Orange, SFR, Free : les champions français des télécoms à la conquête de l’Europe

Avec l’arrivée de Free sur le marché du mobile, il y a dix ans, beaucoup promettaient un funeste destin aux cadors français des télécoms. Il n’empêche qu’aujourd’hui, Orange, Altice (SFR), Bouygues Telecom et Iliad (Free) se portent bien, et n’ont jamais autant investi dans leurs réseaux. A l’exception de l’opérateur de Martin Bouygues, tous se développent sur le Vieux Continent, et notamment en Italie, en Grande-Bretagne, en Roumanie, en Pologne ou en Belgique.
Pierre Manière
Une antenne de téléphonie mobile à Vertou, près de Nantes.
Une antenne de téléphonie mobile à Vertou, près de Nantes. (Crédits : Reuters)

Le 10 janvier 2012 est une date marquante pour l'industrie française des télécoms. Ce jour-là, Xavier Niel et son opérateur Free se lancent sur le marché du mobile. Pour faire son nid sur ce segment stratégique, le « trublion des télécoms » casse les prix et propose des forfaits sans engagement. Pour le secteur, c'est une révolution, un véritable séisme. En face, Orange, SFR et Bouygues Telecom tremblent. A raison. Xavier Niel met un terme à l'oligopole qui caractérisait le marché. Il vient surtout de sonner le début d'une compétition féroce, marquée par une impitoyable guerre des prix. Beaucoup envisageaient alors le pire pour cette industrie si critique et stratégique pour la numérisation du pays, et donc son économie.

Dans la presse, les critiques, ou plutôt les cris d'orfraie, fusent. Dans une tribune au vitriol publiée dans le journal Le Monde, Thierry Breton, alors PDG d'Atos et qui fût président du conseil d'administration de France télécom (Orange) entre 2002 et 2005, tire la sonnette d'alarme. L'« irruption » de Free, avec la bénédiction de l'Etat, constitue à ses yeux une hérésie. « Notre industrie des télécoms brûle et nous regardons ailleurs », écrit l'actuel commissaire européen au Marché intérieur, le 22 juin 2012. A ses yeux, l'arrivée du groupe de Xavier Niel va déboucher sur « une spirale destructrice » marquée par des plans sociaux, « l'affaiblissement de la valeur et de la profitabilité des opérateurs ». De quoi les « vulnérabiliser dans la consolidation mondiale en cours », tout en amputant « leur capacité d'endettement et d'investissement » au moment de déployer la fibre et la 4G.

Des investissements records

Aujourd'hui, qu'en est-il ? Le tsunami Free est passé. Sur le plan social, le secteur a perdu des milliers de postes, d'abord chez Bouygues Telecom puis chez SFR. On a longtemps dit, chez les opérateurs, qu'un marché à quatre relevait de l'utopie. Ces dernières années, il est vrai que Bouygues Telecom, SFR, et enfin Free se sont successivement échangés l'étiquette d'« homme malade » du secteur. On ne compte plus, dans ce contexte, les tentatives de consolidation, toutes avortées.

Il n'empêche qu'aujourd'hui, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se portent bien. Conséquence de la forte concurrence, leurs investissements atteignent des niveaux records. En 2020, ceux-ci se sont élevés à 11,5 milliards d'euros selon la Fédération française des télécoms. C'est-à-dire quelques 4 milliards d'euros de plus par rapport à 2011 ! Les marchés ont beau râler sur cette caractéristique du marché français, les résultats sont là : la France dispose aujourd'hui d'un des plus vastes réseaux de fibre optique du monde, y compris dans les campagnes. Le pays dispose d'un bonne couverture 4G, même si certaines zones « blanches » et « grises » demeurent. Surtout, les quatre opérateurs se portent économiquement bien alors que les prix demeurent bas. Au point qu'à part Bouygues Telecom, tous se développent et exportent leur savoir-faire hors des frontières de l'Hexagone.

