Confronté aux limites de son modèle, Criteo s'en prend à Facebook

Le champion français du ciblage publicitaire en ligne a porté plainte contre le réseau social auprès de l'Autorité de la concurrence. Face aux limites de son modèle économique, son patron Jean-Baptiste Rudelle se mue en porte-étendard de la lutte anti-Gafa pour repositionner Criteo sur le marché publicitaire.
Sylvain Rolland
Le groupe dirigé par Jean-Baptiste Rudelle ne digère pas d'avoir perdu, depuis juillet 2018, l'accréditation Facebook Marketing Partner, un statut de partenaire privilégié du réseau social.
Le groupe dirigé par Jean-Baptiste Rudelle ne digère pas d'avoir perdu, depuis juillet 2018, l'accréditation "Facebook Marketing Partner", un statut de partenaire privilégié du réseau social. (Crédits : DR)

Pas de répit pour Facebook. Dans le viseur des régulateurs américains et européens à la fois pour ses pratiques commerciales et sur les questions de vie privée, le réseau social de Mark Zuckerberg est désormais attaqué par le français Criteo. Dans un communiqué, le champion mondial du ciblage publicitaire a affirmé avoir porté plainte contre Facebook auprès de l'Autorité française de la concurrence.

"Criteo estime que l'exclusion progressive d'entreprises de la plateforme Facebook a nui à la diversité du secteur de la publicité en ligne" et souhaite "instaurer des règles claires qui inciteront Facebook à ne pas favoriser ses services aux dépens de ceux des concurrents", écrit l'entreprise.

Le programme "Facebook Marketing Partner" en question

Le groupe dirigé par Jean-Baptiste Rudelle ne digère pas d'avoir perdu, depuis juillet 2018, l'accréditation "Facebook Marketing Partner", un statut de partenaire privilégié du réseau social. FMP est un programme, lancé aux Etats-Unis depuis 2015 puis déployé progressivement dans le reste du monde, qui vise à aider les entreprises à tirer profit des publicités sur leurs réseaux Facebook et Instagram. Les heureux élus sélectionnés par Facebook - 6 en France en 2019, essentiellement des agences comme Adsviser ou encore Effinity -, sont donc "labellisés" comme les meilleurs dans leur domaine pour maximiser la puissance des campagnes marketing des entreprises.

Etant donné la puissance de la firme californienne sur le marché publicitaire en ligne -l e géant a réalisé près d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires en France en 2018, +63% sur un an - devenir FMP représente un formidable tremplin business, d'autant plus que le programme permet aux partenaires de bénéficier des outils techniques de Facebook. La sélection se fait par Facebook en fonction d'un ensemble de critères, dont la "technique publicitaire", c'est-à-dire la capacité à déployer des campagnes Facebook ou Instagram Ads, l'existence d'outils pour les TPE, la capacité à évaluer les performances des campagnes, ou encore de réaliser des conversions hors connexion.

Ejecté du programme en juillet 2018 parce que Facebook estimait que l'adtech française ne remplissait pas tous les critères d'efficacité requis, Criteo a subi les conséquences économiques de cette décision. Dans une note publiée en septembre de la même année, la banque d'affaires Goldman Sachs avait abaissé les prévisions de résultats du groupe pour les deux années à venir, ce qui avait entraîné une lourde sanction en Bourse (-11% suite à la publication de la note). Egalement fragilisé par la décision d'Apple de compliquer le suivi des internautes sur son navigateur Safari avec un nouvel outil "anti-tracking", et par l'entrée en vigueur du RGPD le 25 mai 2018 qui impose le consentement explicite des utilisateurs pour suivre leur activité sur Internet, Criteo se retrouve confronté aux limites de son modèle économique. En 2018, son chiffre d'affaires a stagné pour la première fois, à 966 millions de dollars en comptant le reversements à ses partenaires (+3% sur un an), mais son bénéfice net, établi à 96 millions de dollars, a baissé de 1%.

