La mégafusion entre TF1 et M6 sur le fil du rasoir

Les états-majors des deux cadors de l’audiovisuel français sont auditionnés ces lundi et mardi par l’Autorité de la concurrence. Ils vont devoir convaincre l’institution, aujourd’hui guère favorable à leur union, que celle-ci n’accouchera pas d’un mastodonte qui écraserait tout sur son passage.
Pierre Manière
Fin juillet, l'Autorité de la concurrence a estimé que le projet de fusion entre TF1 et M6 soulevait « des problèmes de concurrence significatifs ».
Fin juillet, l'Autorité de la concurrence a estimé que le projet de fusion entre TF1 et M6 soulevait « des problèmes de concurrence significatifs ». (Crédits : Reuters)

Les dirigeants de TF1 et M6 le savent : ce rendez-vous est aussi difficile que périlleux. Ces lundi et mardi, ils sont auditionnés par l'Autorité de la concurrence. Leur objectif ? La convaincre du bien-fondé de leur projet de fusion. Pour le moment, ce deal fait plutôt grincer des dents au sein de l'institution de la rue de l'Echelle, dont le feu vert constitue un sésame indispensable. Fin juillet, elle a jeté un froid sur ce projet, en considérant, d'après TF1 et M6, que l'opération soulevait « des problèmes de concurrence significatifs ». Ce serait particulièrement vrai sur le marché de la publicité à la télévision, où l'ensemble TF1-M6 représenterait environ 75% du marché.

La perspective de voir les deux cadors du petit écran former un mastodonte si puissant qu'il écraserait tout sur son passage est particulièrement redoutée. Une chose est aujourd'hui certaine : si ce deal est autorisé, des contreparties seront demandées. Ces « remèdes », comme on les qualifie, seront nécessairement importants. TF1 et M6 n'ont pas attendu les auditions du jour pour les dévoiler. Pour diminuer l'influence du futur ensemble sur le marché de la publicité, ils proposent que les régies des chaînes TF1 et de M6 soient séparées. D'autres engagements portent sur les acquisitions et la circulation des contenus au sein du nouvel ensemble, ou encore sur la préservation des contrats de distribution des chaînes via les box des opérateurs télécoms, lesquels seraient prolongés d'un an.

Un « marché pertinent » à déterminer

En réalité, une question sera au cœur des débats et déterminera l'avenir du projet. Quel est le « marché pertinent », en matière de publicité, pour examiner le deal ? Si l'autorité considère qu'il faut examiner l'opération en ne prenant en compte que le seul marché de la publicité télévisuelle, comme elle le fait aujourd'hui, alors l'ensemble TF1-M6 fait effectivement figure d'épouvantail, dont la domination peut poser problème. Mais ce n'est plus du tout le cas si, comme le souhaitent les deux champions de la télévision, on considère que le marché pertinent est plus large, en incluant la publicité numérique.

L'Autorité de la concurrence va-t-elle modifier son logiciel en ce sens ? Ce n'est pas, sur le papier du moins, impossible. Rappelons que l'institution a bien autorisé la fusion Fnac-Darty, en 2016, en considérant la concurrence d'Amazon et de PriceMinister dans la vente de l'électroménager en ligne. Pour le moment, ses troupes se refusent à tout commentaire sur leurs réflexions. Vice-président de l'autorité, Emmanuel Combe a résumé, ce lundi, sa position sur Twitter, juste avant le début des auditions de TF1 et de M6 : « Concentration maximale en interne, silence radio en externe. »

De fortes pressions

L'autorité est confrontée à de fortes pressions. Il y a d'abord celles de TF1 et de M6, qui présentent ce mariage comme essentiel pour assurer leur avenir, voire leur survie. Aux yeux de Gilles Pélisson, le PDG de TF1, cette union constitue une « opportunité historique ». Même si les résultats de son groupe demeurent excellents, il soutient que son modèle est « fragilisé ». A l'en croire, le marché de la publicité de la télévision linéaire va se replier dans les années à venir, du fait d'une baisse des audiences liée à la concurrence des champions de la SVOD. En se mariant avec M6, TF1 disposera, selon lui, de davantage de moyens pour se développer dans le streaming payant, avec l'ambition de concurrencer réellement les Netflix, Amazon Prime ou encore Disney Plus.

