Lobbying et investissements, la recette d’Apple pour conquérir l'Inde

Le Pdg d’Apple, Tim Cook, rentre d’une visite de quatre jours en Inde où il a rencontré le gouvernement et les opérateurs télécoms. Son objectif: lever les barrières qui empêchent la marque à la Pomme de s’imposer dans ce pays-continent d’un milliard d’habitants, promis à devenir le deuxième marché mondial des smartphones. Mais ce ne sera pas si facile.
Sylvain Rolland
Tim Cook, le PDG d'Apple, a effectué une visite de quatre jours en Inde pour se rapprocher des dirigeants et faciliter les ventes d'iPhones dans le sous-continent, qui devrait doubler la Chine d'ici à 2017.
Tim Cook, le PDG d'Apple, a effectué une visite de quatre jours en Inde pour se rapprocher des dirigeants et faciliter les ventes d'iPhones dans le sous-continent, qui devrait doubler la Chine d'ici à 2017. (Crédits : DR)

L'opération séduction de Tim Cook, le Pdg d'Apple, portera-t-elle ses fruits ? Alors que les ventes d'iPhones ont décliné pour la première fois au premier trimestre, la marque à la Pomme se cherche activement de nouveaux relais de croissance, aptes à stopper l'érosion en Bourse du titre Apple.

Le successeur de Steve Jobs a donc passé une grande partie de la semaine dernière en Inde, où il s'est livré à l'exercice de la danse du ventre devant le gouvernement, les opérateurs télécoms et certains acteurs stratégiques, comme les banques. L'objectif : montrer patte blanche, "faire preuve d'humilité et de recul pour mieux comprendre la culture, les attentes des Indiens et du gouvernement", a expliqué le patron d'Apple lors d'une interview accordée à la grande chaîne NDTV. Surtout, Tim Cook était là pour tenter de lever les nombreux obstacles qui empêchent ses iPhones de prospérer dans ce pays-continent de plus d'un milliard d'âmes.

Et pour cause : grâce à l'équipement de la classe moyenne et au déploiement du réseau internet mobile, le marché du smartphone éclot enfin. En 2015, "seulement" 100 millions de terminaux mobiles se sont vendus en Inde, selon le cabinet IDC, mais les ventes devraient doubler d'ici à 2017, l'année où le pays deviendra le deuxième marché mondial des smartphones, derrière les Etats-Unis et devant la Chine. Les constructeurs considèrent donc l'Inde comme un eldorado où tout reste à faire. D'autant plus que la population devrait dépasser celle de la Chine d'ici à 2025. Si Apple pouvait profiter de ce marché prometteur, cela représenterait une bouffée d'air frais salutaire à l'heure où la compagnie n'arrive plus à maintenir son extraordinaire croissance.

     | Lire. Lâché par l'iPhone, Apple face à son problème d'innovation

Apple faiblard en Inde, loin derrière Samsung

Problème : Apple peine à s'implanter en Inde. Les freins législatifs, fiscaux et culturels sont encore trop nombreux pour la marque à la Pomme. Pour preuve, Apple ne pèse que 2,7% du marché indien des smartphones en volume (près de 11% en valeur), alors qu'il navigue d'ordinaire autour de 15-20% dans les autres pays, selon des chiffres du cabinet Stragegy Analytics. La marque à la Pomme est ainsi largement distancée par le sud-coréen Samsung (24%), le chinois Lenovo (9,5%), et les constructeurs locaux comme Micromax (16,7%), Intex (10,8%) et Lava (4,7%). Malgré tout, l'Inde représente un espoir, puisque les ventes d'iPhones y ont progressé de 56% au premier trimestre 2016, essentiellement des vieux appareils, moins chers.

Car le prix reste le principal problème d'Apple en Inde. En raison des taxes très importantes, les iPhones sont vendus plus cher qu'aux Etats-Unis, dans un pays bien plus pauvre et beaucoup moins bien desservi en réseaux, ce qui rend l'expérience utilisateur moins intéressante, avec de nombreuses fonctionnalités inutiles pour les Indiens. Par exemple, l'iPhone 6 coûte 52.000 roupies (680 euros) pour la version 16Go, et 62.000 roupies (810 euros) pour la version 64Go, alors que le salaire moyen s'élève à... 13.600 roupies (180 euros). Nul doute que ces questions ont été abordées lors des rencontres de Tim Cook avec les opérateurs télécoms et avec le Premier ministre, Narenda Modi.

Difficultés pour s'adapter aux spécificités culturelles indiennes

Apple aimerait trouver en Inde le succès qu'il rencontre en Chine, où il a réalisé 59 milliards de chiffre d'affaires au premier trimestre 2016. Mais la marque à la Pomme peine également à s'adapter aux spécificités culturelles locales. "L'Inde est un marché spécial, les habitants ont besoin de produits abordables et adaptés à leur consommation mobile, qui est très différente" en raison du manque de 4G et de réseaux mobiles performants, a relevé le journaliste de NDTV lors de son interview de Tim Cook.

