La concentration des médias, un fléau pour l'information, alertent Mediapart, Les Jours et Le 1

Lors de leur audition par la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias, Edwy Plenel (Mediapart), Eric Fottorino (Le 1) et Isabelle Roberts (Les Jours) ont fusillé la constitution d’empires médiatiques au profit d’une poignée de fortunes industrielles. Cette « hyper-concentration » du secteur est à l’origine, selon eux, de la défiance d’une grande partie des Français envers la presse et les journalistes, et nuit à l'information, dévorée par l'opinion.
Pierre Manière
Edwy Plenel a dénoncé « les conflits d’intérêts, désormais généralisés, avec des groupes de médias qui accumulent d’autres métiers, d’autres activités ».
Edwy Plenel a dénoncé « les conflits d’intérêts, désormais généralisés, avec des groupes de médias qui accumulent d’autres métiers, d’autres activités ». (Crédits : Reuters)

On a, enfin, parlé de journalisme. Vendredi dernier, la commission d'enquête du Sénat sur la concentration dans les médias a auditionné Edwy Plenel, Eric Fottorino, Isabelle Roberts et Nicolas Beytout, respectivement fondateurs et dirigeants de Mediapart, du 1, des Jours et de L'Opinion. Le point commun de ces patrons de presse : tous sont d'abord, et avant tout, des journalistes. Ils ne sont certes pas toujours d'accord. Loin de là. Mais tous sont de vrais professionnels de la presse, et férus d'information. Ils se situent, en clair, à des années lumières des milliardaires du CAC 40 qui ont fait main basse sur la quasi-totalité des médias français, et qui ont commencé à défiler, la semaine dernière, devant la commission sénatoriale. Ces fortunes industrielles n'hésitent pas, parfois, à afficher leur peu d'intérêt pour cette « activité » des médias si éloignée de leurs juteux business. A l'instar d'un Bernard Arnault, à la tête du géant du luxe LVMH, et propriétaire des Echos et du Parisien. Jeudi dernier, l'homme le plus riche de l'Hexagone n'a pas caché que les médias n'étaient pas sa « spécialité » et qu'il n'y consacrait « qu'assez peu de temps ».

A l'exception de Nicolas Beytout, Edwy Plenel, Eric Fottorino et Isabelle Roberts ont tiré à boulet rouge sur la constitution d'empires médiatiques par ces grands industriels. Edwy Plenel a d'emblée dénoncé « les conflits d'intérêts, désormais généralisés, avec des groupes de médias qui accumulent d'autres métiers, d'autres activités ». Il a cité Vincent Bolloré, à la tête de Vivendi (Canal+, CNews), qui possède par ailleurs le géant de la publicité Havas. Mais aussi LVMH, « premier annonceur de France et propriétaire des Echos et du Parisien ». Ou encore le cas du Figaro, « propriété d'un groupe d'armement [Dassault, NDLR], et qui ne traitera évidemment pas les questions qui mettent en cause ce groupe, notamment dans des scandales de corruption, en Inde par exemple, autour de la vente de Rafales ». Autant d'« incompatibilités » auxquelles il faut mettre un terme, a appelé le cofondateur de Mediapart.

« Les industriels ne sont pas du tout dans le mécénat »

Le problème, a embrayé Eric Fottorino, c'est que ces « industriels ne sont pas du tout dans une sorte de mécénat » vis-à-vis des médias. Leur objectif ? « Faire avancer leurs dossiers économiques et financiers, mais aussi avoir de l'influence, (notamment) politique », a-t-il alerté. « Je crois que si on n'a pas en tête ces deux leviers que ces industriels veulent actionner en possédant des journaux, on est dans l'histoire de la presse racontée à Suzette », a renchéri le fondateur du 1, ancien journaliste et dirigeant du Monde.

Dans ce contexte, enchaîne Eric Fottorino, la consolidation des médias au profit des puissances d'argent finit par miner le travail journalistes. « Je pense que cette presse hyper-concentrée, ces groupes hyper-concentrés, ce sont des lieux où régulièrement, pas tous les jours, on attache la liberté de la presse, l'indépendance et les rédactions », lance-t-il. Selon lui, il ne faut, dès lors, pas s'étonner si la défiance envers les journalistes va crescendo, et n'a jamais paru aussi forte. « II y a une sorte de perception, par nos citoyens, d'une connivence entre la presse et les élites politiques et économiques, l'idée de ne plus être représenté, de ne plus être informé correctement », a-t-il déclaré. Les violentes critiques des « gilets jaunes » à l'égard de la presse et de la télévision sont une illustration, dit-il, de l'« abaissement de la crédibilité » des médias.