Nicolas de Tavernost, le patron de M6, ne dit pas autre chose. Lors d'une audition au Sénat, en janvier dernier, il a indiqué que les chaînes traditionnelles étaient menacées par une tempête similaire à celle que la presse a essuyé avec l'arrivée d'Internet. Pour ne pas se retrouver dos au mur, il souhaite profiter d'une alliance avec TF1 pour « accélérer dans le streaming ». D'après lui, la plateforme Salto, lancée avec TF1 et France Télévisions, a constitué une première réponse. Mais elle s'avère très insuffisante pour rivaliser avec les poids lourds américains du secteur, aux poches profondes.

Cet argumentaire, le gouvernement s'y est, jusqu'à présent, montré sensible. A l'instar de Roselyne Bachelot, la précédente ministre de la Culture. Il y a un an, elle a déclaré sur France Info que « cette fusion ne (l'inquiétait) pas ». « Nous avons besoin de groupes forts dans l'audiovisuel privé qui assurent des programmes gratuits de qualité », a-t-elle renchéri. Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, a lui considéré l'opération comme « légitime » en mars dernier, tout en se gardant d'émettre un avis tranché. Sa position a son importance, puisque le locataire de Bercy dispose d'un « droit d'évocation » pour contester, s'il le souhaite, l'avis de l'Autorité de la concurrence.

TF1 et M6 peuvent aussi compter sur le soutien de Delphine Ernotte. Loin de s'opposer à leur union, la patronne de France Télévisions l'encourage. « Nous avons besoin d'avoir des concurrents privés en bonne santé, a-t-elle déclaré lors d'une audition au Sénat en janvier dernier. Parce que si demain, les offres privées se délitaient - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui -, eh bien c'est tout le média télé qui tomberait, et nous avec. Nous devons défendre le média télévision dans un monde où l'offre de médias ne cesse de s'élargir. »

Niel redoute « un monstre qui va dominer le marché »

Mais beaucoup, du côté des concurrents de TF1 et M6 comme chez les producteurs, ne partagent guère cette opinion. Propriétaire de l'opérateur Free, du poids lourd de la production audiovisuelle Mediawan et de plusieurs journaux, Xavier Niel est l'un des plus féroces opposants à ce mariage. En février dernier, il a dit tout le mal qu'il pensait de cette opération. « Il y a un risque financier colossal pour Iliad », a-t-il râlé lors d'une audition au Sénat. En matière de publicité, ce deal va accoucher d'« un monstre qui va dominer ce marché », a-t-il jugé. Selon lui, les prix vont forcément augmenter à ses dépens. « En tant qu'industriel, je suis attaqué parce que je ne peux pas me passer de TF1 et de M6 », a-t-il déclaré.

Récemment, c'est Canal+ qui a critiqué l'opération. Vendredi dernier, le champion de la télévision payante a décidé de couper la diffusion de TF1 dans le cadre d'un conflit lié au renouvellement d'un contrat de distribution. Hier, dans les colonnes du JDD, Maxime Saada, le patron de Canal+, a estimé que, dans ce dossier, les conditions financières de TF1 illustraient le « sentiment de toute-puissance » du groupe. Avant de critiquer « sa position dominante, et ce avant même une possible fusion » avec M6. Une violente pique et un timing qui n'ont pas manqué de susciter l'ire de la direction de TF1.

Pierre Manière

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Commentaires 3
à écrit le 06/09/2022 à 19:13
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Après avoir jeté un bout de lard à l'ARCEP, le projet ORTF6 est toujours à l'agenda de Bouygues profitant de la volonté de l'allemand Bertelsmann d'abandonner le marché français.

à écrit le 06/09/2022 à 9:07
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Niel n est pas content lol… lui le financier ( c est pas un industriel)!

à écrit le 05/09/2022 à 21:34
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Cette fusion entre 2 acteurs franco français n'a aucun sens ni aucune vertu. Cela aboutira donner les principaux media à une poignée d'acteurs encore plus réduite avec toutes les conséquences que cela induit en terme de liberté presse, lobby et une s...

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