Sécurisation et régulation de l'espace numérique : ce qu'il faut retenir du projet de loi de Jean-Noël Barrot

Le ministre délégué au numérique Jean-Noël Barrot va présenter demain matin en conseil des ministres son projet de loi de régulation et de sécurisation de l'espace numérique. Ce grand chantier vise à rétablir la confiance des citoyens dans le numérique avec plusieurs mesures phares comme le filtre anti-arnaque, le blocage des sites pornographiques qui ne vérifierait pas l'âge des visiteurs ou encore la fin des frais de transfert dans le cloud. Décryptage.
François Manens
Le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications va présenter son plan pour rendre Internet plus sûr.
Le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications va présenter son plan pour rendre Internet plus sûr. (Crédits : DR)

C'est le grand chantier du mandat de Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications : le projet de loi visant à « réguler et sécuriser l'espace numérique » sera présenté ce mercredi matin en conseil des ministres. Condensé de plusieurs mesures discutées ces derniers mois, il vise à éradiquer les comportements qui « sapent la confiance des citoyens dans le numérique et leur font questionner la transition numérique », dixit le ministre, lors d'une conférence de presse.

Le texte, présenté comme transpartisan, adresse pêle-mêle les problèmes du phishing, du cyberharcèlement, de l'accès à la pornographie par les mineurs ou encore de la concurrence sur le marché du cloud. Le projet se nourrit des récentes textes européens de régulation des plateformes (le DSA et le DMA), de rapports parlementaires (sur la souveraineté numérique et sur la pornographie), et de contributions du conseil national de la refondation (la consultation citoyenne lancée fin 2022). Les mesures qu'il porte -encore imprécises sur certains détails techniques- devraient être discutées au parlement dès cet été.

Des mesures pour « protéger le citoyen »

Comme le rappelle le ministère, la cybermalveillance frappe avant tout les citoyens les plus vulnérables : personnes âgées, enfants et personnes moins éduquées aux enjeux du numérique. « 18 millions de français en ont été victimes d'un acte cybermalveillant, dont la moitié a perdu de l'argent ou subi une usurpation d'identité au passage », chiffre Jean-Noël Barrot.

Pour adresser ce problème et « couper le mal à la racine », le projet de loi prévoit la mise en place d'un filtre anti-arnaque, un dispositif issu d'une promesse de campagne d'Emmanuel Macron, dont les contours ont été esquissés fin 2022. Concrètement, il prendra la forme de message de prévention envoyé par les navigateurs (Chrome, Safari, Edge, Firefox...) ou les fournisseurs d'accès à Internet (Orange, Free, Bouygues...) lors de la visite d'un site malveillant. Pour déterminer quels sites bloquer, le dispositif s'appuiera sur une liste noire constituée en temps réel par les différentes autorités cyber, comme le Cybergend, l'OCLCTIC ou encore l'AMF. Avec ce filtre, le gouvernement espère empêcher les épidémies de victimes d'arnaques au colis, à la Carte vitale ou encore à la vignette Crit'Air, entre autres.

Le texte prévoit également d'alourdir les sanctions contre un autre fléau de la présence en ligne,  le cyberharcèlement. Si une personne est reconnue coupable, elle recevra une peine complémentaire de bannissement des réseaux. « L'objectif est de mettre fin au sentiment d'impunité en ligne en enlevant les chefs de meutes de l'équation, à l'image de ce que fait le dispositif des interdits de stade », précise le ministre. Dernière mesure de ce volet du protection des citoyens : l'encadrement les jeux numériques très spéculatifs, notamment liés au web3, afin d'éviter l'accès aux mineurs et de prévenir les mécanismes de blanchiment d'argent.

Forcer les sites pornographiques à vérifier l'âge des visiteurs

Autre grand chantier du projet de loi : l'accès à la pornographie par les mineurs. Le ministre constate qu'à 12 ans, un tiers des enfants français a déjà été exposé, avec des répercussions psychologiques. « Les sites pornographiques ne vérifient pas l'âge malgré la loi [de 2020, ndlr]. Ils préfèrent les recettes publicitaires et le trafic à la santé des enfants », assène-t-il. Le sujet n'est pas nouveau, et une procédure judiciaire de demande de blocage contre cinq sites est d'ailleurs en cours. Son verdict sera rendu début juillet.

Pour mettre les sites pornographiques au pas, le projet de loi prévoit de donner à l'Arcom, le super-régulateur français des médias et d'Internet, la possibilité de demander lui-même le blocage et même le déréférencement des sites aux fournisseurs d'accès internet et aux moteurs de recherche, suite à une démarche d'à peine quelques semaines. Il intègre également une menace d'amende, pouvant aller jusqu'à 4% du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise visée.

Pour donner aux sites pornographiques un exemple clair d'outil à déployer, l'Arcom travaille depuis plusieurs mois -en s'appuyant sur un avis de la Cnil- à la création de son propre dispositif de vérification de l'âge. Ce dispositif s'appuierait sur « un mécanisme de double anonymat » dont peu de détails ont pour l'instant été présentés. Le ministère précise simplement que « des entreprises mènent des expérimentations » depuis mars.

En outre, le texte prévoit une peine d'un an d'emprisonnement et une amende de 500.000 euros pour les hébergeurs qui ne retireraient pas les contenus pédopornographiques après le signalement par les autorités, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les contenus terroristes.

Casser les pratiques anti-concurrentielles du marché du cloud

Le dernier volet du projet de loi s'attaque à la mainmise des trois géants américains (Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud) sur le marché du cloud. « Nous voulons mettre fin aux abus de position dominante, et en finir avec la loi du plus fort », ambitionne le ministre. Concrètement, le texte prévoit d'interdire les frais de transfert d'un fournisseur de cloud à un autre, une pratique jugée comme anticoncurrentielle -à ne pas confondre avec les frais de migrations, qui couvrent les frais techniques du passage des données d'un serveur à un autre et des réglages techniques nécessaire.

De plus, le projet prévoit d'encadrer la remise de crédit informatique, une pratique très répandue dans ce marché, qui consiste à fournir gratuitement des services cloud aux clients afin de les fidéliser. « Le crédit informatique, s'il est trop important, est de nature à distordre la concurrence. Nous voulons revenir à la logique d'échantillon, qui n'enferme pas l'entreprise dans un cloud », développe le ministère. Par ailleurs, le texte confie à l'Arcep [le régulateur des télécoms, ndlr] de nouvelles compétences pour accroître l'interopérabilité entre les différents cloud, et donc faciliter le passage d'un fournisseur à un autre. « La réussite de cette mesure dépendra du standard choisi et de son application », précise le ministère.

François Manens

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Commentaires 3
à écrit le 10/05/2023 à 12:10
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Emmanuel Macron, par l’intermédiaire de ses ministres, multiplie actuellement les annonces. Attention il s’agit d’annonces c’est-à-dire que peu importe quel sera le résultat final des mesures, le but étant d’annoncer et de le faire maintenant. Pourqu...

à écrit le 10/05/2023 à 9:29
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"Sécurisation et régulation de l'espace numérique :..." C'est du bavardage nous n'avons aucune souveraineté dans ce domaine donc aucun levier nous sommes à la ramasse des américains par manque de volonté politique d'aller vers une certaine souveraine...

à écrit le 10/05/2023 à 9:23
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Dans le domaine du "numérique", il ne peut y avoir de confiance surtout quand on tente de nous persuader du contraire ! Mais c'est une manne pour des intermédiaires, d'avoir des "pigeons" ! ;-)

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