Zoom cède à la censure chinoise : quand la Silicon Valley s'aplatit face à la Chine

L'entreprise américaine Zoom reconnaît avoir fermé les comptes de militants aux États-Unis et à Hong Kong, qui voulaient utiliser son application de vidéo-conférence afin de commémorer la répression meurtrière chinoise de Tiananmen, à la demande du gouvernement chinois. Zoom s'inscrit dans la droite lignée des géants de la Silicon Valley en Chine, qui se retranchent derrière "le respect de la loi locale" pour préserver leurs intérêts économiques.
Sylvain Rolland
Zoom a cédé à la censure chinoise, comme de nombreuse entreprises de la Silicon Valley avant elle.
Zoom a cédé à la censure chinoise, comme de nombreuse entreprises de la Silicon Valley avant elle. (Crédits : Dado Ruvic)

En se soumettant à la censure chinoise, Zoom montre-t-il qu'il est vraiment entré dans le club des géants mondiaux de la tech ? Dans un communiqué publié jeudi soir, l'entreprise américaine de visioconférence, qui a explosé à la faveur du confinement, a reconnu avoir cédé aux demandes du gouvernement chinois de fermer certains comptes de militants aux États-Unis et à Hong Kong. La raison : ces activistes voulaient utiliser Zoom pour commémorer le 31ème anniversaire de la répression meurtrière chinoise de la place Tiananmen qui, dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, avait mis fin à sept semaines de manifestations pro-démocratie en Chine.

Cette confirmation intervient alors que Lee Cheuk-yan, qui préside l'Alliance Hong Kong, laquelle organise tous les ans la veillée à Hong Kong qui commémore la répression de Tiananmen, a indiqué jeudi à l'AFP que son compte Zoom avait été suspendu depuis le 22 mai, après qu'il eut tenté d'organiser une conférence en ligne sur l'influence de la Chine dans le monde.

«Le compte avait été suspendu avant que la discussion ne débute. J'ai demandé à Zoom les raisons de cette censure politique mais on ne m'a jamais répondu», a-t-il dit.

Son organisation avait pu auparavant tenir deux autres conférences en ligne «sans aucun problème», a précisé M. Lee. Privé d'accès à Zoom, il s'était rabattu sur Facebook et YouTube, qui sont accessibles à Hong Kong mais interdits en Chine, a-t-il expliqué. Trois autres militants des droits de l'homme, aux États-Unis et à Hong Kong, ont aussi annoncé que leurs comptes ont été fermés, puis rouverts.

Zoom se retranche derrière la loi mais reconnaît une "erreur"

"Comme toute société planétaire, nous devons respecter les lois en vigueur dans les juridictions où nous opérons", a indiqué Zoom en début de semaine. Dans son communiqué plus détaillé jeudi soir, l'entreprise explique avoir été alertée par le gouvernement chinois sur la tenue prévue de quatre réunions publiques en ligne pour commémorer Tiananmen.

"Le gouvernement chinois nous a informé que cette activité était illégale en Chine et a demandé à Zoom de supprimer les réunions et les comptes les accueillant", explique l'entreprise californienne, qui souligne avoir agi contre des rencontres auxquelles participaient des utilisateurs de Chine continentale. "En l'espèce, nous avons pris la décision de mettre fin à trois des quatre rencontres et de suspendre ou supprimer les comptes hôtes associés à ces trois rencontres", selon son communiqué.

Zoom reconnaît que sa réponse "était un échec" et "n'aurait pas dû toucher des utilisateurs hors de Chine continentale". L'entreprise a depuis réactivé les trois comptes et va se doter d'outils permettant de bloquer ou retirer des participants venus de certains pays. "Zoom ne permettra pas aux demandes du gouvernement chinois d'avoir un impact sur quiconque en dehors de la Chine continentale", assure-t-elle. Mais l'entreprise ajoute que sa technologie actuelle ne lui permet pas de "retirer des participants spécifiques d'une rencontre ou de bloquer les participants venus d'un pays donné".

Les revirements de Google et d'Apple en Chine

Popularisée durant le confinement lié à la pandémie de coronavirus, Zoom se retrouve au cœur d'inquiétudes pour la liberté d'expression. Mais elle n'est pas la première entreprise occidentale à céder à la censure chinoise, loin de là. Pour accéder à l'immense marché chinois, la plupart des géants de la tech se sont montrés prêts à quelques compromis sur leurs valeurs.

