Quand Total expérimente la transition numérique dans la Silicon Valley

À côté de la panoplie habituelle des fablab et des plateformes participatives, le groupe pétrolier cherche à fertiliser ses filiales en immergeant des cadres intermédiaires au siège, à Paris, et dans des "boot camps", parmi les ténors de la Silicon Valley. Objectif : découvrir une nouvelle culture et mener des projets digitaux.
Total, quatrième géant de l'or noir, compte sur la transformation numérique pour devenir le leader de l'énergie responsable.
Total, quatrième géant de l'or noir, compte sur la transformation numérique pour devenir le leader de l'énergie responsable. (Crédits : DR)

Avec Pangea à Pau (Pyrénées-Atlantiques), Total possède le supercalculateur privé le plus puissant au monde actuellement. Dotée de 200 800 processeurs, cette bête de compétition réalise 6,7 millions de milliards d'opérations par seconde ! De quoi faire tourner Sismage, un logiciel « maison » de simulation sismique unique au monde qui a été utilisé par la Nasa pour modéliser en 3D la surface de la planète Mars.

Figurant à l'index du "Top 100 Global Innovators" de Thomson Reuters pour sa stratégie de R & D (un milliard d'euros investis en 2016), la star du CAC 40 ne lésine donc pas sur les moyens numériques nécessaires à l'innovation technologique.

Mais, à l'heure de l'économie bas carbone, de la smart & safe city, de la voiture électrique, voire autonome, l'avenir de la quatrième major de l'or noir (149,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires) ne passera pas seulement par la simple innovation technologique. À l'instar de toutes les grandes multinationales, elle compte également sur la transformation numérique afin d'aligner ses métiers, ses équipes, ses branches et ses opérations sur sa stratégie : devenir la major de l'énergie responsable.

Patrick Pouyanné, le PDG du groupe, assène :

« Concrètement, cela signifie apporter à nos clients une énergie abordable, disponible et propre, partout dans le monde. »

Illustration avec son offre Total Spring d'électricité « 100 % verte » et 10 % moins chère en France, affirme le groupe.

À côté de Total Energy Venture (TEV), sa filiale de corporate venture [capital investissement d'entreprise, ndlr] dotée d'un nouveau bureau à San Francisco, le groupe tricolore dispose bien sûr de toute la palette des outils d'innovation participative des grandes multinationales. À savoir Booster, son fab lab de 700 mètres carrés à la tour Total de Paris-La Défense où sont expérimentées des technologies comme l'Internet des objets, la réalité virtuelle, la réalité augmentée, le machine learning et le deep learning ; la plateforme d'Open Innovation "Adopte une startup", ainsi que la plateforme d'innovation participative Build'INN (challenges innovation, idées, réalisations). Sans compter la méthode "Hacker les process" pour casser les silos...

Une stratégie qui, en 2017, a permis à Total d'être classé n° 1 de l'index eCAC40 de notre confrère Les Échos, qui classe les champions de la transformation numérique du célèbre indice boursier parisien.

De Paris-La Défense à la Silicon Valley

Reste à inoculer dans la tête du plus grand nombre de ses 98.000 salariés le virus du numérique. Et, surtout, sa culture de design thinking, DevOps, agilité, user experience, art du pitch... Parmi les initiatives intéressantes, le groupe pétrolier organise depuis quatre ans des boot camps auprès de cadres intermédiaires venus du monde entier afin de fertiliser à leur retour chaque filiale à coups de thèmes comme l'expérience client, les moyens de paiement, le e-commerce, la robotique...

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Boot campers Total

Les boot campers apportent leur "expérience pays" à l'entreprise et reçoivent en contrepartie une culture digitale.

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Selon Valérie Laugier, vice-présidente de la branche Marketing & Services, chargée du numérique et de l'innovation, le principe est simple : « Cette année, je me suis adressée à 17 de nos filiales, dont les directions ont fait remonter les candidats qui avaient été repérés par nos services digitaux en central. Nous examinons de près leurs motivations, car, pendant trois mois, ils vont laisser leurs familles pour vivre à Paris-La Défense. Vers la fin, nous les immergeons une semaine en Californie, parmi les ténors de la Silicon Valley, comme Google, Facebook ou Salesforce.»

