A La Réunion, les enchères de fréquences 4G et 5G tournent au casse-tête

Alors que le régulateur des télécoms a donné le coup d’envoi de l’attribution de nouvelles fréquences 4G et 5G aux opérateurs de l’île, Orange et SFR souhaitent qu’elle soit repoussée en raison d’une probable interdiction totale de l’équipementier chinois Huawei. De son côté, Zeop, le dernier entrant sur le marché du mobile, tire à boulet rouge sur ces enchères. Selon lui, les règles de cette attribution menacent sa compétitivité.
Pierre Manière
A La Réunion, Orange, SFR et Zeop vont vraisemblablement devoir démonter leurs antennes Huawei et les remplacer par celles d'un autre équipementier pour lancer la 5G.
A La Réunion, Orange, SFR et Zeop vont vraisemblablement devoir démonter leurs antennes Huawei et les remplacer par celles d'un autre équipementier pour lancer la 5G. (Crédits : Reuters)

A La Réunion, les enchères de fréquences mobiles font l'objet d'une importante guerre d'influence. En décembre dernier, l'Arcep, le régulateur des télécoms, a lancé une procédure de vente de spectre 4G et 5G aux opérateurs de l'île. Jusqu'à présent, le gouvernement comptait sur une attribution des fréquences d'ici à la fin du printemps, pour permettre aux 900.000 habitants du département d'Outre-Mer de bénéficier de la 5G au début de l'année prochaine. Problème : ce calendrier, tout comme les modalités d'attribution du spectre, font l'objet de sévères critiques des opérateurs.

Pour Orange, SFR, Free et Zeop, le dernier entrant sur le marché du mobile à La Réunion, ces enchères sont pourtant cruciales. Elles concernent d'abord des fréquences 4G situées dans la bande basse des 700 MHz. Aussi appelées « fréquences en or », celles-ci ont la particularité de porter très loin (ce qui limite le nombre d'antennes à déployer), et de pénétrer correctement à l'intérieur des bâtiments. En parallèle, les fréquences 5G mises en vente sont les mêmes que celles récemment attribuées en métropole. Elles se situent dans la bande haute des 3,5 GHz, et permettent d'atteindre des débits très élevés.

Vers un démantèlement des antennes Huawei

Selon nos informations, Orange et SFR ont toutefois demandé au gouvernement de repousser les enchères. Pourquoi ? Parce qu'à La Réunion, les deux opérateurs utilisent des antennes et infrastructures du géant chinois des télécoms Huawei. Or, celui-ci est en passe d'être totalement banni de l'île pour la 5G. Selon une source proche du dossier, Orange n'a pas reçu les autorisations pour continuer à travailler avec l'équipementier chinois. Il est très probable qu'il en sera de même pour SFR. Mais aussi pour Zeop, qui déploie son réseau avec Huawei. Cette très probable interdiction obligerait les techniciens d'Orange et de SFR à remplacer sans délai toutes leurs antennes chinoises actuelles par celles d'autres équipementiers pour allumer la 5G. Ce qui prendra du temps, et retardera mécaniquement le lancement commercial de cette nouvelle technologie, sans doute au-delà de l'échéance de début 2022 prévue par le gouvernement... Free, en revanche, n'est pas concerné par ce problème, puisqu'il utilise les antennes et équipements du finlandais Nokia.

Rappelons qu'en métropole, Huawei n'a pourtant pas été chassé de la sorte. SFR et Bouygues Telecom, les seuls à recourir à des équipements chinois, ont été partiellement autorisés à en utiliser à certains endroits, pour quelques années encore, pour qu'ils puissent étaler leurs démontages d'antennes dans le temps. Dans le cadre de la loi sur la 5G du 1er août 2019, aussi appelée « loi anti-Huawei », les opérateurs doivent demander des autorisations auprès du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'informations (Anssi) pour installer de nouveaux équipements. Ce texte permet concrètement au gouvernement de bouter Huawei hors des réseaux mobiles pour des questions de sécurité et de souveraineté.

Zeop veut plus de « fréquences en or »...

Pour Orange et SFR, repousser les enchères de fréquences 5G et les démontages d'antennes qui devraient les accompagner relève aussi, sans doute, d'une certaine rationalité économique. Ces deux acteurs ont lancé la 4G en 2016, juste après avoir obtenu, cette année-là, de nouvelles fréquences mobiles. La perspective de devoir retirer des antennes déployées il y a seulement quatre ans leur fait forcément grincer des dents. Sachant que ces investissements ne sont généralement rentabilisés qu'au bout de sept à huit ans.

