SFR : ce brusque changement de stratégie qui justifie le plan social

Chez SFR, l'annonce d'un plan de suppressions de 1.700 postes a surpris salariés et syndicats. Rien ne laissait présager de telles coupes d'effectifs dans les « orientations stratégiques » de l'opérateur pour les trois prochaines années présentées l'été dernier. Mais la direction a soudainement décidé, mi-février, de les réviser. Elle y souligne la forte concurrence en France, l'interdiction de Huawei et la « digitalisation des actes commerciaux » pour justifier une nouvelle vague de départs.
Pierre Manière
Patrick Drahi, le fondateur et propriétaire d'Altice, la maison-mère de SFR.
Patrick Drahi, le fondateur et propriétaire d'Altice, la maison-mère de SFR. (Crédits : Reuters)

Certains plans sociaux sont plus difficiles à justifier que d'autres. Dans le cas de SFR, l'exercice s'avère délicat. Malgré la crise du coronavirus, l'opérateur, à l'instar de ses rivaux des télécoms, s'est jusqu'à présent montré très « résilient », selon les mots de Patrick Drahi, son propriétaire. Cela n'a pas empêché la direction d'annoncer la semaine dernière un plan de suppressions de 1.700 postes, soit près d'un salarié sur cinq.

L'annonce a constitué un coup de massue pour les salariés et les syndicats. SFR veut se séparer, pour l'heure « sur la base du volontariat », de 400 employés dans ses boutiques, et de 1.300 collaborateurs dans les autres branches du groupe. C'est la seconde fois que l'opérateur taille dans ses effectifs depuis son rachat par Patrick Drahi en 2014. En 2017, pas moins de 5.000 salariés ont été poussés vers la sortie, soit un tiers des troupes.

Ce nouveau plan social a pourtant de quoi surprendre. En quelques mois, le groupe a bouleversé sa stratégie. D'après différents documents auxquels La Tribune a eu accès, la direction a opéré à un brusque changement de braquet lui permettant de justifier ses coupes d'effectifs. Explications : le 25 juin dernier, l'état-major de SFR lève le voile sur ses « orientations stratégiques » pour les trois prochaines années. Le document de 125 pages est transmis aux syndicats pour consultation via le comité social et économique (CSE) central du groupe. Rien, alors, ne laisse présager de futures suppressions de postes. « Les orientations stratégiques de l'UES [unité économique et sociale, Ndlr] SFR s'inscrivent dans la continuité de celles définies en 2018 », lit-on.

SFR a vu ses revenus augmenter

Lors d'une réunion du CSE central, le 15 octobre, les syndicats posent différentes questions, comme c'est l'usage, à la direction sur des sujets sociaux et industriels. Dans une lettre, ils soulignent avoir « bien compris l'engagement de la direction générale » : « l'emploi interne au sein de l'UES SFR est attendu stable pour les trois prochaines années, donc sans baisse d'effectifs prévue à aucun niveau de l'organisation. » En outre, les résultats du troisième trimestre 2020 de l'opérateur ont de quoi rassurer les salariés. Pendant cette période, pourtant marquée par la Covid-19, SFR a vu ses revenus progresser de 4% à 2,75 milliards d'euros, grâce à ses recrutements d'abonnés fibre et mobile. Quelques mois plus tard, le 18 février, les dirigeants de l'opérateur répondent aux syndicats. Dans cette lettre, ils estiment alors que la situation a changé, et qu'il convient de réviser les orientations stratégiques:

« La crise sanitaire a causé un bouleversement sans précédent, bouleversement qui affecte d'autant plus le marché télécom qu'il est soumis à une intensité concurrentielle croissante ainsi que des éléments exogènes telles que l'interdiction de Huawei nécessitant de s'adapter extrêmement rapidement, précise la missive. Ce qui conduit [...] à mener des réflexions sur ce qu'il conviendrait de faire évoluer tant au sein de l'UES SFR que sur SFR Distribution (les boutiques, Ndlr). Afin de partager le résultat de ces réflexions, nous procédons à une réouverture de la consultation sur les orientations stratégiques. »

A la lecture de cette lettre, les syndicats sont inquiets. Et pour cause: la direction souligne qu'un accord, le « New Deal », qui visait à assurer la stabilité des effectifs chez SFR, est désormais caduc:

« Il est rappelé que les engagements pour l'emploi pris dans le cadre de l'accord New Deal en date du 3 août 2016 et de son avenant en date du 22 juin 2018 sont arrivés à échéance le 31 décembre 2020. »

De nouvelles orientations stratégiques alarmistes

Autre mauvais signe : le 17 novembre, dans une interview dans nos colonne, Grégory Rabuel, le directeur général de SFR, a souligné que « plusieurs signaux de baisse d'activité et de chiffre d'affaires » s'avèrent « inquiétants ». Interrogé sur d'éventuelles réductions d'effectifs, le dirigeant botte en touche, affirmant « analyser la situation », et « réfléchir » sur « l'organisation » du groupe.

