C'est peu dire que son audition était attendue. Ce mercredi, Vincent Bolloré, le chef de file de Vivendi (Havas, Canal+, CNews) était auditionné par la Commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias. Alors que ce phénomène inquiète la sphère politique, journalistique et le grand public, la boulimie d'acquisitions de l'homme d'affaires breton inquiète autant qu'elle interroge. Vivendi a récemment lancé une OPA sur Lagardère, qui détient l'éditeur Hachette et des médias influents comme le JDD, Paris Match, et Europe 1. Il a également mis la main sur les magazines du groupe Prisma (Capital, Femme actuelle, Geo ou Voici). Il y a peu, il a également formulé une offre pour Le Figaro, même si la famille Dassault, qui possède le quotidien de droite, refuse aujourd'hui de vendre.
Ce sont surtout les vraisemblables desseins politiques de Vincent Bolloré qui suscitent des craintes. Sous sa coupe, CNews s'est transformée en très droitière chaîne d'opinion. Elle fait notamment la part belle aux idées d'Eric Zemmour. Le polémiste d'extrême droite a longtemps été son chroniqueur vedette, avant qu'il ne se porte candidat à la présidentielle. D'autres médias contrôlés par Vivendi, comme Canal+ ou Europe 1, ont aussi fait l'objet de brutales mises au pas. A chaque fois, des voix se sont élevées pour dénoncer l'interventionnisme de Vincent Bolloré sur la ligne éditoriale, comme la mise à l'écart de chroniqueurs, journalistes ou humoristes critiques à son égard.
Voilà le contexte épineux et électrique dans lequel les sénateurs auditionnaient le puissant homme d'affaires breton. Le rapporteur de la commission d'enquête, le socialiste David Assouline, a d'emblée demandé à Vincent Bolloré pourquoi il construisait « un tel empire médiatique » dans l'Hexagone. Réponse de l'intéressé : « C'est un projet purement économique. » Pourquoi ? « Parce que c'est un secteur qui peut gagner beaucoup d'argent, a-t-il lancé. Dans le monde, le secteur des médias est le deuxième secteur le plus rentable après le luxe. » En outre, si son projet était « politique », le segment de l'information, chez Vivendi, est aujourd'hui « absolument insignifiant », a-t-il déclaré. Vincent Bolloré s'est notamment fendu d'une « slide » montrant que CNews, sur le front de l'information à la télévision, affichait une audience très faible au regard de celles de TF1, de France 2, de M6 ou encore de BFMTV.
Concernant les remaniements au sein de ses médias, leur orientation très droitière, et la place d'Eric Zemmour sur CNews, l'homme d'affaires a botté en touche. « Zemmour, il passe sur la 6, au Figaro, et il était sur I-Télé avant que j'arrive », s'est-il défendu. Il était bien connu avant que je ne le rencontre, il vendait des centaines de milliers de livres, et était sur toutes les autres chaînes. » Vincent Bolloré a, en plus, affirmé qu'il n'avait « pas le pouvoir de nommer qui que ce soit sur [ses] chaînes ». « Ma capacité personnelle à aller imposer des choses n'est pas très importante », a-t-il déclaré. Reste, selon lui, qu'Eric Zemmour a « le droit de s'exprimer ». « Son programme ne me regarde pas, je n'ai jamais fait de politique, et je ne fais pas de politique », a-t-il enchaîné.
« CNews est une chaîne de débats »
A en croire Vincent Bolloré, CNews n'est pas une chaîne d'opinion. « C'est une chaîne de débats », a-t-il précisé. D'après lui, « toutes les expressions [politiques, Ndlr] sont représentées sur [ses] différentes antennes ». Avant de fustiger le « fantasme » des desseins politiques et idéologiques que beaucoup lui prêtent, et de balayer les accusations de « propagande ».
Ses propos, David Assouline ne s'est pas privé de les critiquer directement. « Vous dites que vous ne vous souciez en rien des lignes éditoriales [de vos médias, Ndlr], vous ne m'avez pas convaincu », a lancé le sénateur. Il a également taclé Vincent Bolloré qui se refuse « à condamner les propos d'Eric Zemmour », qui a encore, il y a quelques jours, été condamné pour « provocation à la haine » après une sortie, en 2020, sur les mineurs isolés étrangers.
« Le géant Vivendi, en réalité, c'est un petit nain »
Pendant son audition, Vincent Bolloré n'a pas ménagé ses efforts pour systématiquement tout ramener sur son terrain favori : celui du business. Concernant sa brutale mise au pas de Canal, « certains disent, [Vincent Bolloré] intervient dans les contenus, c'est affreux », a-t-il lâché. Mais d'après lui, il n'a été nullement question « d'interventionnisme ». Le problème, « c'est que Canal perdait 400 à 500 millions d'euros par an », et qu'il fallait, dit-il, « faire des économies » pour sortir le groupe de l'impasse.
A l'heure où le poids de Vivendi dans le paysage médiatique suscite des craintes, Vincent Bolloré a minimisé son « empire ». « Le géant Vivendi, en réalité, c'est un petit nain », a-t-il affirmé, comparant son groupe aux mastodontes mondiaux du secteur que sont Apple, Amazon, Tencent, Disney ou encore Netflix. Face à cette concurrence américaine et chinoise, son ambition, promet-il, est de bâtir un champion français de la culture, capable d'exporter ses contenus et ses talents à l'international. Pas de quoi, pour autant, lever les interrogations et les inquiétudes sur ses intentions comme sur ses objectifs, alors que la présidentielle se rapproche à grands pas.
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