De fait, la saison 2017 a compté neuf boot campers - dont sept femmes !

« Lorsque lesboot campers reviennent chez eux, ce sont des stars ! Grâce à ces candidats, nous obtenons une vision du pays plus fine que si nous étions passés par un cabinet d'études extérieur, reprend Valérie Laugier. Bref, c'est du "donnant-donnant" : le boot camper apporte son "expérience pays" ; en contrepartie, nous le "nourrissons" en culture digitale. »

Avant le départ, tous les sujets sont identifiés, notamment au travers d'échanges avec un ou plusieurs chefs de projet en central. Par exemple, Total avait appris l'existence du service de paiement Alipay (Alibaba) en Chine. Joy, la boot camper chinoise, a confirmé cette avance en République populaire sur ce terrain - même si, depuis quelques années, Total accepte le paiement mobile en stations.

En coordination avec le spécialiste de la monétique au siège, Joy a mené son enquête. Résultat, elle rapporte qu'Ali Baba Group construit à Hangzhou un prototype de station-service intelligente où ne sont employés que des bras robotisés pour ouvrir la trappe de la voiture, retirer le bouchon du réservoir, puis le remplir avec le carburant approprié. Le client est alors automatiquement débité. Sans sortir de la voiture. Une sérieuse concurrence en préparation pour les 16.000 stations de Total dans le monde...

Rencontrés durant leur séjour à Palo Alto, dans la Silicon Valley, certains boot campers font part de leur ressenti.« La transformation digitale va plus loin que l'informatique car elle conduit à une réorganisation profonde de la vie au travail. Notamment parce qu'il s'agit de rendre les gens plus performants. Aussi bien les fournisseurs, les clients et les partenaires que les employés », estime Adejoke Ajidad Bakare, responsable innovation à Total Nigeria.

Il conclu :

Bien au-delà du marketing, c'est avant tout culturel. »

De son côté, Aïscha Younus, responsable de marques à Total Oil Pakistan, focalise davantage sur le fonctionnement du boot camp :

« Nous échangeons idées et conseils entre collègues, entre autres sur la manière de présenter nos projets et sur ce que nous pourrions ramener chacun dans son pays. Le boot camp est un bon moyen d'équilibrer l'acquisition de connaissances et l'implémentation d'un projet. »

Pour sa part, Sara Ibrahim, responsable de la stratégie marketing de Total aux Émirats arabes unis (ÉAU), a apprécié l'aspect concret du boot camp :

« J'ai appris à mieux me servir des médias sociaux, à mieux définir ma stratégie marketing, à peaufiner mon référencement naturel (SEO), estime-t-elle. Dans ma filiale, les gens vont être ouverts aux nouvelles idées que je vais leur proposer, à condition qu'elles aient du sens pour eux en termes de business. Je pense par exemple auchatbot, à la manière de ceux de Facebook. »

Développer des filières digitales

À la fin du boot camp, les candidats doivent « faire leur pitch ». Autrement dit, présenter leur projet élaboré en interaction avec des experts et des chefs de projets du siège durant les trois mois du boot camp.

Pour l'heure, seuls quatre « pitchs » en expérience client ont passé la sélection d'un jury spécialisé pour leur facilité à être déployés et leur capacité à monter en puissance (scalabilité). Ils seront ensuite officiellement présentés devant le patron de la branche Marketing & Services, Momar Nguer, et son comité directeur. Citons un projet de e-commerce pour vendre des lubrifiants, un système de prise de rendez-vous automatique pour l'entretien de la voiture en station-service ou une méthodologie pour dupliquer le principe du Booster dans les filiales.

Àleur retour dans les filiales, les projets font l'objet d'un suivi régulier par le comité directeur. « L'enjeu, souligne Valérie Laugier, c'est de développer à terme de véritables filières digitales. »

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Commentaire 1
à écrit le 16/02/2018 à 10:11
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On dit et on écrit NUMÉRIQUE en français. Digital et digitaux sont d'horribles anglicismes qui n'existent PAS. La moindre des choses de la part d'un journaliste serait de ne pas tomber dans la vulgate et la novlangue des entreprises qui utilisent...

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