Rachat de Digicel Pacific par l’australien Telstra : un deal pour limiter l'influence chinoise

Canberra souhaitait, plus que tout, éviter que Digicel Pacific finisse un jour entre les mains d'une société d'Etat de l'empire du Milieu.
Pierre Manière
Le gouvernement australien a indiqué qu’il avait facilité l'opération dans le cadre de son plan stratégique « Pacific Step-Up ».
Le gouvernement australien a indiqué qu’il avait facilité l'opération dans le cadre de son plan stratégique « Pacific Step-Up ». (Crédits : Reuters)

Dans le monde des télécoms comme dans le monde des affaires en général, il existe des rachats à vocation industrielle, des deals purement financiers, d'autres, encore, visant à écrémer la concurrence... Mais certaines opérations sont soutenues par des Etats, et ont une portée géostratégique. C'est le cas du rachat de Digicel Pacific par Telstra. Ce lundi, le géant australien des télécoms, dont Canberra possède toujours 51% du capital, a annoncé cette opération d'un montant de 1,6 milliard de dollars.

Digicel Pacific est le plus important fournisseur de services de téléphonie mobile et Internet du Pacifique-Sud. Cette branche de Digicel, propriété du milliardaire irlandais Denis O'Brien, opère notamment en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Fidji, à Nauru, au Samoa, au Tonga et au Vanuatu. A en croire le patron de Telstra, ce rachat constitue « une opportunité commerciale unique ». Celle-ci doit officiellement permettre de renforcer les infrastructures télécoms dans le Pacifique-Sud.

Un prêt avantageux

Mais l'enjeu semble, en réalité, tout autre. Il s'agit surtout, pour Canberra, aujourd'hui en délicatesse avec Pékin, de contre l'influence chinoise dans la région. A en croire le journal Australian Financial Review, l'Australie redoutait plus que tout qu'un groupe de l'empire du Milieu prenne un jour le contrôle de Digicel Pacific. C'est également ce que soutiennent plusieurs analystes financiers, pour qui l'intérêt économique de l'opération reste très limité pour Telstra. « Soyons honnêtes, je ne pense pas que Telstra aurait conclu cet accord de son propre chef », affirme Brian Han, analyste chez Morningstar, selon le Financial Times. Même son de cloche pour Jonathan Pryke, le directeur du programme des îles du Pacifique à l'institut Lowy. « Pour le gouvernement fédéral, il ne s'agit pas d'un accord commercial, mais d'un accord géostratégique », renchérit-il, toujours selon le FT.

Le financement même de l'opération plaide en ce sens. Telstra, qui précise que le deal sera bouclé dans les six mois, bénéficie ici des largesses de Canberra. Le gouvernement lui a offert un financement de 1,3 milliard de dollars sous forme de prêt pour effectuer cette acquisition. L'opérateur n'aura, en clair, qu'à débourser 300 millions de dollars de sa poche.

Accord militaire avec les Etats-Unis

L'exécutif ne cache pas, d'ailleurs, que cette acquisition relève de la lutte d'influence. Le gouvernement australien a indiqué qu'il l'avait facilité, relève l'AFP, dans le cadre de son plan stratégique « Pacific Step-Up ». Lancé en 2016, et renforcé en 2018, celui-ci vise à renforcer la coopération avec le Pacifique-Sud, et de faire contre-poids aux ambitions chinoises. Ce rachat apparaît comme l'une des conséquences directes du conflit entre l'Australie et la Chine, notamment depuis que Scott Morrisson, le Premier ministre, a demandé une enquête sur les origines de l'épidémie de Covid-19.

Cette sortie a suscité l'ire de la Pékin, qui a répondu par des taxes vis-à-vis de certains produits australiens. De son côté, Canberra n'a pas hésité, le mois dernier, à signer un accord militaire avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, rompant, au passage, son contrat avec la France pour renouveler sa flotte de sous-marins.

Pierre Manière

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