Jusqu'à présent, les réponses d'Apple ont été relativement mal accueillies. En témoigne le refus du gouvernement -pour la deuxième fois- d'autoriser la vente d'iPhones reconditionnés en Inde, pour permettre aux consommateurs de s'offrir un iPhone à un prix réduit. Mais cette tentative a été perçue comme un "affront à la dignité nationale" par le collectif Mobile and Communication Council, qui regroupe la quasi-totalité des autres acteurs du marché du smartphone en Inde (dont Samsung et Micromax). Leurs arguments ont fait mouche auprès du gouvernement.

"Nous n'encourageons pas le fait de se débarrasser de matériaux dangereux en Inde", a expliqué NK Kaul, un porte-parole du gouvernement, à Reuters. Même si Apple promettait que ces smartphones seraient "d'aussi bonne qualité que les neufs", le gouvernement a estimé que cette initiative inonderait le marché avec des produits électroniques usagés, créant un risque environnemental.

Lobbying et opération séduction

Apple n'a donc d'autres choix que de faire du lobbying auprès du gouvernement indien et de mener une grande opération de séduction auprès des médias. D'où le déplacement en personne de Tim Cook la semaine dernière, plus de quarante ans après Steve Jobs, qui s'y était déplacé dans les années 1970.

L'un des combats du Pdg est de convaincre le gouvernement d'infléchir la législation qui impose aux fabricants de s'approvisionner à hauteur de 30% auprès de fournisseurs locaux. Malgré le blocage actuel, Apple n'a pas non plus renoncé à vendre ses iPhones reconditionnés. Enfin, la marque à la Pomme souhaite pouvoir implanter des Apple Store et a cruellement besoin de relais auprès des opérateurs télécoms pour mieux distribuer ses iPhones. Un impératif pour toucher les 400 millions d'Indiens qui devraient s'équiper en smartphones dans les prochaines années.

Lors de son interview télévisée, Tim Cook a donc affiché un masque d'humilité, qualifiant l'Inde de "partenaire" et promettant de nombreux investissements dans le pays. "La démographie et les réformes menées actuellement montrent que l'Inde a un grand futur et Apple veut en faire partie. Nous voulons proposer tous nos services en Inde et être là pour les 100 prochaines années", a-t-il affirmé, entre deux odes aux « incroyables talents » indiens, notamment les ingénieurs et des développeurs d'applications.

Ouverture d'un incubateur de startups et création de 4.000 emplois

Ces douces paroles ont été suivies d'annonces importantes. La première est l'ouverture d'un accélérateur de startups à Bangalore, la capitale indienne de la high tech, en 2017. Une façon d'aider l'écosystème d'innovation en plein boom, mais aussi d'orienter cette innovation vers l'écosystème Apple, puisque cet accélérateur permettra de développer des applications iOS, fonctionnant sous tous les terminaux d'Apple (iPhone, iPad, Apple Watch, Mac...).

La deuxième est l'ouverture d'un centre de recherche et de développement à Hyderabad, en partenariat avec l'entreprise locale RMSI, pour développer le service de cartographie Apple Maps. 4.000 emplois pourraient voir le jour grâce à ce nouveau centre. A l'heure où l'Inde développe une politique industrielle nationaliste, baptisée "Make in India", cette annonce peut s'interpréter comme la volonté d'Apple, qui produit ses iPhones en Chine, de créer de l'emploi local.

     | Pour aller plus loin. Pourquoi l'Inde devient le nouveau paradis des startups

Un chemin de croix

Ces efforts seront-ils suffisants ? Pour réussir en Inde, Samsung et LG sont presque devenues des entreprises indiennes, adaptant leurs produits et leur communication au marché local. Samsung a même annoncé en août dernier sa volonté d'investir 5 milliards de dollars dans la construction d'usines en Inde, alors qu'Apple produit toujours tous ses smartphones en Chine.

De plus, Apple ne s'est jamais distingué par sa souplesse vis-à-vis des nouveaux marchés qu'il aborde. Sa stratégie consiste plutôt à apporter son expertise, son prestige et ses produits de qualité partout et non pas à s'adapter aux spécificités locales. "Je ne crois pas qu'on puisse être ce qu'on est pas. Nous sommes une entreprise californienne et nous le restons partout, que ce soit aux Etats-Unis, en Chine ou en France", a rappelé Tim Cook.

Avant de nuancer. "Mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas écouter les marchés locaux". Quoi qu'il en soit, Tim Cook est reparti d'Inde sans avoir obtenu "le feu vert" pour ouvrir trois Apple Store dans le pays. Il n'a pas non plus obtenu d'assouplissements en ce qui concerne ses iPhones reconditionnés. Conquérir l'Inde n'est pas une chose si aisée.

Regardez l'interview de Tim Cook à la chaîne NDTV, samedi 21 mai:

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 24/05/2016 à 8:02
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Prions pour qu'il se plante

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