Entre la 5G et l’IoT, chronique d’une interdépendance annoncée

La 5e génération de communication mobile, spécialement pensée pour prendre en charge un flux croissant d’objets sur les réseaux, pousse le monde dans l’ère du « tout-connecté ».
Pierre Manière
Véhicules de toutes sortes, machines-outils, téléviseurs, lampes, montres, mobilier urbain, vêtements, caméras de surveillance, drones, robots, grues, moteurs d’avions, bâtiments et routes, bétail et parcelles agricoles : une fois que la couverture 5G sera suffisante – ce qui pour les territoires ruraux prendra des années –, n’importe quel dispositif ou équipement pourra, sur le papier, être connecté au réseau.
Véhicules de toutes sortes, machines-outils, téléviseurs, lampes, montres, mobilier urbain, vêtements, caméras de surveillance, drones, robots, grues, moteurs d’avions, bâtiments et routes, bétail et parcelles agricoles : une fois que la couverture 5G sera suffisante – ce qui pour les territoires ruraux prendra des années –, n’importe quel dispositif ou équipement pourra, sur le papier, être connecté au réseau. (Crédits : Yves Herman)

Le Mobile World Congress n'aura pas lieu. En raison de craintes liées au coronavirus, la grand-messe annuelle des télécoms et des smartphones, qui se déroule tous les ans fin février à Barcelone, a été annulée. En cette année de lancement de la 5G, les équipementiers et opérateurs télécoms ne pourront pas, comme prévu, jouer une ode à cette nouvelle génération de réseaux mobiles, qui promet de faire basculer le monde dans l'ère, dit-on, du « tout connecté ».

De fait, la 5G n'a pas été seulement pensée, à l'instar de la 3G ou de la 4G, pour connecter les hommes. Elle a été initialement développée pour prendre en charge les objets connectés, et ce de manière massive. Il y a cinq ans, Mérouane Debbah, le chef de file du laboratoire de recherche de Huawei France consacré à la 5G, détaillait cette innovation dans nos colonnes. « Les réseaux devront supporter plus de cent mille objets connectés au kilomètre carré, expliquait-il. C'est très difficile à concevoir parce qu'au final, les puces devront consommer beaucoup moins, tout en étant capable de faire à la fois du bas et du très haut débit. C'est pour cela qu'on présente la 5G comme une génération de réseaux pour les objets connectés. »

Véhicules de toutes sortes, machines-outils, téléviseurs, lampes, montres, mobilier urbain, vêtements, caméras de surveillance, drones, robots, grues, moteurs d'avions, bâtiments et routes, bétail et parcelles agricoles : une fois que la couverture 5G sera suffisante - ce qui pour les territoires ruraux prendra des années -, n'importe quel dispositif ou équipement pourra, sur le papier, être connecté au réseau. Bardés de capteurs de localisation, de température, d'hygrométrie, de mesure de vitesse ou d'usure, tous ces objets permettront d'activer des fonctionnalités à distance et d'en tirer un grand nombre de données. Une véritable mine d'or pour les industriels désireux d'optimiser leur processus de production et de gérer finement leurs actifs tout en déployant des services innovants, mais aussi pour les « villes intelligentes », qui misent sur un IoT (« Internet of Things ») mâtiné d'IA en vue d'améliorer le trafic routier, la gestion des déchets, l'approvisionnement en eau et en électricité.

La « Rolls de l'IoT »

L'Internet des objets n'a pas attendu l'arrivée de la 5G pour faire son nid. Les réseaux cellulaires sont, par exemple, déjà largement utilisés dans le secteur automobile. Se fondant sur la 4G, la technologie LTE-M s'occupe déjà de connecter nombre de voitures. En parallèle, des solutions de réseaux permettent de gérer des objets qui n'exigent pas l'envoi d'une grande quantité de données. C'est le cas du français Sigfox, ou de la technologie LoRa, qui utilisent des capteurs bas débit, peu énergivores et bon marché pour connecter des palettes d'approvisionnement dans la grande distribution, ou encore des réservoirs de gaz. Mais la 5G, qualifiée de « Rolls de l'IoT » par Mérouane Debbah, promet d'une certaine manière de répondre à tous ces besoins.