L'Europe est devenue leur terrain de jeu. Xavier Niel et son groupe Iliad, maison-mère de Free, multiplie les emplettes sur le Vieux Continent. Au printemps 2018, il a lancé un nouvel opérateur mobile en Italie, Iliad Italia. Celui-ci s'est depuis taillé une part de marché de 10,5%, en jouant, comme en France, la carte des prix bas avec des offres sans engagement. Au début du mois, Xavier Niel a même fait une offre de plus de 11 milliards d'euros pour racheter son rival Vodafone Italia. Celle-ci a rapidement été retoquée. Mais l'histoire n'est pas terminée, et les négociations pourraient bien reprendre dans les semaines à venir...

En septembre 2020, Xavier Niel a également mis le grappin sur l'opérateur mobile Play en Pologne contre 2,2 milliards d'euros. Un an plus tard, il récidive dans ce pays en s'offrant le câblo-opérateur UPC pour 1,5 milliards d'euros. L'idée est ici d'attirer les abonnés en proposant des offres dites « convergentes », mêlant Internet fixe et mobile. Une stratégie qui s'est, jusqu'à présent, avérée très efficace en France. En Pologne comme en Roumanie, Iliad affronte un adversaire qu'il connaît bien. Et qui n'est autre... qu'Orange ! Le géant français des télécoms s'est d'ailleurs renforcé en Roumanie en mettant la main, en novembre 2020, sur le champion de l'Internet fixe Telekom Romania Communications (TKR).

Patrick Drahi fonce sur BT

Propriétaire d'Altice, la maison-mère de SFR, Patrick Drahi a aussi des envies d'ailleurs. Après avoir levé le pied sur les acquisitions en 2017, dans le sillage d'une gifle boursière provoquée par les déboires de l'opérateur au carré rouge, le milliardaire a repris du poil de la bête. Au mois de juin, il a grimpé au capital du britannique BT, avant de porter sa participation à 18% en décembre dernier. Ce qui fait de lui le premier actionnaire de l'opérateur historique du pays. Alors que la France et le Portugal sont presque entièrement fibrés, Patrick Drahi compte vraisemblablement exporter ce savoir-faire de l'autre côté de la Manche, où tout reste à faire. A noter qu'au mois de novembre, Geodesia, une de ses filiales, a signé un gros contrat en Allemagne pour apporter la fibre dans les campagnes. Signe que l'expérience accumulée en France dans le grand chantier de la fibre constitue un atout et une source de revenus.

Du côté d'Orange, Stéphane Richard, son PDG qui rendra son tablier le 4 avril prochain, ne cache pas qu'il aurait souhaité réalisé un « deal d'envergure », selon ses mots, à l'échelle européenne. Mais l'Etat, qui reste le premier actionnaire du groupe à hauteur de 23%, ne l'a pas entendu de cette oreille. « L'Etat actionnaire d'Orange n'a jamais exprimé beaucoup d'envie, beaucoup d'enthousiasme - c'est le moins que l'on puisse dire - sur des grandes combinaisons européennes », a-t-il canardé le 2 décembre, lors d'un forum sur les télécoms à Paris. Des réflexions ont été engagées avec Deutsche Telekom ou Vodafone. Mais elles ont vite été abandonnées.

En Europe, Orange consolide ses positions

A défaut d'avoir les coudées franches pour réaliser un grand mariage sur le Vieux Continent, Orange a tout de même réalisé plusieurs deal de moindre ampleur dans des pays où il est déjà présent. Outre le rachat de TKR en Roumanie, Orange se développe en Belgique, où il est en passe de ferrer le câblo-opérateur Voo. Dans ces deux cas, la logique est la même : se renforcer dans l'Internet fixe afin de proposer des offres convergentes à ses clients. En Espagne, Stéphane Richard a affiché, la semaine dernière, sa détermination à consolider le marché. L'objectif est ici de mettre un terme à la guerre des prix qui mine le secteur depuis des années. La presse espagnole a récemment évoqué un possible rapprochement d'Orange Espagne avec MasMovil. La concurrence n'a, in fine, pas tué l'industrie française des télécoms. Elle lui a finalement permis d'avoir un coup d'avance, et de se montrer conquérante.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 22/02/2022 à 7:14
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"tous se développent sur le Vieux Continent" ..je ne vois pas où ailleurs ? L'Afrique peut être mais il faudrait se depecher ,les chinois sont déjà sur le coup . Thierry Breton très lié à Atos à dit beaucoup de conneries avant d'être le courroux ta...

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