Le spectre d'un manque de câbles sous-marins transatlantiques menace l'Internet européen

Vitaux pour l’Internet européen, les projets de câbles sous-marins entre l’Europe et les Etats-Unis se multiplient depuis quelques années. Mais d’après une étude du cabinet Terabit Consulting, ces infrastructures ne suffiront pas, au regard de l’explosion des échanges de données entre le Vieux Continent et le pays de l’Oncle Sam.
Pierre Manière
Les géants américains du Net détiennent déjà environ 80% de la capacité globale des câbles sous-marins sur l'axe Atlantique.
Les géants américains du Net détiennent déjà environ 80% de la capacité globale des câbles sous-marins sur l'axe Atlantique. (Crédits : DR)

C'est un signal d'alerte. Dans une étude récente, le cabinet Terabit Consulting s'est livré à un intéressant exercice de projection. Ses analystes ont évalué le niveau des échanges de données entre le continent américain - c'est à dire essentiellement les Etats-Unis - et l'Europe dans les années à venir. Le résultat est pour le moins surprenant. En 2030, la demande en bande passante se situera à 13,1 pétabits par seconde. Le problème, c'est que les câbles sous-marins transatlantiques dédiés aux télécommunications ne pourront, à cette date, absorber que 4,7 pétabits par seconde. En clair, si aucun nouveau projet d'infrastructures ne voit le jour d'ici là, il manquera une capacité de 8,4 pétabits par seconde pour faire transiter correctement les données entre les deux continents. C'est tout simplement énorme.

Câble sous-marin

(Crédits: Terabit Consulting)

Cette conclusion va à l'encontre de certaines idées reçues. On aurait pu croire que la multiplication des câbles sous-marins entre les Etats-Unis et l'Europe ces dernières années allait régler une bonne fois pour toute les problèmes de capacité. Il n'en est rien. L'essor continu des échanges de données entre le pays de l'Oncle Sam et le Vieux Continent se poursuit à toute vitesse. L'Europe, souvent qualifiée de « colonie numérique » des Etats-Unis, reste biberonnée aux services des Google, Facebook, Amazon ou Apple. On comprend mieux, avec l'étude de Terabit, pourquoi les Gafa ont tant investi dans des méga-câbles en fibre optique pour relier leurs data centers des deux côtés de l'Atlantique...

Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : il va falloir déployer de nouvelles artères au fond de l'océan pour absorber ce trafic. « Dans l'état de la technologie, cela correspond en gros à 17 nouveaux câbles », estime sur Twitter Jean-Luc Vuillemin, le directeur des réseaux internationaux d'Orange. Autant dire un Everest, dont le coût est lui-aussi faramineux. « En gros, et sur la base de 250 millions d'euros pour chaque nouveau câble - doté de 24 paires de fibre optique avec la technologie actuelle -, cela représente un investissement de 4,25 milliards d'euros », poursuit le dirigeant de l'opérateur historique, le seul dans l'Hexagone à investir directement dans les câbles sous-marins.

Qui va, dès lors, mettre la main au portefeuille ? Par le passé, les opérateurs télécoms étaient les premiers investisseurs dans les câbles sous-marins. Cette période est révolue. Ce sont désormais les géants américains du Net qui sont les premiers à déployer ces infrastructures, essentielles pour pérenniser leur business. Ils détiennent aujourd'hui environ 80% de la capacité sur cet axe stratégique majeur qu'est l'Atlantique. Jean-Luc Vuillemin ne se fait guère d'illusion : il pense que ce sont de nouveau les Gafa qui vont « lancer la construction de nouveaux câbles, qui accroîtront la dépendance européenne en la matière ».

Un enjeu majeur de souveraineté numérique

Les câbles sous-marins constituent, en effet, un enjeu majeur de la souveraineté numérique du Vieux Continent. Les Européens, dont l'essentiel des données sont stockées aux Etats-Unis, en ont par conséquent un besoin impérieux. Si les Gafa, aux poches profondes, continuent d'investir dans ces autoroutes de fibre optique sous l'Atlantique, l'Europe risque d'accroître encore sa dépendance à des infrastructures appartenant à des acteurs privés américains.

Le sujet est sensible. Mais étrangement, il semble en dehors des radars des décideurs politiques. Ce lundi à Strasbourg, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, a inauguré le nouveau data center d'OVHCloud. Il s'est fendu d'un plaidoyer pour la souveraineté de la France et de l'Europe en matière de numérique. « Si l'on veut être souverain, il ne faut pas qu'on nous pique nos données », a-t-il lancé, en martelant que le gouvernement souhaitait soutenir activement l'écosystème français du cloud. Mais il n'a pas pipé mot sur la domination des Américains sur les réseaux sous-marins, ce cordon ombilical numérique de l'Europe.

Pierre Manière

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Commentaires 9
à écrit le 15/09/2022 à 9:18
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Réponse à Britannicus, ...non mon bon monsieur, c'est dû aux technocrates européens (et français), ainsi qu'aux riches, avec pour seul emblème le roi pognon, et qui ne voient que "leur pouvoir et leur fric", et se foutent bien des peuples. Courage

à écrit le 14/09/2022 à 17:38
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l'UE ne veut ni frontières ni souveraineté: résultats...

à écrit le 14/09/2022 à 16:37
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Vous pouvez recruter des coreens. Tres performants certes chers, mais faut savoir ce que l'on veut. Avec eux la question sera reglee en 1 an au max.

à écrit le 14/09/2022 à 6:57
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Ça devient agaçant d'égrener tout ce qui "va manquer" : la moutarde, le lait, la neige, les saisonniers dans les stations, les serveurs/serveuses dans les restaurants, maintenant les câbles sous-marins... C'est une épidémie ?

le 14/09/2022 à 11:21
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Le constat est qu’après les délocalisations, on a plus rien à donner aux Chinois en échange de nos achats. Les opérateurs telco sont assez focalisés sur la connectivité, pas assez de services. Et la croissance de la valeur est dans les services. El...

le 14/09/2022 à 11:21
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Je dirais que c'est une bonne nouvelle car cela rendra l'Europe moins dépendante des USA qui utilisent les nouvelles technologies pour nous imposer leur modèle de société catastrophique. Le manque de serveurs dans les restaurants n'est pas un problèm...

le 14/09/2022 à 11:32
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Les opérateurs telco sont assez focalisés sur la connectivité, pas assez de services. Et la croissance de la valeur est dans les services. Elle est exponentielle tandis que l’arpu stagne. Le mouvement vers un Cloud national ne pourra pas couvrir l’...

le 14/09/2022 à 15:44
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@PAFO "Le manque de serveurs dans les restaurants n'est pas un problème puisque les Français n'auront bientôt plus les moyens d'y aller..." Pas certain , il y a 4 millions de cadres en France et autant en retraité cadre qui ont les moyens finan...

le 16/09/2022 à 20:55
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Mon Dieu, vous oubliez on a notre savoir vivre, notre savoir faire, nos lumieres, notre TGV, nos centrales nucleaires, notre system de protection sociale et surtout notre baratin.

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