Mieux : cette technologie, qui a à son actif d'être beaucoup plus rapide que la 4G, permettra d'échanger quantité d'informations avec une grande fiabilité. Elle bénéficiera en outre d'une latence (le temps de réponse du réseau lorsqu'on le sollicite) extrêmement faible, de l'ordre de la milliseconde. Ces caractéristiques permettront à la 5G d'être utilisée pour des applications critiques, sensibles, où aucun dysfonctionnement n'est permis. Autant de raisons pour lesquelles ce nouveau réseau est perçu comme essentiel au développement de la voiture autonome, de la santé connectée (avec l'essor de la télémédecine, de la chirurgie à distance) ou des usines connectées.

La 5G s'annonce ainsi comme le grand catalyseur de l'Internet des objets. Toutefois, il demeure difficile de se projeter dans le temps, et d'imaginer quelle sera la hauteur de la vague dont on annonce la formation. Jusqu'à présent, les chiffres les plus farfelus ont circulé. Voici deux ans, le cabinet Gartner estimait le nombre d'objets connectés dans le monde en 2020 à 30 milliards, tandis que le think tank Idate, lui, pariait sur 80 milliards ! En 2019, le cabinet Strategy Analytics jugeait qu'il existait environ 20 milliards d'appareils connectés sur la planète, et que ce nombre avoisinerait les 40 milliards à l'horizon 2025.

À en croire la société de conseil IDC, pas de doute : « Le marché est en pleine explosion ». Dans un billet de blog, ses experts qualifient même cette tendance d'« invasion ». Un phénomène qui « tient principalement aux nouveaux usages demandés par les consommateurs et par les professionnels, mais [qui vise] aussi - et surtout - [à] répondre à un besoin immense en matière de génération de données contextuelles », et dont la finalité est d'« améliorer l'expérience client des marques, et [d']offrir de nouveaux services ou usages comme la maintenance prédictive, ou les contrats d'assurance "à l'acte" », illustre IDC.

D'épineuses questions en matière de sécurité

Pour ces analystes, les dépenses dans l'IoT devraient croître de plus de 13% par an jusqu'en 2022. Il est alors prévu que le marché marché pèse 1 200 milliards de dollars - soit près de la moitié du PIB de la France. Des chiffres qui une fois encore sont à prendre avec des pincettes, au regard des prévisions hasardeuses avancées par le passé. À terme, l'Internet des objets pourrait par l'intermédiaire de la 5G irriguer tous les secteurs de l'économie. De quoi soulever d'épineuses questions en matière de sécurité, tant pour les particuliers (pour des raisons de confidentialité des données) que pour les entreprises (dont quantité d'informations sensibles transiteront sur les réseaux). C'est en cela que la 5G « n'est pas sans susciter des risques et des craintes », rappelait au début du mois Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances, lors d'un débat à l'Institut Montaigne. « C'est une question pour les entreprises qui s'équipent, soulignait-elle. C'est l'accès, peut-être, à des éléments centraux, majeurs, de business model. »

Le risque est double, à vrai dire. D'une part, selon certains États, les réseaux pourraient être espionnés par une puissance étrangère. C'est pourquoi les États-Unis ont banni les équipements 5G du chinois Huawei, craignant que Pékin n'ait les oreilles qui traînent. D'autre part, les réseaux mobiles pourraient être la cible de manoeuvres visant à les mettre hors service. Cette dernière hypothèse s'avérerait désastreuse, entraînant la paralysie quasi immédiate de territoires entiers. C'est la raison pour laquelle plusieurs États européens dont la France veulent limiter l'empreinte de Huawei dans les réseaux.

