
La Ville Lumière a décidément la cote auprès du champion chinois des télécoms et des smartphones. Ce mardi 26 mars, Huawei a une nouvelle fois choisi Paris pour lever le voile sur ses nouveaux terminaux de référence. L'an dernier, le groupe de Shenzhen avait déjà vu les choses en grand en présentant ses derniers smartphones sous la majestueuse nef du Grand Palais. Cette année, pour promouvoir ses derniers nés, baptisés «P30» et «P30Pro», il a choisi le décor plus conventionnel, mais tout aussi imposant du Parc des expositions de la Porte de Versailles. Devant une foule de journalistes, de blogueurs et de cadres de Huawei venus des quatre coins du globe, l'état-major du groupe a assuré le show, pendant une heure et demie, pour vanter son nouvel écran. Ou plutôt son nouvel appareil photo. Richard Yu, le président de la division grand public de Huawei, a passé les deux tiers de la conférence à louer les clichés du P30, doté d'un zoom surpuissant, tout en dénigrant ceux de ses rivaux directs, l'iPhone XS Max et le Samsung Galaxy S10+.
Hasard du calendrier, l'événement s'est déroulé en même temps que la visite en France de Xi Jinping, le président chinois. Dans la matinée de mardi, une rencontre au sommet a notamment eu lieu avec Emmanuel Macron, la chancelière allemande Angela Merkel et Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. Le président français a voulu associer l'Allemagne et l'Union européenne à la visite de son homologue chinois. Outre la signature de gros contrats (et notamment une méga-commande de 300 Airbus), d'importantes craintes concernant Huawei ont certainement, en coulisse, fait l'objet d'importants échanges entre les dirigeants.
Craintes pour la sécurité nationale
Depuis des mois, en Occident, le dragon chinois suscite l'inquiétude des services de renseignement. Huawei est devenu persona non grata aux États-Unis dans la 5G, la pro- chaine génération de téléphonie mobile. Un domaine où le groupe de télécoms est un leader incontestable. Donald Trump accuse l'industriel chinois d'espionnage pour le compte de Pékin - ce que Huawei a toujours démenti - dans un contexte, électrique, de guerre commerciale entre Washington et Pékin. Reste que les États-Unis mènent désormais une croisade anti- Huawei sur le Vieux Continent (La Tribune du 22 février). Récemment, ils ont même menacé l'Allemagne d'enterrer leur coopération en matière de renseignement si Berlin ne bannissait pas l'industriel chinois des infrastructures 5G. Pour l'heure, l'Europe n'a pas tranché. Plusieurs pays, dont la France et l'Allemagne, s'interrogent toujours sur la réalité des risques et donc sur la nécessité d'interdire ou de limiter l'accès de Huawei au marché de la 5G.
Ce même mardi, la Commission européenne a d'ailleurs lancé un plan visant à évaluer, d'ici la fin juin, « les risques liés aux infrastructures 5G ». Si Bruxelles se garde bien de citer Huawei - ce qui aurait fait mauvais genre en pleine visite de Xi Jinping -, c'est bien l'équipementier chinois qui est dans son viseur. Andrus Ansip, le commissaire européen chargé du numérique, a récemment appelé le Vieux Continent à « ne plus être naïf ». Avant de fustiger une loi chinoise de 2017 qui oblige, sur le papier, les groupes comme Huawei ou ZTE, l'autre gros équipementier de l'Empire du Milieu, à coopérer avec les services de renseignement de Pékin.
Un catalyseur du "Made in China 2025"
Paris, de son côté, a devancé Bruxelles. Mercredi 3 avril, une proposition de loi visant à renforcer la sécurité des réseaux mobiles arrivera à l'Assemblée nationale. Portée par les députés La République en marche, ce texte pourrait fortement limiter - voire interdire sans le dire de manière explicite - Huawei dans la 5G. Pour la France et l'UE, cette « affaire Huawei », que personne n'ose qualifier de la sorte pour ne pas se brouiller avec la Chine, vire au casse-tête. Aux enjeux légitimes de sécurité nationale s'ajoute la crainte de prendre du retard dans la 5G si le géant des télécoms devait être éconduit. Ce qui pourrait plomber, à moyen terme, la compétitivité européenne.
Pour l'Empire du Milieu, l'avenir de Huawei sur le Vieux Continent et sa santé économique sont des affaires prioritaires. De fait, Pékin a fait de la 5G un des piliers de son programme « Made in China 2025 ». Celui-ci vise à transformer « l'usine du monde », qui s'est longtemps contentée de copier plus ou moins bien les produits occidentaux, en une vraie référence en matière d'innovation et de nouvelles technologies. Aux yeux de Pékin, la 5G constitue une brique essentielle, qui permettra de faire émerger des champions économiques. Mais ce n'est pas tout. Huawei est aussi un acteur-clé d'un autre titanesque projet chinois : celui des « nouvelles routes de la soie ». Il s'agit de déployer de nouvelles infrastructures terrestres (via des routes, des voies ferrées) et maritimes (avec la construction ou la modernisation de ports) afin de relier beaucoup plus efficacement la Chine à l'Europe et l'Afrique. Avec elles, Pékin veut étendre sa zone d'influence, écouler plus facilement ses marchandises, ou encore bénéficier d'un accès privilégié aux matières premières africaines.
Escale intéressée à Monaco
Pour fonctionner correctement, ces corridors commerciaux sont soutenus, en miroir, par des réseaux télécoms fixes (via des câbles de fibre optique terrestres ou sous-marins) et mobiles (avec des antennes 3G, 4G ou 5G demain). C'est là qu'intervient Huawei, qui est un important fournisseur de ces équipements.
Sous ce prisme, ce n'est probablement pas un hasard si Xi Jinping a choisi de faire escale à Monaco juste avant de se rendre en France. La principauté et la Chine ne sont pas - c'est peu dire - de grands partenaires commerciaux. En revanche, la ville-État sera, en 2019, le premier territoire étranger test pour le déploie- ment de la 5G par Huawei. Beaucoup d'observateurs ont perçu la visite éclair du président chinois à Monaco comme une marque de soutien envers son bras armé dans les télécoms.
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