Au Sénat, Xavier Niel et Martin Bouygues s’écharpent sur la fusion TF1-M6

Propriétaire de Free et de nombreux journaux, dont Le Monde, Xavier Niel a férocement critiqué, ce vendredi, le deal entre TF1 et M6 devant une commission du Sénat. Selon lui, ce mariage accouchera d’« un monstre » dans la publicité qui nuira à toutes ses activités. Dans la foulée, Martin Bouygues, à la tête du groupe Bouygues et de TF1, s’est dit « choqué » par ces piques, estimant que son grand rival ramenait « tout à des histoires d’argent ».
Pierre Manière
Xavier Niel (à gauche) et Martin Bouygues.
Xavier Niel (à gauche) et Martin Bouygues. (Crédits : Reuters)

C'est un sacré bras de fer de milliardaires auquel on a assisté, ce vendredi matin, au Sénat. La commission d'enquête sur la concentration dans les médias a auditionné coup sur coup Xavier Niel et Martin Bouygues. Le premier est le fondateur et propriétaire d'Iliad (Free). Il est à la tête d'un empire dans la presse, avec des participations dans le groupe Le Monde (Le Monde, L'Obs), Nice-Matin, Var-Matin ou encore La Provence. Il a également fondé Mediawan, un poids lourd de la production audiovisuelle. Martin Bouygues, lui, est le chef de file du groupe Bouygues, cador du BTP, des télécoms et de la télévision avec TF1. Devant les sénateurs, Xavier Niel a dit tout le mal qu'il pensait du deal en cours d'examen entre TF1 et M6.

Depuis des mois, celui-ci mène une véritable guérilla judiciaire pour faire capoter ce mariage. Au total, son groupe a déposé pas moins de quatre recours successifs. Xavier Niel a notamment appelé à ce que Bruxelles se prononce sur cette union, à la place des autorités françaises dans lesquelles il n'a guère confiance. Explications :

« Cette fusion est à peine annoncée que le président de l'Arcom [Roch-Olivier Maistre, NDLR] nous dit 'tout va bien, circulez !', avant même de nous avoir auditionné, s'est étranglé le milliardaire. La ministre de la Culture [Roselyne Bachelot, NDLR], nous dit 'tout va bien, circulez'. La présidente de l'Autorité de la concurrence [Isabelle de Silva, NDRL] dit "on va regarder", mais elle est virée. Il y a un moment on se dit qu'on est pas totalement en confiance. J'ai un petit doute quand je vois que cette opération, qui est incroyablement complexe en matière de concurrence, est soutenue par des gens qui devraient, normalement, faire preuve d'un peu plus de réserve. »

« Il y a un risque financier colossal pour Iliad »

Remonté comme un coucou, Xavier Niel juge que cette fusion va nuire à toutes ses activités. De quoi justifier une très longue charge contre cette opération. « Il y a un risque financier colossal pour Iliad », a-t-il râlé. En matière de publicité, ce deal va accoucher d'« un monstre qui va dominer ce marché », a-t-il jugé. Selon lui, les prix vont forcément augmenter à ses dépens. « En tant qu'industriel, je suis attaqué parce que je ne peux pas me passer de TF1 et de M6 », a-t-il déclaré.

Dans les télécoms, il redoute qu'un ensemble TF1-M6 en profite pour faire payer au prix fort la distribution de leurs chaînes via les box des opérateurs. Il est déjà arrivé que certains d'entre eux coupent le signal de certaines chaînes quand celles-ci leur demandaient trop d'argent. En 2019, Free a agi de la sorte à l'égard des chaînes d'Altice (BFMTV, RMC Découverte et RMC Story). « Mais qui aura le courage, demain, de couper TF1 et M6 en même temps parce qu'ils aurons proposé quelque chose d'inacceptable ?, s'est interrogé Xavier Niel. Personne. » En matière de production audiovisuelle, le propriétaire de Mediawan redoute que TF1 et M6 utilisent leur position dominante pour négocier les contenus à la baisse. « En France, c'est 4.000 producteurs qui vont souffrir, a-t-il indiqué. Certains vont disparaître. »

Il a enfin qualifié ce mariage de « danger pour la démocratie » et « le pluralisme », au regard de « la puissance dans la diffusion de l'information » du nouvel ensemble. « Un bon article du Monde, il est lu par 100.000 personnes, a-t-il déclaré. En face, tous les soirs, le "20 heures'" de TF1 touche 5 à 6 millions de personnes. Le "19h45'" de M6, c'est 3,5 millions de personnes. La puissance du Monde devant TF1 et M6, c'est un rapport de 1 à 100. » En outre, Xavier Niel a estimé ne pas être le bienvenu sur les antennes de TF1. « Un jour, il y a eu le lancement de Free Mobile, et, je ne sais pas pourquoi, TF1 a oublié d'en parler », a-t-il souri.