Des menaces prises très au sérieux

De telles menaces sont prises très au sérieux par le gouvernement français. L'été dernier, l'exécutif a fait voter une nouvelle loi sur la sécurité des réseaux mobiles. Avant de déployer la moindre antenne, les opérateurs présents sur le territoire national (Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom) doivent désormais demander le feu vert des experts de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). En outre, les équipements Huawei ne pourront pas être déployés partout. Ils sont notamment prohibés dans les zones sensibles telles que les lieux de pouvoir, les bases militaires, les centrales nucléaires, ou encore certains sites industriels.

Autre sujet de préoccupation pour les industriels comme les pouvoirs publics : le stockage des données de l'Internet des objets. Aujourd'hui, les entreprises françaises utilisent massivement des services cloud américains comme AWS (Amazon) ou Azure (Microsoft). Elles sont ainsi confrontées au problème suivant : une législation made in USA, le Cloud Act. « Cette loi est problématique parce qu'elle permet aux États-Unis, pour des motifs de sécurité nationale, un accès direct aux données - y compris celles des entreprises -, quelle que soit leur localisation, sans possibilité de contrôle par un juge européen, rappelait le mois dernier Thomas Courbe, le patron de la Direction générale des entreprises (DGE), dans nos colonnes. Cet accès aux données est sans limites, notamment d'un point de vue quantitatif, et il est effectué à l'insu de l'entreprise concernée comme de l'État. »

Le risque, c'est que les Américains accèdent à des jeux de données cruciales pour les entreprises françaises et pour leur compétitivité. Afin de contrer cette menace, le gouvernement soutient une solution dite de « cloud de confiance » à l'échelle européenne. Celle-ci permettrait à tout le moins de sécuriser les informations les plus sensibles des entreprises du Vieux Continent. La multiplication des objets connectés - dans la sphère industrielle notamment - pose enfin des questions au niveau sécuritaire. Ce sujet préoccupe depuis longtemps le directeur général de l'Anssi, Guillaume Poupard : « Des attaquants pourraient avoir la possibilité technique de mener, depuis le bout du monde, des actions très intrusives au sein des systèmes industriels », s'inquiétait-il en 2017 dans un entretien au magazine Industrie et Technologie.

« La grande crainte que nous avons, c'est celle du sabotage, insistait-il, quelqu'un qui voudrait dans le meilleur des cas éteindre le système pour l'empêcher de fonctionner, et dans le pire des cas, [...] provoquer des catastrophes. Quand on s'attaque au monde du transport, on peut vite avoir des effets absolument dramatiques, y compris sur les vies humaines. » Si l'IoT constitue une révolution économique en germe, elle devra nécessairement être l'objet de toutes les précautions.

Pierre Manière

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Commentaires 5
à écrit le 25/02/2020 à 14:41
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100 mille objets connectés par km2. Soit 1 objet pour 10m2. A Paris il y a déjà 20 mille habitants au km2. Reste à installer les caméras de surveillance. La 5G sera rapidement saturée.

à écrit le 25/02/2020 à 13:31
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L'idée qui est dans l'air en ce moment dont la manifestation visible est la mise en place de la 5G est d'une stupidité sans nom ! On aura l'air malin le jour où un "coronavirus" informatique fera son apparition ...

à écrit le 25/02/2020 à 9:24
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A ce sujet, nous pouvons parler d'innovation dans la droite ligne d'une "politique de l'offre", qui n'est pas une demande expresse de la population, mais pas de progrès... donc a priori inutile!

le 25/02/2020 à 13:56
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Tres visionnaire.... Comme disait Henry Ford, si je demande aux utilisateurs ce qu ils veulent, ils me diront “des chevaux plus rapides”.. A la sortie des premiers iphones nombreux etaient aussi ceux qui disaient que du graphique sur ecran mobile n...

à écrit le 25/02/2020 à 9:04
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Tout comme l'argent liquide disparaît du fait de la seule volonté des banquiers, la 5G s'impose du seul fait de la volonté de la société marchande, un bien triste monde que nous promet la finance déshumanisée.

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