« On n'a jamais eu autant de mal à être bien informé »

Ce constat, Isabelle Roberts le partage. Devant les sénateurs, la journaliste a brandi le dernier baromètre de La Croix sur la confiance dans les médias. « Neuf personnes interrogées sur dix considèrent qu'il est important ou essentiel pour le bon fonctionnement d'une démocratie d'avoir des médias et des journalistes indépendants du pouvoir politique et économique, précise-t-elle. Mais un tiers seulement estime que c'est le cas aujourd'hui. » Pour Isabelle Roberts, « on a jamais eu autant de mal à être bien informé ». Elle déplore que, dans leur course à l'audience, tous les grands médias se sont convertis au copier-coller des mêmes dépêches. « Sous cette masse d'informations protéiformes, le lecteur se retrouve asphyxié, noyé dans une info sans mémoire », constate-t-elle.

Surtout, elle rappelle l'avantage de travailler dans un « média indépendant », à l'abri des « pressions »,  et qui n'a de comptes à rendre qu'à ses seuls lecteurs. Elle en veut pour preuve l'enquête fleuve qu'elle a co-écrite sur Vincent Bolloré depuis six ans. Baptisée « L'empire » et dotée de plus de 170 épisodes à ce jour, cette série lève le voile sur la manière dont l'homme d'affaires breton bâtit « une machine de guerre idéologique » au service de l'extrême droite. Elle documente notamment comment sous sa coupe, CNews s'est muée en tremplin pour le polémiste Eric Zemmour, aujourd'hui candidat à la présidentielle.

« Les opinions tuent l'information »

Aux yeux de Plenel, de Fottorino et de Roberts, cette chaîne, qui privilégie l'opinion au dépens de l'information depuis sa mise au pas par Vincent Bolloré, constitue un fléau pour le journalisme. Le fondateur de Mediapart s'est montré particulièrement virulent. « Ce que nous vivons tous de manière sidérée actuellement, c'est comment les opinions sont en train de tuer l'information, a-t-il alerté, avant de cibler des sorties récentes d'Eric Zemmour à la télévision. On peut aujourd'hui dire des énormités sur notre passé, des énormités sur Vichy, des énormités sur la culpabilité de Dreyfus - qui était évidemment innocent -, des énormités sur nos compatriotes de culture, de croyance ou d'origine musulmane, des énormités sur la diversité de notre peuple, des idéologies de l'inégalité naturelle, qui sont radicalement opposées à l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme. Et on peut le dire à antenne déployée. »

Même son de cloche pour Eric Fottorino. Qualifiant les propos du candidat d'extrême droite de « propagande de bas étage », il a fusillé la manière dont Vincent Bolloré a, ce mardi devant la commission du Sénat« feint d'être complètement étranger au contenu de ses antennes, à l'identité de ses chroniqueurs, en particulier d'Eric Zemmour ». Autrement dit, le patron Vivendi, maison-mère de Canal+ et de CNews, « nous prend pour des imbéciles », a-t-il canardé.

L'absence de champions français des médias

En matière de concentration des médias, Nicolas Beytout, lui, a défendu une toute autre vision des choses. Ancien patron des Echos et du Figaro, il est aujourd'hui à la tête du journal libéral L'Opinion, où ont investi « un grand nombre de milliardaires », comme Bernard Arnault (via LVMH), les Bettencourt, le financier américain Ken Fisher, le magnat des médias Rupert Murdoch, ou encore Claude Perdriel. Dans son cas, Nicolas Beytout juge que « cette présence d'un grand nombre d'actionnaires très puissants », lesquels « se neutralisent les uns les autres », lui confère in fine « une extraordinaire liberté ».

A l'en croire, tous les précédents et anciens dispositifs législatifs visant à limiter la concentration des médias ont précipité leurs difficultés. C'est, d'après lui, ce qui explique que la France ne dispose pas de « champions mondiaux » dans ce domaine. « Les journaux sont donc restés petits, sans grands moyens, a-t-il déclaré. Ils ont peu investi. Et personne, ou presque, n'a pu développer de stratégie de croissance. Aujourd'hui, nous aboutissons à l'inverse exactement de ce qui était recherché : il y a moins de journaux, moins de journalistes dans les journaux qui survivent. Mais on s'interroge quand même sur la concentration des médias... » Selon lui, mettre des bâtons dans les roues des grandes fortunes qui investissent dans la presse pourrait s'avérer nocif. Le risque, argue-t-il, « c'est que ceux qui viennent sauver les journaux aujourd'hui ne viendront peut-être pas demain ». Désormais, la balle est dans le camp des parlementaires.

Pierre Manière

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Commentaires 22
à écrit le 25/01/2022 à 9:45
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Le probléme ce n'est pas la concentration des journaux ds les mains de certains, mais plutôt le conditionnement idéologique des journalistes dés les études qui sont à 90% a gauche, souvent par intérêt et sans esprit critique pour sauver leur carrière...

à écrit le 25/01/2022 à 9:17
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Les médias sont ce qu'ils sont. Le problème, c'est le niveau d'instruction de la population, laminé depuis des décennies, poncé par les réseaux sociaux. L'esprit critique est remplacé par des convictions, des affirmations péremptoires, sur fond de co...