En parallèle, les nouvelles enchères de fréquences suscitent l'ire de Zeop. Mais pour d'autres raisons. Dernier arrivé sur le marché du mobile - ses premières offres commerciales datent de mai 2019 -, Zeop tire à boulets rouges sur les modalités d'attribution des fréquences 700 MHz. Quelques 30 MHz seront mis en vente par l'Arcep. Selon les règles définies par le régulateur, Zeop pourra, au mieux, mettre la main sur 10 MHz. Ce qui ne lui convient pas du tout. Zeop s'estime discriminé vis-à-vis de ses rivaux. Il argue qu'aujourd'hui, il ne possède pas de fréquences basses, quand Orange et SFR en détiennent chacun 22,4 MHz dans les bandes 800 et 900 MHz.

Pour réduire cet écart avec la concurrence, Zeop appelle l'Arcep à changer les règles du jeu. Il demande que le plafond maximal de fréquences basses qu'un opérateur peut posséder soit abaissé de 30 à 25 MHz. Cela empêcherait, en clair, Orange et SFR de participer à l'enchère, et lui permettrait de ramasser beaucoup plus de spectre.

... et s'inquiète pour son avenir

Jusqu'à présent, l'Arcep n'y semble guère favorable. Aux dires de Zeop, l'institution redoute notamment des contentieux si Orange et SFR se retrouvaient sur la touche. Sans surprise, ces derniers sont farouchement contre. Un rival de Zeop souligne que comme sa part de marché reste très inférieure à celles d'Orange et de SFR, ce qui n'a rien d'anormal pour un nouvel entrant, il n'a certainement pas besoin d'autant de fréquences... PDG d'Océinde, la maison-mère de Zeop, Nassir Goulamaly affirme, pour sa part, que son opérateur court à la catastrophe si l'Arcep ne change pas son fusil d'épaule. « Nous serions condamnés à une mort lente », alerte-t-il. Selon lui, Zeop devra débourser plus d'argent que ses concurrents pour couvrir l'île, et avec une moins bonne qualité de service.

Si Nassir Goulamaly est si remonté, c'est parce qu'il juge que l'Arcep l'empêche, depuis des années, de se battre à armes égales avec la concurrence. Lors des enchères de fréquences de 2016, Zeop, jusqu'alors spécialisé dans l'Internet fixe à très haut débit, a certes décroché son ticket de nouvel opérateur mobile. Mais « nous n'avons pas eu droit à l'itinérance », peste Nassir Goulamaly. Ce dispositif, dont a bénéficié Free lorsqu'il s'est lancé sur le mobile dans l'Hexagone en 2011, permet à un nouvel arrivant de louer le réseau d'un rival en attendant que le sien soit opérationnel. « Nous dénonçons cette injustice, renchérit le chef de file de Zeop. Nous sommes les seuls au monde à ne pas y avoir eu droit! » En 2018, Zeop a finalement conclu un accord d'itinérance 2G, 3G et 4G avec Orange. Mais celui-ci s'avère coûteux, affirme Nassir Goulamaly. D'après lui, il aurait été gagnant, d'un point de vue financier, si un tel accord avait été conclu dès 2016 avec l'aide de l'Arcep. Le deal avec Orange, qui s'achève en mars 2022, n'en reste pas moins essentiel pour Zeop. Des discussions sont en cours avec l'opérateur historique pour le prolonger.

« Nous ne sommes pas des mendiants »

Nassir Goulamaly espère que Laure de La Raudière, la nouvelle présidente de l'Arcep, tranchera en sa faveur. « Nous ne sommes pas des mendiants : nous ne demandons pas d'argent ou des subventions, insiste-t-il. Nous demandons juste de pouvoir travailler de façon normale. » Alors que la consultation publique sur les modalités des enchères est terminée, Laure de La Raudière pourrait très bien remanier sa copie. Même s'il est rare, dans les faits, de voir l'institution procéder à de gros changements. Interrogée par La Tribune, l'Arcep se refuse à tout commentaire concernant une interdiction de Huawei et le cas Zeop. Le régulateur ne pipe mot, non plus, sur le calendrier d'attribution des fréquences.

Pierre Manière

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Commentaires 2
à écrit le 14/05/2021 à 10:26
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à écrit le 14/05/2021 à 10:23
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