C'est un signal d'alerte. Dans une étude récente, le cabinet Terabit Consulting s'est livré à un intéressant exercice de projection. Ses analystes ont évalué le niveau des échanges de données entre le continent américain - c'est à dire essentiellement les Etats-Unis - et l'Europe dans les années à venir. Le résultat est pour le moins surprenant. En 2030, la demande en bande passante se situera à 13,1 pétabits par seconde. Le problème, c'est que les câbles sous-marins transatlantiques dédiés aux télécommunications ne pourront, à cette date, absorber que 4,7 pétabits par seconde. En clair, si aucun nouveau projet d'infrastructures ne voit le jour d'ici là, il manquera une capacité de 8,4 pétabits par seconde pour faire transiter correctement les données entre les deux continents. C'est tout simplement énorme.
(Crédits: Terabit Consulting)
Cette conclusion va à l'encontre de certaines idées reçues. On aurait pu croire que la multiplication des câbles sous-marins entre les Etats-Unis et l'Europe ces dernières années allait régler une bonne fois pour toute les problèmes de capacité. Il n'en est rien. L'essor continu des échanges de données entre le pays de l'Oncle Sam et le Vieux Continent se poursuit à toute vitesse. L'Europe, souvent qualifiée de « colonie numérique » des Etats-Unis, reste biberonnée aux services des Google, Facebook, Amazon ou Apple. On comprend mieux, avec l'étude de Terabit, pourquoi les Gafa ont tant investi dans des méga-câbles en fibre optique pour relier leurs data centers des deux côtés de l'Atlantique...
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Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : il va falloir déployer de nouvelles artères au fond de l'océan pour absorber ce trafic. « Dans l'état de la technologie, cela correspond en gros à 17 nouveaux câbles », estime sur Twitter Jean-Luc Vuillemin, le directeur des réseaux internationaux d'Orange. Autant dire un Everest, dont le coût est lui-aussi faramineux. « En gros, et sur la base de 250 millions d'euros pour chaque nouveau câble - doté de 24 paires de fibre optique avec la technologie actuelle -, cela représente un investissement de 4,25 milliards d'euros », poursuit le dirigeant de l'opérateur historique, le seul dans l'Hexagone à investir directement dans les câbles sous-marins.
Qui va, dès lors, mettre la main au portefeuille ? Par le passé, les opérateurs télécoms étaient les premiers investisseurs dans les câbles sous-marins. Cette période est révolue. Ce sont désormais les géants américains du Net qui sont les premiers à déployer ces infrastructures, essentielles pour pérenniser leur business. Ils détiennent aujourd'hui environ 80% de la capacité sur cet axe stratégique majeur qu'est l'Atlantique. Jean-Luc Vuillemin ne se fait guère d'illusion : il pense que ce sont de nouveau les Gafa qui vont « lancer la construction de nouveaux câbles, qui accroîtront la dépendance européenne en la matière ».
Un enjeu majeur de souveraineté numérique
Les câbles sous-marins constituent, en effet, un enjeu majeur de la souveraineté numérique du Vieux Continent. Les Européens, dont l'essentiel des données sont stockées aux Etats-Unis, en ont par conséquent un besoin impérieux. Si les Gafa, aux poches profondes, continuent d'investir dans ces autoroutes de fibre optique sous l'Atlantique, l'Europe risque d'accroître encore sa dépendance à des infrastructures appartenant à des acteurs privés américains.
Le sujet est sensible. Mais étrangement, il semble en dehors des radars des décideurs politiques. Ce lundi à Strasbourg, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, a inauguré le nouveau data center d'OVHCloud. Il s'est fendu d'un plaidoyer pour la souveraineté de la France et de l'Europe en matière de numérique. « Si l'on veut être souverain, il ne faut pas qu'on nous pique nos données », a-t-il lancé, en martelant que le gouvernement souhaitait soutenir activement l'écosystème français du cloud. Mais il n'a pas pipé mot sur la domination des Américains sur les réseaux sous-marins, ce cordon ombilical numérique de l'Europe.
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