Il s'appelait Charles Griffond, il avait 53 ans. Postier pendant 34 ans dans le Haut-Doubs, il a fini par se suicider. Désespéré, miné par des conditions de travail qu'il ne supportait plus, il a laissé derrière lui deux lettres pour dénoncer les pratiques de son employeur. L'une pour sa famille, et l'autre pour L'Est Républicain. Dans cette missive, publiée fin août par le quotidien régional, il accuse La Poste de l'avoir poussé à bout :
"Depuis trente-quatre ans, j'ai exercé mon métier avec l'amour de mon travail et de mes clients. Mais, depuis quelques années, La Poste a petit à petit détruit ses employés, les vrais postiers, ceux qui avaient le contact avec les gens. En ce qui me concerne, ils m'ont totalement détruit. Depuis décembre 2015, je suis en arrêt de travail et je souffre intérieurement le martyre. Personne, ni de mes collègues ou de ma hiérarchie, n'a pris de mes nouvelles. Alors bougeons avec La Poste et mourrons grâce à La Poste".
"Un vrai souci sur les accidents du travail"
D'après les syndicats de La Poste, les conditions de travail se sont dégradées. A l'AFP, Stéphane Chevet, secrétaire national en charge de La Poste à la CFDT, déplore "un vrai souci sur les accidents du travail au courrier", qui seraient en forte hausse. Il cite notamment "l'absentéisme" et "la charge de travail", qui seraient en forte hausse. D'après RTL, des experts indépendants, désignés par les comités d'hygiène et de sécurité de la Poste, se sont récemment alarmés d'une "dégradation de l'état de santé des agents". Et d'après une enquête menée par la radio, "au moins neuf facteurs se sont suicidés ces trois dernières années". Pour autant, ces chiffres n'émanent pas d'une étude scientifique sur les suicides à La Poste. En France, d'après l'Observatoire national du suicide, il y en aurait environ 10.000 par an, soit 16,7 pour 100.000 habitants.
Reste que le suicide de Charles Griffond en rappelle un autre : celui, en 2009, d'un salarié marseillais de France Telecom (aujourd'hui Orange). Dans une lettre, celui-ci mettait en cause l'opérateur historique. "Je me suicide à cause de mon travail à France Télécom. C'est la seule cause", a-t-il écrit. Avant de dénoncer un "management de la terreur", dans un climat d'"urgence permanente" et de "surcharge de travail".
A l'époque, France Telecom avait connu une vague sans précédent de suicides. L'opérateur, qui a depuis été mis en examen pour harcèlement moral, avait engagé une grande "transformation" pour adapter l'entreprise à l'ère du mobile et de l'Internet. Laquelle visait, notamment, à restructurer le groupe via la suppression de 22.000 postes.
Une négociation à venir au service courrier
Sous ce prisme, on peut se demander si une nouvelle affaire France Télécom n'est pas en train d'émerger. Quoi qu'il en soit, la direction de La Poste a fini par réagir. Ce mardi, elle a annoncé le lancement d'une "négociation nationale avec les organisations syndicales sur les métiers et les conditions de travail des facteurs et des encadrants au sein des activités services-courrier-colis", dit l'AFP. Pour justifier cette décision, le groupe argue qu'il ne s'agit que d'une "suite logique" aux négociations prévues dans le cadre de son actuelle transformation.
Une "suite logique", donc, mais qui intervient pourtant deux petites semaines seulement après une conférence de presse organisée par SUD PTT à Paris. À cette occasion, le syndicat a fait témoigner ses représentants et d'anciens salariés. Leur objectif ? Dénoncer le climat "catastrophique" qui régnerait dans le groupe, relate l'AFP. Lequel serait serait responsable, selon SUD, de plusieurs suicides et graves accidents de santé. Comme cette ancienne salariée de 25 ans en CDD, victime d'un AVC sur son lieu de travail. Éric Talbot, un représentant de SUD PTT, s'en est notamment pris à la "réorganisation" en cours, et aux "méthodes de management de plus en plus contestables".
L'impératif d'une transformation
Une position balayée par la direction, qui affirme "ne pas se reconnaître dans la situation décrite". Et d'ajouter que le groupe est "particulièrement investi dans la santé au travail, et y investit chaque année plus de 30 millions d'euros".
En toile de fond, La Poste s'est engagé dans une profonde réorganisation. Confrontée au déclin inexorable du courrier, son cœur de métier, La Poste taille depuis plusieurs années dans ses forces vives. Rien qu'en 2015, plus de 7.300 postes ont été supprimés, portant ses effectifs à 231.000. Pour se relancer, outre La Banque Postale, le groupe mis gros sur le numérique et tout un éventail de services de proximité. En début de semaine, La Poste a ainsi dévoilé une nouvelle offre de visites aux personnes âgées réalisées par les facteurs pendant leurs tournées.
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