L’État s’intéresse enfin à la mine d’or de l’e-sport

Le développement rapide et spectaculaire des compétitions de sport électronique, ou e-sport, pousse le gouvernement à mettre fin au flou juridique qui entourait jusqu’à présent ce secteur qui pèse 600 millions d’euros dans le monde et devrait atteindre 1 milliard d’euros d’ici à 2017.
Sylvain Rolland
La joueuse française Kayane, championne du monde de Super Street Fighter IV, détient aussi le record du monde du nombre d'occurrences dans le Top 3 des compétitions de jeux de combat, selon le Guiness des record 2012

Ils s'appellent Elky, Kayane, Brian, Dina ou encore Soaz. Vous ne les connaissez peut-être pas encore, mais ces Français, pour la plupart assez jeunes, sont des stars, parfois mondiales, de leur discipline. Leur discipline ? StarCraft II, Street Fighter IV, Call of Duty, League of Legends, Heartstone ou encore Just Dance. De simples jeux vidéo pour geeks asociaux aux yeux des profanes. De véritables institutions, capables de déchaîner des milliers de fans dans des agoras bondées, pour les plus éclairés. Et un secteur économique florissant pour l'État.

Le 24 mars dernier, le député centriste Rudy Salles et le sénateur socialiste Jérôme Durain ont donc remis à Axelle Lemaire, la secrétaire d'État au numérique, leur rapport d'étape sur la reconnaissance juridique de l'e-sport. La version finale sera dévoilée le 15 avril et ses propositions seront intégrées à la loi numérique d'Axelle Lemaire, qui devrait être votée courant mai par le Sénat.

600 millions d'euros dans le monde, 1 milliard en 2017

Qu'est-ce que le e-sport ? À mi-chemin entre le sport « traditionnel » et les jeux d'argent en ligne, il s'agit de compétitions de jeux vidéo. Les meilleurs joueurs font de cette activité un métier, à l'image des sportifs de haut niveau. De nombreux jeux, créés par les plus grands éditeurs mondiaux comme Blizzard, Electronic Arts, Konami, Valve, Microsoft ou encore le français Ubisoft, donnent lieu à des compétitions, qui se divisent en sept grandes familles. Il y a les jeux de tir (Call of Duty, Halo, Counter Strike...), les "arènes multijoueurs" (League of Legends, Heroes of the Storm...), les jeux de stratégie (Warcraft III, StarCraft II...), ceux de combat (Street Fighter), les simulations de football (FIFA, Pro Evolution Soccer) et même des jeux de danse (Just Dance) et de cartes (Heartstone).

Ces quatre dernières années, le e-sport a pris une ampleur incroyable. Quelques chiffres suffisent pour se faire une idée du phénomène. Aujourd'hui, près de 200 millions de fans dans le monde regardent tous les jours des entraînements ou des compétitions de jeux vidéo en ligne, dont 4,5 millions de Français. Les revenus liés à ces compétitions sont estimés à 600 millions d'euros en 2015, soit une progression de 30% sur un an, et devraient atteindre 1 milliard d'euros en 2017.

Selon Mathieu Dallon, le dirigeant de la société Oxent, qui met à la disposition des organisateurs de compétitions une plateforme logicielle, 700.000 tournois ont été organisés dans le monde en 2015, contre 400.000 en 2014. Comme dans les sports de haut niveau, une minorité parvient à en vivre très confortablement. Environ 300 joueurs dans le monde gagnent plus de 100.000 dollars par an, tandis qu'une dizaine dépassent le million.

De son côté, la France compte environ 850.000 joueurs occasionnels, dont près de 400.000 joueurs réguliers, selon les chiffres du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir (SELL). Le pays accueille de nombreuses compétitions, même si les plus importantes se jouent aux Etats-Unis et, surtout, en Asie. Mais si l'Hexagone s'impose comme le 7è acteur mondial de l'e-sport, le potentiel de cette économie reste encore largement sous-exploité, indique Axelle Lemaire.

"La France dispose d'une industrie du jeu vidéo dynamique, des fleurons reconnus internationalement, d'une communauté de gamers dynamique et nombreuse... Bref, il y a une opportunité à saisir".