Lire aussi : En quête d'un second souffle, Criteo investit 20 millions dans l'IA en France

En panne de croissance et au plus mal en Bourse

Consciente des difficultés, l'entreprise a engagé un vaste plan de transformation de son activité. L'objectif : repenser son offre du sol au plafond pour proposer à ses clients annonceurs d'autres "schémas marketing" que le simple "retargeting" de plus en plus décrié. Cette diversification nécessite un énorme investissement technologique et commercial pour déployer de nouveaux outils moins intrusifs, notamment sur mobile, qui est le principal relais de croissance identifié par la société. "Cela nécessite beaucoup de changements, donc du temps", avait admis le Pdg Jean-Baptiste Rudelle au moment de la publication des résultats annuels de 2018.

A en juger par les récents résultats financiers, l'embellie ne sera pas pour tout de suite. En avril dernier, Criteo avait ainsi encore abaissé sa prévision de croissance pour 2019, invoquant des "retards dans l'exécution" du plan de transformation. Au deuxième trimestre, l'entreprise a enregistré un bénéfice net en chute de 21%, à 11 millions de dollars, en raison du déclin de son activité historique. Son chiffre d'affaires -hors reversement aux partenaires- s'est établi à 224 millions de dollars, en recul de 3% (+0,3% à taux de change constants). Et Criteo prévoit au mieux une croissance nulle au troisième trimestre.

Conséquence logique : son cours de Bourse évolue depuis le début de l'année à ses pires niveaux historiques. Introduit au Nasdaq en novembre 2013 à 34 dollars l'action, le titre a grimpé jusqu'à 55 dollars en mai 2017, avant de plonger sous les 20 dollars en mai 2019, ce qui a fait chuter la valorisation de la société à seulement 1,23 milliard de dollars... soit autant qu'une "petite" licorne.

Criteo passe à l'offensive "anti-Gafa" pour rebondir

En attendant les fruits du plan de transformation, Criteo a donc fort à faire pour changer son image et montrer que l'entreprise est en phase avec la nécessité d'une utilisation des données plus respectueuse de la vie privée. Une position compliquée à tenir de la part du leader mondial du profilage des internautes... C'est pourquoi Jean-Baptiste Rudelle est devenu l'un des pourfendeurs les plus véhéments des Gafa, et notamment de Google et de Facebook, qui cannibalisent la croissance du marché américain et européen de la publicité en ligne. Egalement cofondateur du Galion Project, un cercle de réflexion qui regroupe 250 entrepreneurs sur les bonnes pratiques du numérique, le Pdg de Criteo les attaque sur le terrain plus large de la concentration qui mine la concurrence. Dans une tribune du 1er août 2019, il martèle ainsi que "les Gafa verrouillent l'accès au numérique", menaçant l'existence d'un "Internet ouvert et libre":

"Les Gafa ont montré qu'ils savent utiliser de manière redoutablement efficace la rente qu'ils extraient des secteurs qu'ils dominent, pour brider l'innovation et l'émergence d'autres acteurs sur des secteurs adjacents. Si je voulais lancer, dans l'écosystème numérique actuel, l'entreprise que j'ai créée il y a près de quinze ans, je ne le pourrais plus", affirme-t-il.

Dans le sillage du patron de l'Arcep Sébastien Soriano, le patron de Criteo réclame des régulations plus strictes, notamment la séparation des activités des Gafa. "Dans le numérique, il est souhaitable d'instaurer des règles claires en cloisonnant les services aux consommateurs d'une part et la monétisation de ces services d'autre part", écrit Jean-Baptiste Rudelle. Ce qui ferait assurément les affaires de Criteo.

Sylvain Rolland

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Commentaires 4
à écrit le 03/10/2019 à 19:05
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Qu'une boite qui passe son temps à polluer nos écrans porte plainte contre un autre pollueur est particulièrement croquignolesque !

à écrit le 03/10/2019 à 16:45
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Tiens c'est ce truc critéo qui se trouve partout sans que je le lui ai demandé, je vais le bloquer avec no-script tout comme facebook l'est déjà.

à écrit le 03/10/2019 à 15:38
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..."cloisonnant les services aux consommateurs d'une part et la monétisation de ces services"... Il semble évident qu'il va falloir sérieusement limiter les champs d'actions de Facebook et de GAFAM tant leur modèle est hégémonique et anti-concurenti...

à écrit le 03/10/2019 à 9:59
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Notre néolibéralisme necessitant compromission entre politiciens et homems d'affaire ne peut que mener à ce lamentable état d'esprit dans lequel nos investisseurs attendent tout de l'argent public au lieu de se remettre en question. Pas étonnant ...

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