Pour les grands industriels français propriétaires de nombreux journaux, radios et chaînes de télévision, minimiser ces actifs est décidément tendance. Dans le sillage de Vincent Bolloré, le chef de file de Vivendi (Canal+, CNews), qui a relativisé la taille de son groupe, ce mercredi, devant la Commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias, Bernard Arnault a fait de même. Ce jeudi matin, devant cette même commission, la première fortune de France a estimé que ses titres de presse (Les Echos, Le Parisien, Investir), auxquels il faut ajouter Radio Classique, constituaient à ses yeux « un sujet assez marginal ». Bref une minuscule goutte d'eau à l'échelle de son groupe, le géant du luxe LVMH. Ce qui justifierait un intérêt moindre. « Cette activité n'est pas ma spécialité, a-t-il lancé. Je n'y consacre qu'assez peu de temps. »
Pourquoi, alors, investir dans la presse ? Devant les sénateurs, Bernard Arnault a jugé que cette activité était « proche du mécénat ». Le chiffre d'affaires de ses médias s'élève, selon lui, à environ 400 millions d'euros, « mais, malheureusement, les pertes sont substantielles ». A l'en croire, « cet ensemble s'est constitué lentement, sans plan concerté ». A chaque fois, le milliardaire assure qu'on est venu le chercher pour « sauver », finalement, des titres en difficulté. « En 2016, nous avons acquis Le Parisien parce que le groupe Amaury ne pouvait plus en assurer la charge », a-t-il déclaré. Bernard Arnault affirme être ici animé par un soucis « d'intérêt général ». « Sinon, poursuit-il, certains de ces titres n'auraient peut-être pas survécu. »
Pas question, toutefois, d'acheter n'importe quoi. Il sélectionne ses médias parce qu'ils constituent des « fleurons » dans leurs domaines respectifs. A l'instar des Echos, précise-t-il, qualifié d'« irremplaçable » en matière d'économie. Son objectif n'est, ensuite, que d'aider ses journaux à survivre au « bouleversement » de la révolution digitale et à la baisse des recettes publicitaires, en misant gros, notamment, sur l'acquisition d'abonnés numériques. « L'objectif, pour nous, est de faire en sorte que ces entreprises réussissent à redevenir rentables », argue-t-il.
Bernard Arnault jure que ses emplettes ne visent pas à accroître son influence. Son argumentaire ? Primo : « Notre groupe n'a aucun lien avec les marchés publics. » A la différence, par exemple, de la famille Dassault, dont le groupe fabrique le Rafale, et qui possède Le Figaro. Secundo : « Nous réalisons 80% de notre chiffre d'affaires en dehors de France », précise le milliardaire. Il n'aurait donc aucun intérêt, selon lui, à utiliser des médias pour nouer des liens plus étroits avec l'exécutif ou le monde politique.
« Je n'ai jamais fait d'offre pour Le Figaro »
Bernard Arnault l'assure : il n'a pas l'ambition, en soit, d'étoffer son empire médiatique. A moins, dit-il, qu'on vienne encore le chercher. Pour appuyer ses dires, l'homme d'affaires a déclaré qu'il ne s'était pas porté candidat au rachat de M6, aujourd'hui en cours de fusion avec TF1. Surtout, il assure qu'il n'a « jamais fait d'offre » pour racheter Le Figaro, contrairement à ce qu'affirme aujourd'hui Le Monde. « Je le leur ai dit, mais ils continuent de l'écrire, s'est-il agacé. Cela montre les limites de la presse. » Bernard Arnault indique aussi que si sa holding personnelle a pris des parts chez Lagardère au printemps 2020, c'était simplement, à l'époque, pour aider Arnaud Lagardère, l'héritier du groupe, à mieux contrer les attaques du fonds activiste Amber Capital. Et non, donc, pour tenter ensuite de faire main basse sur le JDD, Paris Match ou Europe 1...
Alors que les sénateurs s'inquiètent des conséquences de la concentration des médias sur le pluralisme de l'information, la liberté de la presse et la démocratie, Bernard Arnault estime que ces craintes n'ont pas lieu d'être. « On est dans un pays où les médias sont libres, a-t-il lâché. Si un journaliste veut sortir un article négatif sur le président [de la République, Ndlr], un responsable politique ou un dirigeant d'entreprise, évidemment, il peut le faire. La liberté de la presse et de la communication est assurée. Je pense qu'il ne faut pas exagérer l'impact que certaines opérations de rapprochement pourraient avoir. »
10 millions d'euros pour protéger « l'image » de LVMH
La Commission d'enquête du Sénat a également interrogé Bernard Arnault sur son interventionnisme vis-à-vis de certains médias critiques à son égard. Le milliardaire a notamment justifié le fait que LVMH a supprimé des budgets publicitaires à Libération, en 2012, après sa Une choc à son intention (« Casse-toi riche con ! »). Bernard Arnault était alors soupçonné d'exil fiscal en Belgique. « Etait-il normal d'avoir une Une aussi agressive concernant une motivation fausse ? », a grogné l'intéressé.
Plus récemment, LVMH a été soupçonné d'avoir fait appel à Bernard Squarcini, l'ancien patron du renseignement intérieur, pour espionner le député LFI François Ruffin alors qu'il préparait, il y a quelques années, un documentaire à charge contre le géant du luxe (Merci patron !). Le groupe a finalement accepté de débourser 10 millions d'euros pour arrêter les poursuites. Aux dires de Bernard Arnault, LVMH a simplement accepté une proposition du juge, et n'est en rien coupable. Cette manoeuvre vise simplement, argue-t-il, à protéger « l'image » du groupe. L'argumentaire n'a pas convaincu plusieurs sénateurs, au regard de la somme déboursée
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