Sortir le e-sport de sa clandestinité

Pour favoriser l'essor de ce secteur économique prometteur, il faudra créer un statut juridique spécifique, apte à faire sortir le e-sport de sa clandestinité. Car jusqu'à présent, les compétitions de jeux vidéo étaient assimilées à des loteries : elles étaient donc théoriquement interdites par la loi, bien que tolérées. Ce statut "bâtard", selon Axelle Lemaire, freinait les organisateurs de tournois autant que les sponsors, qui ne pouvaient afficher leur logo dans les compétitions télévisées.

De plus, ce flou juridique s'accompagne d'une absence de statut social pour les joueurs professionnels, ce qui les empêche de cotiser sur leurs revenus comme le font les sportifs. "L'État ne peut plus ignorer un secteur si important, autant socialement qu'économiquement", expliquait Rudy Salles lors de la remise du rapport. Les priorités de l'État sont donc claires : "sécuriser juridiquement l'organisation des compétitions, clarifier le statut social des joueurs, protéger les mineurs et encourager le développement du secteur en France", a énoncé le député.

Cadre juridique clair, diffusion TV, protection des mineurs

Les mesures préconisées par le rapport rencontrent un écho très positif auprès de la communauté. La première -et la plus importante-, vise à exempter les compétitions de jeux vidéo du principe général d'interdiction des loteries. Cet assouplissement devrait permettre de mieux organiser les compétitions, de faciliter leur diffusion télévisée et d'attirer les sponsors, tout en encadrant par la loi ces pratiques. Le rapport pose également les bases vers la création d'une véritable fédération du e-sport, sur le modèle des fédérations sportives. Pour l'heure, il s'agirait d'une commission spécialisée, qui "pourrait être placée au sein du Comité national olympique et sportif français et dotée de prérogatives adaptées", indique Rudy Salles.

De leur côté, la reconnaissance officielle du e-sport devrait enfin donner aux joueurs un statut social spécifique. Un contrat spécifique pourrait être créé, de manière à prendre en compte leurs revenus de la même manière que les sportifs, et de cotiser. Les joueurs mineurs de moins de 16 ans pourraient avoir à réclamer une autorisation parentale, et leurs gains seraient consignés à la Caisse des dépôts, comme cela se pratique pour les enfants-acteurs, mannequins ou sportifs.

Enfin, les joueurs bénéficieraient d'une "politique de visa adaptée". Cela permettrait aux équipes professionnelles de recruter des talents étrangers -comme pour les mercatos sportifs- et de faciliter les déplacements des joueurs français lorsqu'ils vont concourir aux Etats-Unis ou en Asie.

"Enfin une reconnaissance de la société"

Comme la plupart des joueurs, Marie-Laure "Kayane" Norindr, championne du monde de Super Street Fighter IV, voit d'un bon œil les 11 propositions émises par le rapport, et espère qu'elles seront reprises par la loi Lemaire. "Beaucoup de joueurs ont peur des taxes, mais globalement, on ne veut pas rester dans le flou. Ces propositions sont une avancée pour nous", confie-t-elle à La Tribune.

La championne de 24 ans, qui a effectué ses premières compétitions à 9 ans et est passée "semi-pro" à 16 ans, espère aussi que cette « reconnaissance de la société » va changer le regard du grand public sur sa passion :

"Les gens vont peut-être arrêter de nous prendre pour des glandeurs et réaliser que devenir un champion d'e-sport est aussi contraignant et difficile que le parcours des sportifs de haut niveau ».

Sponsorisée depuis 2009 par des marques comme Redbull, Acer et Mad Catz (accessoires pour gamers), la Parisienne, comme les autres champions, s'astreint à une discipline de fer. "Le e-sport à haut niveau exige une énorme concentration, une maîtrise technique parfaite acquise par des heures d'entraînement quotidien, bref des qualités autant physiques -dextérité, réflexes, agilité- que mentales", affirme-t-elle. Dans un documentaire, Alexandre "Pomf" Noci, organisateur de tournois et commentateur d'e-compétitions StarCraft II, confirme. "Les e-sports sont des athlètes, certains s'entraînent plus de dix heures par jour, parfois avec des coach".

Grâce à son écosystème dynamique, la France "pourrait devenir le leader européen du e-sport", estime Axelle Lemaire. La balle est désormais dans le camp du Sénat, qui va s'emparer et débattre des propositions du rapport dans le courant du mois d'avril.

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 06/04/2016 à 8:39
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Résumé du rapport : il faut taxer ! C'est ce qu'ils font de mieux 😉

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