Introductions en Bourse : très bon cru 2020 pour la tech malgré la crise

Malgré une crise économique historique, 2020 est bien partie, contre toutes attentes, pour être une année record en matière d’entrées en Bourse à Wall Street pour la tech américaine. Le deuxième semestre est même particulièrement dynamique avec les IPO de Snowflake, Palantir, Airbnb ou encore DoorDash. Une anomalie ? Pas vraiment. Et 2021 promet de partir sur des chapeaux de roues.
Malgré la crise, la Silicon Valley est bien partie à l'assaut de Wall Street en 2020, et 2021 s'annonce sous de bons augures.
Malgré la crise, la Silicon Valley est bien partie à l'assaut de Wall Street en 2020, et 2021 s'annonce sous de bons augures. (Crédits : Brendan McDermid)

Le sort sait se montrer ironique. Dans la Silicon Valley, 2019 devait être l'année des entrées en Bourse (IPOs) et s'était finalement avérée décevante, avec des introductions largement médiatisées mais moins performantes que prévu (Uber, Lyft), et d'autres repoussées aux calendes grecques (le fiasco WeWork), ce qui avait fait naître de nombreuses discussions autour d'une potentielle bulle dans l'industrie des nouvelles technologies. Etant donné le contexte de crise économique mondiale entraînée par la pandémie de la Covid-19, on aurait pu s'attendre à ce que 2020 soit une bien piètre année en la matière. Et pourtant, elle est au contraire bien partie pour s'avérer un excellent cru pour Wall Street, avec un nombre record d'entrées en Bourse dans l'industrie de la tech.

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Très impacté par la crise, Airbnb va quand même entrer en Bourse

Le second semestre s'avère particulièrement fertile. En septembre, plusieurs grosses entreprises de logiciel de la Silicon Valley, dont Snowflake (spécialisée dans le cloud), Palantir (entreprise de traitement des masses de données fondée par Peter Thiel), Asana (gestionnaire de communication d'équipes) et Unity (moteur de jeux vidéo), sont entrées en Bourse, réalisant toutes de bonnes performances.

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Une deuxième vague, également issue de la Silicon Valley, mais constituée cette fois-ci d'entreprises BtoC, vient désormais compléter le tableau. Elle compte notamment Airbnb, qui après avoir à plusieurs reprises repoussé l'échéance, semble cette fois-ci déterminé à entrer à Wall Street. Mais aussi DoorDash, dont le modèle centré sur la livraison de repas a largement bénéficié de la pandémie, Roblox, une plateforme de jeux vidéo dont le confinement a également fait les choux gras, Affirm (qui propose des crédits à la consommation) et Wish (une place de marché de produits numériques à prix cassés).

Le cas Airbnb peut paraître paradoxal. L'entreprise n'a pas bénéficié de la pandémie, bien au contraire : elle a dû licencier 1.900 personnes, soit un quart de ses employés, emprunter deux milliards de dollars pour rembourser les hôtes confrontés à une cascade d'annulations, et sa valorisation a été amputée de 16%, tombant à 26 milliards de dollars.

Cependant, Airbnb a aussi su rapidement adapter son modèle d'affaires pour surfer au mieux sur la crise. Dès le mois d'avril, anticipant d'importants changements dans les attentes de ses clients, l'entreprise a mis l'accent sur les locations situées à courte distance et en milieu rural, permettant aux citadins, à l'approche de l'été, de prendre l'air sans risquer d'attraper le virus. Aux États-Unis, les hôtes proposant des locations en milieu rural ont engrangé 200 millions de dollars rien qu'au mois de juin, un bond de 25% par rapport à l'année précédente. Ainsi, après avoir vu ses revenus chuter de 72% au second trimestre par rapport à la même période l'an passé, l'entreprise est parvenue à générer un profit de 219 millions de dollars au trimestre suivant.

"Lorsqu'il s'agit de participer ou non à une entrée en Bourse, les investisseurs ne regardent pas en arrière, mais s'intéressent aux perspectives d'avenir. La façon dont une entreprise s'est comportée face à une crise en dit long sur son management, et il s'agit certainement d'un élément que les investisseurs sauront prendre en compte", affirme Lise Buyer, fondatrice de Class V Group, un cabinet de conseil spécialisé dans les entrées en bourse.

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DoorDash, Roblox, Wish : la pandémie leur a ouvert une fenêtre de tir malgré des doutes sur leur modèle économique

DoorDash, Roblox ou encore Wish bénéficient également de plusieurs éléments conjoncturels qui rendent le moment bien choisi pour une entrée en Bourse. Le 3 novembre dernier, les Californiens se sont prononcés contre la Proposition 22, qui visait à obliger les entreprises de la Gig Economy, dont fait partie DoorDash, à classer leurs travailleurs comme des employés plutôt que des indépendants. Une bonne nouvelle pour la jeune pousse, qui aurait dû dans le cas contraire revoir l'intégralité de son modèle d'affaires.

Contrairement à Airbnb, DoorDash a pleinement bénéficié de la pandémie, alors que des millions d'individus confinés se faisaient livrer des plats préparés dans les cuisines des restaurants de leur quartier. L'entreprise de San Francisco a ainsi généré 1,92 milliard de dollars de revenus au cours des trois premiers trimestres de l'année, soit une hausse de 200% par rapport à la même période l'an dernier. En septembre, DoorDash a livré la moitié des repas commandés aux États-Unis, loin devant Uber Eats, qui compte 22% de parts de marché. Mais malgré ces chiffres impressionnants, la jeune pousse demeure loin d'être rentable : elle a ainsi enregistré un déficit net de 149 millions de dollars sur les trois premiers trimestres de cette année.