Xavier Niel a enfin estimé que l'argumentaire de TF1, qui qualifie le rachat de M6 d' « essentiel » pour assurer sa survie face aux géants américains de la VOD et du Net, ne tient pas la route. « Netflix est un concurrent de Canal+, pas de TF1 », a-t-il argué. Idem pour Youtube qui ne constitue pas non plus, à ses yeux, une menace pour le leader français de la télévision privée. Le « vrai problème », a enchaîné Xavier Niel, c'est qu'en cas de mariage entre TF1 et M6, « vous enlevez la possibilité de réguler les GAFAM ». En définitive, cette fusion va accoucher d'« un monopole », alerte-t-il. « Leur sujet, c'est gagner de l'argent. Bravo s'ils arrivent !, a-t-il ironisé. C'est un coup économique incroyable ! »

Quand Bouygues rappelle que Niel voulait racheter M6

Face à ces attaques, Martin Bouygues a préféré prendre de la hauteur, tout en glissant, tout au long de son audition, quelques piques. Après avoir expliqué que la télévision linéaire étaient menacée par les plateformes américaines, il s'est dit « choqué » par l'intervention de Xavier Niel. « Il ramène tout à des histoire d'argent, de son argent, a-t-il soupiré. Mais enfin, chacun a sa conception de la vie. »

Un peu plus tard, il a rappelé que « Monsieur Niel a employé le terme de "monopole" » pour qualifier une union entre TF1 et M6. « Mais il occulte qu'à la télévision, le plus gros acteur, c'est le service public », a-t-il souligné. Après cette remarque finalement courtoise, il s'est fendu d'un pied-de-nez, rappelant que Xavier Niel avait été, lui-même, un « candidat malheureux » au rachat de M6. A sa manière, il a sous-entendu que la détermination de son rival à faire échouer la fusion venait peut-être de là...

Martin Bouygues a également minimisé le « risque financier colossal » évoqué par Xavier Niel concernant une remontée des prix de la publicité à la télévision. « Alors pour que les choses soient très claires, en 2021, Iliad a dépensé 4 millions d'euros sur TF1 », a-t-il affirmé. C'est à dire pas grand-chose, a-t-il estimé, au regard de l'Ebitda de Free, « de l'ordre de 1,8 milliard d'euros ». Quant au boycott supposé du patron d'Iliad sur ses antennes, il a rappelé que Xavier Niel a été invité dans l'émission « Quotidien », et que, de manière générale, les interviews des cadors du CAC 40 étaient rares sur TF1.

Bouygues raille la posture de chevalier blanc de Niel

A sa façon, Martin Bouygues a également raillé la façon dont Xavier Niel s'est dépeint en chevalier blanc de la presse, comme sa préoccupation affichée pour l'indépendance des journalistes. « La rédaction de TF1 ne m'a jamais pas demandé de nommer un de mes enfants à l'autorité de surveillance de la rédaction. Mais bon, si elle me le demandait, pourquoi pas ! », a-t-il canardé. Lors de son auditionXavier Niel a soutenu que c'était le pôle d'indépendance du Monde qui l'avait prié d'installer son fils aîné, Jules Niel, au conseil d'administration du fonds de dotation chapeautant le groupe de presse.

Cette animosité entre Martin Bouygues et Xavier Niel ne date pas d'hier. Leurs relations sont extrêmement tendues depuis 2012 et l'arrivée de Free Mobile. En cassant fortement les prix, Xavier Niel a fait très mal à Bouygues Telecom. L'opérateur de Martin Bouygues a essuyé des années très difficiles, marquées, notamment, par des réductions d'effectifs. Les médias constituent désormais leur nouveau terrain d'affrontement.

Pierre Manière

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