Le couperet tombe le 3 mars. La direction lève le voile sur ses nouvelles orientations stratégiques. La posture de continuité précédemment affichée vole en éclat. Le ton est désormais alarmiste.

« La crise sanitaire a entraîné une véritable révolution sociétale à laquelle aucun acteur n'était préparé, lit-on. Elle a bouleversé les interactions, la manière de consommer, la manière de se déplacer mais également celle de travailler. Dans ce contexte, l'incertitude qui pèse sur tous nécessite de s'adapter constamment, que cela soit pour l'ensemble de la population afin de faire face à la crise sanitaire, ou pour l'ensemble des professionnels qui doivent revoir leurs structures, leur manière de commercialiser leur produits/services et leurs organisations pour s'adapter à ces nombreux changements dans un contexte d'incertitude exacerbé. Cette nécessité d'adaptation est d'autant plus prégnante pour SFR qui est attaqué sur l'ensemble de ses marchés. »

SFR se dit « pris en étau » devant « l'impératif de dégager des ressources exponentielles pour ses investissements, et l'érosion de ses revenus, en raison de la pression concurrentielle ». Le même jour, le plan social est dévoilé à travers un « projet stratégique », baptisé « Transformation et ambitions 2025 ». L'opérateur justifie les départs dans les boutiques, qui ont connu une forte baisse de fréquentation pendant la crise, par la « digitalisation accélérée du quotidien ». D'après la direction, la « progression continue des actes en ligne » est amenée à durer. Dans ce contexte, elle n'aurait plus besoin d'autant de vendeurs.

SFR fustige la concurrence et l'interdiction de Huawei

SFR évoque aussi la concurrence, notamment en matière de 5G. « La valorisation de la technologie 5G initialement prévue pour permettre le financement de cette dernière n'est pas du tout au niveau attendu, précise SFR dans ses nouvelles orientations stratégiques. A titre d'illustration, Free n'a pas valorisé l'ajout de la 5G sur ses offres et Bouygues la propose avec un surcoût situé entre 2 et 3 euros. Pour mémoire, la valorisation initiale envisagée pour SFR était de 10 euros. » L'interdiction des équipements de réseau mobile de Huawei par le gouvernement constitue également un problème. L'opérateur au carré rouge, qui recourt aux services du géant chinois pour la moitié de son réseau mobile, espérait être indemnisé par l'Etat, mais sa demande a été retoquée. « SFR devra donc retirer les antennes Huawei et les remplacer par celles d'un nouvel équipementier sous peine de se voir sanctionner financièrement, constate le groupe. SFR devra donc assumer seul, et sans compensation, des conséquences évaluées à plusieurs centaines de millions d'euros. »

En face, les syndicats balayent ces arguments d'un revers de main. « La direction accuse la forte concurrence et la guerre des prix sur le marché français, mais c'est du business as usual ça ! », s'étrangle Xavier Courtillat, de la CDFT. Concernant Huawei, « ils disent que les démantèlements d'antennes vont coûter cher, enchaîne-il. Mais ils seront étalés sur plusieurs années. Et la direction ne peut pas avoir bâti toute sa stratégie en misant sur une indemnisation... » Les représentants du personnel estiment surtout avoir été roulés dans la farine. « Il n'existe pas de bouleversement entre le mois d'octobre, quand nous avons répondu aux premières orientations stratégiques, et aujourd'hui, qui justifierait ces 1.700 départs, affirme Xavier Courtillat. Ces premières orientations stratégiques étaient bidon en termes d'emploi. Ils ont joué la montre pour laisser passer la fin du New Deal. » Même son de cloche pour Abdelkader Choukrane, de l'Unsa. A l'automne « ils nous expliquaient que tout allait bien financièrement, que nous allions faire face à la crise avec résilience, que la crise avait démontré l'importance des télécoms, et maintenant, ils veulent supprimer 1.700 salariés! », fustige-t-il, qualifiant les arguments de la direction de « cyniques, manipulés et basés sur le mensonge ».

Le poids de la dette

Chez SFR, on argue que le « plan stratégique » ne vise pas qu'à réduire les effectifs. « Il y a une dimension sociale mais aussi des embauches », nous dit-on. SFR promet, en effet, de recruter 1.000 jeunes sur quatre ans dans des domaines pointus, comme l'analyse de données. Le groupe, qui veut accélérer le déploiement des réseaux Internet fixe et mobile, se défend de vouloir diminuer la masse salariale pour booster ses marges. « Nous ne savons pas quelles économies nous ferons, nous dit-on. Les embauches de jeunes diplômés sur des métiers en tension, cela coûte cher. » Alors que les résultats du groupe sont honorables, SFR estime que sa « réorganisation » relève de l'« anticipation ».

Les syndicats, eux, restent convaincus que l'objectif est bien, in fine, de réduire le nombre d'employés. « Les embauches de 1.000 jeunes ? C'est de l'effet d'affichage pour plaire au gouvernement », grince Abdelkader Choukrane. Il rappelle qu'Altice Europe, la maison-mère de SFR, reste très endettée à hauteur de 28 milliards d'euros. Pour la CFDT et l'Unsa, il est très possible que ce nouveau plan social n'ait qu'un but : permettre à Patrick Drahi de doper ses marges pour prouver à ses créanciers qu'il sera en mesure d'assumer ses remboursements. Les premières grosses échéances sont prévues en 2025 et 2026, où Altice Europe devra débourser 4,6 et 12,2 milliards d'euros.

