Sur le front de la 5G, Ericsson ne cache pas son pessimisme. L'équipementier télécoms suédois, un des cadors du secteur avec le finlandais Nokia et le chinois Huawei, considère que l'Europe est en plein décrochage concernant l'arrivée de la nouvelle génération de communication mobile. Ce vendredi, lors d'une conférence de presse, deux de ses cadres ont tiré la sonnette d'alarme en brandissant le spectre d'une perte de compétitivité du Vieux Continent vis-à-vis des États-Unis et de la Chine dans les années à venir.
Aux dires d'Arun Bansal, à la tête de la division Europe et Amérique latine d'Ericsson, la 5G peine encore à séduire les clients et entreprises européennes.
« D'ici à la fin de l'année, nous devrions atteindre 1 milliard de clients 5G à travers le monde, principalement en Asie et aux États-Unis, a-t-il affirmé. Mais l'Europe et le Royaume-Uni sont à la traîne. »
Pourquoi diable le Vieux Continent boude-t-il encore cette technologie ? Parce que, selon Christian Leon, en charge des réseaux d'Ericsson en Europe et en Amérique Latine, ceux-ci ne sont pas encore en mesure de délivrer un service et des débits franchement supérieurs à la 4G. « L'expérience 5G n'est pas au rendez-vous », indique-t-il.
Une 5G européenne plus économique, mais moins performante
Pour ces deux responsables, l'explication est simple. En Europe, constatent-ils, beaucoup d'opérateurs recourent davantage à leurs anciennes fréquences basses (notamment dans la bande des 700 MHz) plutôt qu'à leurs nouvelles fréquences hautes (dans la bande des 3,5 GHz) pour déployer la 5G. Dans l'Hexagone, Free a opté pour cette stratégie. Elle a un gros avantage : comme les fréquences basses portent beaucoup plus loin que les fréquences hautes, l'opérateur peut rapidement disposer d'une importante couverture du territoire. Et ce à moindre coût. Free, par exemple, argue qu'aujourd'hui, 58% de la population française peut accéder à sa 5G. Le gros bémol, c'est que les fréquences basses offrent des débits beaucoup moins performants que les fréquences hautes. Résultat, aux yeux du grand public européen, « la 5G n'a pas encore tenu ses promesses », a expliqué Christian Leon.
A contrario, la Corée du Sud, l'Australie, la Chine et les États-Unis, eux, déploient à toute vitesse la 5G dans les bandes de fréquences 3,5 GHz. Ce qui permettra, selon Ericsson, à leurs habitants et entreprises de profiter bien plus tôt des bénéfices de cette technologie. D'après l'industriel, l'Europe a pourtant gros à gagner. Entre le développement des usines intelligentes, de la santé connectée ou de la voiture autonome, « les bénéfices de la 5G [pour le Vieux Continent] pourraient s'élever à 210 milliards d'euros » ces prochaines années, claironne Ericsson. Dans un contexte où la crise de la Covid-19 a révélé l'étendue de la fracture numérique, cette technologie pourrait permettre d'offrir une connectivité dernier cri aux zones rurales, poursuit l'équipementier. Ericsson souligne enfin que la 5G couplée au cloud et à l'intelligence artificielle constitue un levier pour réduire de 15% les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Un argument également brandi, ce jeudi, par son rival Huawei.
La compétitivité européenne menacée ?
Aujourd'hui, Ericsson estime cependant que l'Europe a, surtout, beaucoup à perdre. En conférence de presse, Arun Bansal a rappelé que le continent « a raté le coche de la 4G » ces dernières années, et en a payé le prix fort en termes de compétitivité. « Les États-Unis et la Chine ont très tôt déployé cette technologie, rappelle-t-il. Cela leur a permis d'asseoir leur domination sur l'économie des applications, avec des entreprises comme Google, Facebook ou Alibaba. L'Europe, elle, ne dispose que de peu de grandes plateformes. » Sa crainte ? Que « l'histoire se répète avec la 5G ». « L'Europe doit se réveiller », a-t-il insisté.
Ce plaidoyer n'est, bien sûr, pas désintéressé. Arun Bansal et Christian Leon ont d'ailleurs assuré qu'« Ericsson avait les moyens » de faire face à une accélération du déploiement de cette technologie. Laquelle serait synonyme, pour l'équipementier télécoms, d'une belle augmentation de son chiffre d'affaires. La 5G constituera, de fait, la locomotive des revenus d'Ericsson dans les années à venir. Son lobbying intervient à un moment clé : alors que Huawei s'est fait bannir de plusieurs marchés européens - notamment en France, au Royaume-Uni ou en Suède - il espère, logiquement, grignoter des parts de marché à son rival chinois.
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