à écrit le 25/01/2022 à 2:13
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Préparez vous à accueillir l'ORTF6 au service des français floués par les PGE socialistes...

à écrit le 24/01/2022 à 20:58
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Leurs secretaires seront les prochains président .La bourgeoisie technocratique a failli obligeant la bourgeoisie financière à mettre les mains dans le cambouis politique. La concentration des outils de lavage de cerveau pose effectivement problème...

à écrit le 24/01/2022 à 20:57
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Vincent BOLLORE a donné la raison de ce subit intérêt de ces grandes fortunes pour les médias: le retour sur investissement vient, en importance, juste après celui du luxe. Comment le reprocher à nos rois de l'entreprise? On ne va tout de même pas na...

à écrit le 24/01/2022 à 16:53
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Un fléau pour l'information ? mon oeil ! Plutôt un fléau pour les salons parisiens qui passent leur temps à monter des cabales.

à écrit le 24/01/2022 à 16:32
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Le premier nettoyage serait à faire dans les subventions aux médias pour faire en sorte que le peuple n'achète que les médias dans lesquels il se retrouve et qu'il croit, qu'ils soient de son bord ou pas.

à écrit le 24/01/2022 à 13:23
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Médiapart mange dans la main des mondialistes, pas vrai Plenel?.. La solution est apportée par le seul candidat et le seul programme de F AsselIineau, l' indépendance, je cite "Mon programme présidentiel #FA22 prévoit expressément de «pro...

le 24/01/2022 à 14:43
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Petit complément d 'info s' agissant de Plénel que je dégonde d 'entrée, je cite Roland Dumas, visionner : "FR 0:00 / 2:17 "Edwy Plenel agent de l'étranger ? C'est ce que François Mitterrand a confié à Roland Dumas"..

à écrit le 24/01/2022 à 12:04
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Bernard Arnault est certainement le moins a pointer du doigt au simple vu du peu de titre possédé ( 2 dont 1 seul est ' grand publique ' ), aucune télé et une radio des plus confidentiels.. Curieux comment on aime bien de tout bord le charger de tou...

le 24/01/2022 à 13:17
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ah ! emulsion quand tu nous tiens .... émulation cela vous dit ?

le 24/01/2022 à 13:27
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"émulsion" ou "émulation" ? M. Bolloré un danger ? Pour qui ?

le 24/01/2022 à 17:14
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Bin nan les gars c'est le problème du cerveau qui interprète et joue des tours... c'est surtout enseigné dans l'aviation: l'aéromédecine... l'émulation c'est quand il y a compétition, l'émulsion c'est quand le tout devient missible... c'est bien du f...

le 24/01/2022 à 17:14
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Bin nan les gars c'est le problème du cerveau qui interprète et joue des tours... c'est surtout enseigné dans l'aviation: l'aéromédecine... l'émulation c'est quand il y a compétition, l'émulsion c'est quand le tout devient missible... c'est bien du f...

à écrit le 24/01/2022 à 12:01
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Quand on lit les articles d'un certain journal économique, on n'a pas de mal à constater qu'ils sont écrits au profit des milliardaires, au profit du conditionnement des esprits, que le but est d'éviter à tout prix la taxation des successions des hau...

le 24/01/2022 à 12:52
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pourquoi alors perdez vous votre temps a les lire et commenter?..soyez cohérent avec vous même lisez GALA OU AUTRE

le 24/01/2022 à 20:47
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Réponse à Jade : Jade, ne lisez-vous donc que les journaux et les auteurs qui pensent comme vous ? Quel dommage ! Vous perdez l'occasion d'enrichir votre pensée. Il faut s'informer des faits économiques qui sont exposés dans tous les journaux mais au...

à écrit le 24/01/2022 à 11:52
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Non je ne crois pas que ce soit cette concentration des médias observée depuis belle lurette maintenant c'est pour ça que l'on peut se demander pourquoi tout d'un coup ce réveil, tandis que le mal est fait depuis très longtemps, qui fasse perdre la c...

à écrit le 24/01/2022 à 11:45
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oui il suffit de voir le nombre de manifestations en europe actuellement pour comprendre que le silence médiatique est la démonstration de l'asservissement aux milliardaires et par extension a macorn. Tant mieux car je pense que le meilleur est que l...

à écrit le 24/01/2022 à 11:30
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Bref! Le problème, c'est que la concentration est déjà faite, qu'elle n'informe pas mais conditionne les esprits!

le 24/01/2022 à 13:31
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Ouf ! Enfin : un commentaire plutôt sensé.

le 24/01/2022 à 16:17
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Je ne pense pas qu'elle conditionne volontairement les esprits. Je pense que le principal souci de la concentration c'est qu'elle appauvrit le débat. Si un journaliste écrit en même temps pour la TV, 3 journaux, deux sites et la radio, cela donne moi...

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