Les déficits abyssaux sont certes monnaie courante dans la Silicon Valley : en 2018, l'année ayant précédé son entrée en bourse, Uber enregistrait pour sa part une perte de 7,9 milliards de dollars. Mais dans le sillage de DoorDash se pose la question de la rentabilité des entreprises de la Gig Economy, qui pour certains investisseurs sont condamnées à être structurellement déficitaires, leur modèle très coûteux en main d'œuvre ne leur permettant pas de générer des profits. D'autant que DoorDash bénéficie actuellement d'une conjoncture très favorable qui pourrait se retourner au cours des années à venir avec la fin de la pandémie. Pour accroître sa rentabilité, l'entreprise prévoit d'aller au-delà de la livraison de nourriture et de proposer un service de livraison universel, un changement timidement amorcé au début de la pandémie, lorsque l'entreprise s'est mise à livrer masques, gants et gel désinfectant.

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Roblox, un jeu vidéo freemium (le jeu est gratuit, mais les joueurs peuvent y réaliser des achats) et massivement multijoueur, a lui aussi bénéficié de la pandémie et du confinement. Le total mensuel dépensé par les joueurs a pour la première fois dépassé les 100 millions de dollars en mai dernier, et l'entreprise prévoit de doubler sa récente valorisation à quatre milliards de dollars lors de son entrée en bourse.

Enfin, tout comme Amazon, Wish, qui vend des appareils électroniques à prix cassés et compte plus de 70 millions d'utilisateurs actifs, a également vu son chiffre d'affaires augmenter durant la pandémie. L'entreprise est toutefois l'objet de nombreuses critiques de la part d'utilisateurs qui dénoncent un grand nombre d'arnaques et de produits de mauvaise qualité. "J'ai des doutes sur l'avenir de Wish, leur modèle économique me semble quelque peu bizarre", commente Richard Holway, le président du cabinet de conseil spécialisé dans les nouvelles technologies TechMarketView.

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Effet boule de neige pour les entreprises tech à Wall Street

Cette nouvelle vague d'entrée en Bourse montre en tout cas combien l'industrie des nouvelles technologies est l'un des rares secteurs à s'être très bien tiré de la pandémie, ce qui engendre un effet boule de neige en sa faveur à Wall Street.

"La Covid-19 a donné un coup de pouce aux valorisations boursières des entreprises des nouvelles technologies, le confinement ayant accru notre dépendance à celles-ci, qu'il s'agisse du travail et de l'école à distance ou des loisirs (jeux vidéo, Netflix, etc). Mais à l'heure où nombre d'industries ont été gravement touchées, le monde des nouvelles technologies sert aussi de valeur refuge pour les investisseurs, qui rechignent à voir leur argent demeurer à la banque sans rien rapporter », résume Richard Holway.

Si certains changements dans nos comportements sont amenés à disparaître avec la pandémie, d'autres, comme le recours accru au télétravail, ont vocation à demeurer. Un récent rapport de McKinsey affirmait ainsi que le coronavirus avait accéléré la transition digitale d'environ trois années. Dans ce contexte, il y a fort à parier pour que 2021 s'avère également une bonne année pour les entrées en bourse. "Tant que le marché se porte bien et que la volatilité demeure sous contrôle, il est probable qu'un grand nombre d'entreprises préparent une IPO pour 2021", prédit Lise Buyer.

Plusieurs startups bien en vue ont d'ores et déjà annoncé leur probable entrée en bourse pour le début d'année. C'est le cas de Robinhood, une application de trading issue de la Silicon Valley, qui mise sur une interface intuitive couplée à l'utilisation de certains codes du gaming pour démocratiser l'investissement financier et séduire les jeunes utilisateurs. Elle aussi a bénéficié de la pandémie et du confinement, alors que nombre d'individus désœuvrés se ruaient sur sa plateforme : sur les 13 millions d'utilisateurs que compte l'application, trois l'ont installée durant les quatre premiers mois de l'année.

Instacart compte aussi faire son entrée à Wall Street début 2021. Spécialisée dans la livraison depuis les supermarchés, la jeune pousse de San Francisco a vu son utilisation croître largement avec la pandémie, alors que de nombreuses personnes à risque y recouraient pour ne pas s'exposer. "Je ne m'étais jamais fait livrer mes courses auparavant, mais ce service me permet aujourd'hui de continuer à cuisiner sans prendre le risque de me rendre au supermarché" confie Brett, habitant de San Francisco atteint d'une fragilité pulmonaire qui le rend particulièrement vulnérable au virus. Mi-avril, au cœur de la pandémie, la startup affirmait que les commandes étaient dix fois supérieures à la moyenne, et même vingt fois dans des métropoles comme New York et San Francisco.

Ajoutons encore l'éditeur de logiciel UiPath et l'application de rencontres Bumble, qui se préparent également à entrer en Bourse en début d'année, et l'on comprend que 2021 pourrait bien démarrer sur les chapeaux de roue pour l'industrie de la tech.

"Je suis de plus en plus optimiste pour 2021 et 2022. Des entrées en bourse nombreuses et réussies sont un excellent signal pour la santé de l'économie", s'avance Richard Holway.

Loin de constituer une bulle, l'industrie émet ainsi un signal positif pour l'économie et annonce une reprise générale plus rapide que prévue.

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Commentaire 1
à écrit le 05/12/2020 à 2:48
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Le cirque médiatique des IPO est une opportunité pour les fondateurs de sortir par le haut du capital de startup déficitaires tout en continuant de se verser des rémunérations exorbitantes contribuant à gonfler la bulle immobilière dans la silicon va...

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