jour où Musk a annoncé qu'il voulait abandonner la transaction-, avant de remonter en septembre entre 38,6 et 43,8 dollars.

Si la perspective d'un rachat volontaire et au prix initialement fixé maintient le cours au-dessus des 50 dollars jusqu'à la finalisation de la transaction, Musk ne paiera pas trop au-dessus de la valorisation réelle de l'entreprise. Mais dans tous les cas les actionnaires feront une très bonne affaire avec un prix à 54,20 dollars l'action. D'autant plus qu'il n'était pas garanti que le cours remonte si haut suite au procès, car les marchés auraient pu être moins enthousiastes à l'idée du rachat si Musk y avait été forcé par le tribunal. En réaffirmant sa volonté de racheter Twitter plutôt que de le subir, Elon Musk a donc certainement fait repartir le cours de Twitter à la hausse en Bourse.

Attention toutefois : ce dossier explosif nous a habitués aux rebondissements. Malgré la volte-face de Musk, le rachat n'est pas encore inscrit dans le marbre. Mardi, le groupe a confirmé dans un bref communiqué « avoir reçu la lettre » et avoir l'intention « de conclure cette transaction » au prix défini. Le vote des actionnaires, nécessaire à l'aboutissement de la transaction, a été obtenu mi-septembre. « Les seules étapes qui restent à passer avant l'aboutissement de l'acquisition sont la satisfaction des conditions suspensives restantes, c'est-à-dire la validation de certains contrôles comme l'autorisation par l'autorité de la concurrence américaine », décrypte Pierre-Emmanuel Perais, spécialiste des fusions-acquisitions, auprès de La Tribune.

Le procès était à l'avantage de Twitter mais tout le monde aurait perdu

Malgré tout, Twitter peut pousser un grand ouf de soulagement. Même si le contrat signé par les deux parties en avril était très solide et n'offrait aucune porte de sortie à Elon Musk, celui-ci avait quand même trouvé un angle d'attaque situé dans une zone grise du droit. En accusant Twitter de mentir sur le nombre de faux comptes - 20% selon Musk, 5% selon Twitter -, le milliardaire estimait que les conditions pour mener à bien la transaction n'étaient plus remplies.

Musk était incapable de prouver son estimation de 20%, mais le CEO de Twitter, Parag Agrawal, avait lui-même estimé que la méthodologie de Twitter était faillible. Elon Musk était même aidé par la révélation, fin août, des « Twitter files » : un lanceur d'alerte, ancien chef de la sécurité, accusait le réseau social de dissimuler de graves problèmes de cybersécurité aux régulateurs, confirmant par ricochet que Twitter pouvait mentir. Dans ce contexte, il était donc raisonnable de penser que Musk avait tout de même des arguments pour obtenir, au minimum, un petit rabais sur le prix.

D'après les analystes consultés par La Tribune, le procès du 17 au 21 octobre pouvait avoir trois issues. La première était la victoire amère de Twitter : le tribunal s'en tenait au contrat, constatait l'impossibilité pour Musk de prouver ses accusations, et forçait le milliardaire à racheter le réseau social au prix prévu en avril, soit 44 milliards de dollars. Mais forcer l'acheteur aurait été dévastateur pour l'image de Twitter et pour inspirer la confiance dans le futur de l'entreprise. La deuxième issue possible du procès était une renégociation du prix : le tribunal donnait raison à Twitter sur le fond mais accordait à Musk une ristourne. Mais l'image de Twitter comme celle de Musk, tout de même forcé à racheter contre son désir, aurait été écornée. La troisième possibilité, très improbable, était la victoire de Musk donc l'annulation pure et simple du deal, avec des pénalités payées par Musk à Twitter. Mais Twitter s'en serait retrouvé extrêmement fragilisé et Musk aurait certainement dû payer beaucoup plus cher qu'un milliard de dollars, sans compter les dégâts sur sa réputation.

En s'évitant le procès et en acceptant de payer le prix fort, Elon Musk s'évite l'embarras d'une défaite probable. Et même si ce nouvel épisode ne va pas améliorer sa réputation chaotique, il évite de donner l'image qu'il subit le rachat. Avaler Twitter redevient ainsi un choix et une volonté, plutôt qu'une injonction d'un tribunal. Ce qui est de nature à donner confiance : le titre de Twitter prenait plus de 22% à la clôture de la Bourse de New York suite à la révélation de cette nouvelle volte-face.

Twitter deviendra-t-il un des services d'un futur WeChat à l'américaine ?

Si les actionnaires de Twitter sont les grands gagnants, difficile de dire si le rachat va être une bonne nouvelle pour Twitter en tant que tel. Car jusqu'à présent, le modèle économique d'Elon Musk pour Twitter partait du principe que la plateforme avait de grosses marges de manœuvre pour monétiser son audience parce qu'elle avait 20% de faux comptes. Or, si elle en a effectivement 5% ou aux alentours, comme le clame Twitter depuis des années, c'est une autre affaire.

De manière générale, Elon Musk s'est contenté d'affirmations vagues sur le potentiel économique formidable de Twitter, mais il n'a pas présenté de business plan crédible. Son mantra de « restaurer la liberté d'expression » se heurtera à la réalité : à la fois celle de Twitter qui n'est pas aujourd'hui un espace de censure malgré les affirmations de Musk, et qui fait partie des plateformes qui modèrent le moins et le moins efficacement ; et celle de la régulation, qui va dans le sens d'un contrôle plus strict des contenus publiés sur les plateformes, afin de mieux lutter contre la désinformation et le cyber-harcèlement.

Le multimilliardaire n'a pas expliqué pourquoi il avait subitement changé d'avis. Il s'est simplement fendu d'un tweet cryptique : « Acheter Twitter est un accélérateur pour créer X, l'appli pour tout ». Un modèle qui fait penser à celui de l'application chinoise WeChat, qui permet de tout faire sur Internet au sein d'une même appli : téléphoner, envoyer des messages, faire du shopping en ligne, réserver un restaurant ou acheter des produits financiers. Comment Twitter pourrait-il s'intégrer dans le futur WeChat d'Elon Musk ? Mystère.

En appelant cette appli pour tous X, l'entrepreneur fait référence à X.com, startup de services bancaires en ligne qu'il avait cofondée en 1999, et qui a été intégrée par la suite à PayPal, qu'il a également cofondée. Le patron de Tesla (voitures électriques), SpaceX (fusées) et Neuralink (implants cérébraux) a racheté le nom de domaine en 2017...

En août, interrogé sur Twitter sur la possibilité de créer son propre réseau social, il a répondu « X.com ». « J'ai une sorte de grande vision pour ce que X.com ou l'entreprise X aurait pu être (...) Je n'ai pas besoin de Twitter, mais Twitter pourrait probablement l'accélérer de trois ans. Je pense que c'est quelque chose qui pourrait être très utile pour le monde », a-t-il aussi élaboré lors de l'assemblée générale de Tesla.

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 05/10/2022 à 19:01
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Une fake news pour sortir du capital de Twitter par le haut tout en gagnant du temps pour organiser sa défense?

le 06/10/2022 à 0:21
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Non, je pense que cette fois-ci il s'est planté. A 54 $ , 10 $ au dessus de la moyenne des six derniers mois, c'est une (vraie) dizaine de milliards de dollars qui part en fumée.

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