La guerre est déclarée entre Orange et l'Arcep

Lors d'une audition au Sénat, Laure de La Raudière, la présidente de l’Arcep, s’est émue d’une démarche d’Orange visant à contester son pouvoir de sanction concernant le déploiement de la fibre dans les villes moyennes. Electriques depuis des mois, les relations entre le régulateur des télécoms et l’opérateur historique virent à la bataille de tranchées.
Pierre Manière
Laure de La Raudière, la présidente de l'Arcep.
Laure de La Raudière, la présidente de l'Arcep. (Crédits : D.R)

Laure de La Raudière a fait parler la poudre. Lors d'une audition au Sénat, ce mercredi, la présidente de l'Arcep n'a pas pris de gants pour fustiger les récentes attaques d'Orange contre son pouvoir de sanction. Celles-ci sont intervenues après que le régulateur a épinglé l'opérateur concernant ses retards de déploiement de la fibre dans les villes moyennes. « Doit-on comprendre, s'est interrogée Laure de La Raudière devant les parlementaires, qu'Orange préfère, plutôt que viser l'atteinte des objectifs qu'il s'est lui-même fixé, tenter d'arracher son sifflet au gendarme des télécoms ? »

La sortie fait d'autant plus de bruit que Laure de La Raudière est généralement discrète sur les conflits qu'elle peut avoir avec les opérateurs. Mais elle se devait de sortir les griffes alors que l'institution qu'elle préside fait l'objet de sévères attaques du leader français des télécoms. Le 3 février dernier, Orange a déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour contester son pouvoir de sanction. L'offensive est violente. S'en prendre au pouvoir de sanction de l'Arcep, c'est tenter de lui dérober ses bijoux de famille. Sans lui, son pouvoir de régulation serait réduit à néant.

De profonds désaccords

Pourquoi diable Orange en est-il arrivé à une telle extrémité ? L'opérateur et l'Arcep affichent de profonds désaccords dans un dossier sensible : celui du déploiement de la fibre dans les villes moyennes et périphéries des grandes agglomérations. Ces « zones moyennement denses », comme on les appelle dans le secteur, regroupent une grosse dizaine de millions de locaux dans 3.500 communes. En 2018, Orange a pris l'engagement d'apporter la fibre à environ 80% de ces habitations d'ici 2022 - les 20% restants sont, eux, à la charge de SFR.

Mais d'après l'Arcep, le compte n'y est pas. Selon Laure de La Raudière, seuls 88% des locaux des zones moyennement denses disposent de la fibre. A ses yeux, Orange est très en retard. En mars dernier, l'Arcep a décidé de sévir. « A la demande du gouvernement », précise Laure de La Raudière, l'autorité a mis l'opérateur en demeure de respecter ses engagements. Le problème, c'est qu'Orange ne voit pas les choses de la même manière, et a contesté, dans la foulée, la décision du régulateur devant le Conseil d'Etat. Le géant français des télécoms estime que ses engagements de 2018 ont toujours porté sur un volume défini de lignes à déployer, en se basant sur des indicateurs de l'Insee. A contrario, l'Arcep juge que l'opérateur s'est engagé sur une liste de communes à couvrir en intégralité, quand bien même le nombre de logements a, dans certains cas, beaucoup augmenté.

Mais Orange n'en est pas resté là. Il a franchi un palier en déposant, ensuite, une QPC sur le pouvoir de sanction de l'Arcep, mais aussi, comme le souligne Laure de La Raudière, « sur la constitutionnalité de l'article L33-13 du code des postes et communications électroniques ». Or cet article L33-13 « est justement la base juridique rendant les engagements d'Orange sur les zones moyennement denses, pris auprès du gouvernement, opposables ». Cela signifie que si l'opérateur sort des clous, il s'expose à de lourdes sanctions financières.

Pour Laure de La Raudière, cette QPC va empêcher le Conseil d'Etat de se prononcer rapidement sur la mise en demeure de l'Arcep, et permettre à Orange de gagner du temps.

« En procédant ainsi, explique la présidente de l'Arcep, Orange demande au Conseil d'Etat de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel et ainsi de surseoir à statuer sur la mise en demeure de l'Arcep, dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel. En réalité, ce qu'Orange cherche à faire avec ces questions prioritaires de constitutionnalité, c'est a minima gagner du temps, c'est retarder la décision du Conseil d'Etat sur la mise en demeure elle-même, voire que le Conseil d'Etat ne soit jamais en mesure de se prononcer sur le fond, qu'il soit dans l'incapacité juridique de confirmer la mise en demeure de l'Arcep. »

« Orange renie-t-il ses engagements ? »

Très remontée, Laure de La Raudière estime qu'Orange ne s'attaque pas qu'à l'Arcep, mais aussi au gouvernement et aux collectivités dont la grogne va crescendo.

« Doit-on comprendre que les engagements d'Orange pris devant le gouvernement n'avaient pas de valeur en 2018 ? Qu'Orange renie ses engagements ?, a lancé la présidente de l'Arcep. Doit-on comprendre que de nombreux habitants des Sables-d'Olonne, de La Roche-sur-Yon, de Brive-la-Gaillarde, et de bien d'autres communes, vont devoir attendre encore longtemps la fibre ? Doit-on comprendre qu'Orange défie les objectifs assignés à la régulation par la volonté du Parlement ? »

Outre cette prise de bec, les sujets de discorde ne manquent pas entre l'Arcep et Orange. Le régulateur et le numéro un français des télécoms sont notamment à couteaux tirés concernant le tarif du dégroupage. Il s'agit du prix payé par les opérateurs alternatifs à Orange pour utiliser son réseau cuivre (ADSL). Orange estime avoir passé un deal avec l'Arcep pour qu'il augmente ce prix. Mais le régulateur n'est pas de cet avis, au grand dam de Christel Heydemann, la patronne de l'opérateur... Laure de La Raudière espère que « le dialogue » permettra de sortir de la crise. Mais la défiance est telle, désormais, entre les deux acteurs, que ce n'est pas gagné.

Pierre Manière

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Commentaires 2
à écrit le 09/02/2023 à 8:19
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Soutien total à Orange. La disparition des gendarmes ne peut qu aider la France à s en sortir

à écrit le 08/02/2023 à 20:21
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Facile de s’en prendre à l’opérateur historique ! Plus difficile de s’en prendre aux amis du Président Macron.

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