Google et Apple en sont les meilleurs exemples. Présent en Chine de 2006 à 2010, le moteur de recherche avait conquis 36% de parts de marché face au concurrent local Baidu, avant de quitter le pays. La raison ? La découverte, fin 2009, d'une vaste opération de piratage, visant notamment les boîtes mails de défenseurs des droits de l'homme et d'activistes tibétains. Un scandale qui venait s'ajouter à des critiques ciblant le moteur de recherche, accusé d'avoir censuré certains résultats à la demande du gouvernement.

Mais l'appât du gain a failli être le plus fort. En août 2018, le site américain The Intercept révélait que Google travaillait sur le projet Dragonfly : un moteur de recherche spécialement conçu pour la Chine, respectant toutes les règles de la censure de Pékin, c'est-à-dire "blacklistant" tous les termes concernant les droits de l'homme, la démocratie, la religion et les manifestations, et déréférençant tous les sites bannis par les autorités chinoises. "Nous tenons à notre mission de fournir de l'information au monde entier, et la Chine représente 20% de la population mondiale", avait justifié, fin 2018, Sundar Pichai, le directeur général de Google, tout en se retranchant derrière "le respect de la loi dans tous les pays" pour balayer les accusations de complaisance envers la censure. Mais cette révélation a fait l'effet d'une bombe. Face aux polémiques et à des manifestations de salariés en interne, Sundar Pichai a annoncé en juillet 2019 l'abandon du projet.

Les droits de l'homme supérieurs au droit national

La relation d'Apple avec la Chine montre toute la complexité de l'équation "business/valeurs" pour les géants du Net. En 2015, la firme à la pomme revendiquait 15% du marché des smartphones en Chine (elle serait aujourd'hui autour de 10%). À ce titre, l'entreprise reçoit des pressions pour supprimer des applications de l'App Store chinois, notamment les fameux VPN qui permettent de faire passer le trafic par un serveur situé dans un autre pays que celui où est l'internaute, pour contourner la censure et accéder à des sites interdits dans le pays. En 2017, Apple a ainsi reconnu avoir retiré de son App Store chinois une soixantaine d'applications de VPN. Et comme Google en 2018 ou Zoom en 2020, le groupe invoquait le respect de la législation chinoise. Il faut aussi noter que Apple est dans une situation de dépendance économique envers la Chine, car la plupart de ses iPhones y sont assemblés et l'entreprise utilise aussi des composants de constructeurs chinois.

Mais la ligne de défense des géants du Net américains pour céder à la censure -et préserver leurs intérêts économiques- est jugée fallacieuse par les organisations de défense des libertés. En 2017, suite au scandale Apple, Amnesty International rappelait que le droit international supplante les législations locales :

"Les entreprises ont la responsabilité de respecter le droit international, quelle que soit la situation en matière de respect des droits de l'homme dans un pays en particulier. En bloquant l'accès aux VPN pour ses clients chinois, Apple n'est pas à la hauteur de cette responsabilité", taclait l'organisation dans un billet de blog en août 2017.

La Chine fait effectivement partie des signataires de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, dont le respect par le pays est une source de préoccupation majeure depuis des décennies.

Sylvain Rolland

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Commentaires 7
à écrit le 15/06/2020 à 21:43
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boycott de cette cie, j'achèterai pas leur produit à elle de choisir ....

à écrit le 13/06/2020 à 7:53
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Bon, j'avais déjà le modèle de base, j'attendais d'acheter le H6, bon ben du coup moi aussi je fais pareil qu'eux, le matériel pour un artiste n'est qu'un outils, aussi fort soit t'il ne dit rien de ce qu'artiste attise, le mot le sens et l'action! ...

à écrit le 12/06/2020 à 21:22
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Des tigres de papier...

à écrit le 12/06/2020 à 13:07
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Par contre, la, il y a moins de scrupule : Une vague massive de licenciements 2.0 qui fait froid dans le dos : Uber a licencié en trois minutes pas moins de 3 500 employés des services clientèle et recrutement lors d'une téléconférence Zoom !

à écrit le 12/06/2020 à 12:04
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Plus une défaite de la Chine qui expose au final avoir du mal à contenir le mécontentement de sa population qu'un recul de ces multinationales qui sont déjà infiltrées au sein du système chinois. Politiquement c'est encore un point pour les améri...

le 13/06/2020 à 12:08
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je crains plutôt que ce soit le système chinois qui s infiltre à bas bruit dans les multinationales

le 14/06/2020 à 10:07
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En UE ça fait longtemps que les chinois sont un peu partout mais plus facile d'infiltrer une civilisation en déclin qu'une véritable puissance politique comme les états unis ou la Russie. Les américains ont une telle avance et ont toujours tout f...

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