Interrogé à ce sujet, Sylvain Chevallier, spécialiste des télécoms chez Bearing Point, rappelle que « le modèle Altice, c'est évidemment de rembourser la dette par une forte amélioration des marges »« Le problème, c'est qu'en parallèle des plans d'économies qui sont survenus dans le cadre de cette stratégie, le marché français a connu une baisse des prix », poursuit-il, ce qui peut poser problème à Patrick Drahi. Sylvain Chevallier souligne aussi que si les opérateurs télécoms n'ont pas souffert de la crise comme d'autres acteurs de l'aérien ou du tourisme, aujourd'hui en grande difficulté, « ils ont néanmoins tous essuyé des pertes commerciales ». Dans ce contexte, « tous ont mis en place des politiques visant à réduire leurs coûts », constate-t-il. Alors qu'en face, les investissements dans les réseaux, qu'il s'agisse de la fibre, de la 4G ou de la 5G, n'ont jamais été aussi élevés. Orange, le leader français des télécoms, a récemment lancé un important plan d'économies. Pour diminuer ses effectifs, il mise sur le non-remplacement de départs à la retraite. « Chaque acteur gère la situation à sa façon », affirme Sylvain Chevallier. Chez SFR, les syndicats et la direction sont aujourd'hui à couteaux tirés. Ces derniers jours, les représentants du personnel ont réclamé « un engagement de maintien de l'emploi jusqu'en 2025 ». Une demande d'emblée jugé inacceptable par Grégory Rabuel et la direction. Les négociations s'annoncent pour le moins tendues.

Pierre Manière

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Commentaires 15
à écrit le 15/03/2021 à 14:55
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Le fils paye un abonnement sfr, sans être servi, le courrier recommandé d'annulation n'a pas reçu de réponse. Donc j'ai pris un abonnement téléphone chez free en plus, illimité qui sert de modem, donc le fils a maintenant internet. Si ça vous intér...

à écrit le 14/03/2021 à 1:36
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Il suffirait d'interdire disons pendant 5 ans d'augmenter le dividende après le rachat de la cible suite à un LBO pour empêcher ce genre d'arrivistes ... Le type n'a rien créé ; il profite juste de son réseau qui lui apporte le soutien d'une dizaine...

à écrit le 13/03/2021 à 19:29
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Drahi est un bon gestionnaire, il faut savoir alléger la barque, sinon, elle risque de couler. Ce que l'état français ne sait pas faire.

le 15/03/2021 à 4:23
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Tu parles Charles, avec un debit de 50 milliard, il a interet a alleger.

à écrit le 13/03/2021 à 18:57
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Drahi est un voyou qui ne pense qu'à sa "gueule". Hélas il n'est pas seul, le nombre de voyous (les ultra riches) prolifèrent dans un Monde qu'ils ont taillé pour eux, au-dessus des États. C'est bien parti pour durer, mais sait-on jamais !

à écrit le 13/03/2021 à 15:43
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Ouuah ! Quel étonnement !!! Ce "groupe" est une simple fumisterie, que seul les médias ignorants arrosent de fleurs depuis des années. il n'est qu'une gigantesque dette bancaire, a coquille vide. Mais les banques sen foutent, "to big to fail" si ...

à écrit le 13/03/2021 à 10:43
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Il est rigolo lui, il augmente le prix des forfait des abonnés RED sans possibilité de refusé pour sois disant investire dans le reseaux. Finalement, il veut juste plus d argent puisqu il licencie des gens alors que le service est déjà pas top

à écrit le 13/03/2021 à 5:50
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Patrick Drahi n'a pas fondé SFR.

à écrit le 12/03/2021 à 22:46
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Drahi à trahi son personnel et ses clients. J'espère que l'état va le bloquer dans ses projets car les profits de sfr sont très importants. J'espère qu'il sera contraint de rembourser toutes les aides versée par l'état.

le 13/03/2021 à 18:24
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Tout va bien pour lui ces comptes sont plein. La patate chaude n'est pas chez lui, elle est dans les mains des banques qui ont prêtés des milliards € à son groupe.

à écrit le 12/03/2021 à 22:40
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Il doit penser que c'est comme ça qu'il va rembourser ses 30 milliards de dette.

à écrit le 12/03/2021 à 21:34
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Drahi n aime pas payer les salaires... dont acte

à écrit le 12/03/2021 à 20:15
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Il n’y a que le Fric qui l’intéresse ! Il a renié sa nationalité française cela en dit tout sur sa mentalité le fric rien que le fric ! Même si ça va à l’encontre des intérêts de la France et des français.

à écrit le 12/03/2021 à 17:37
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Draghi n'a aucune stratégie... à part si serrer les coûts en est une (qui demande si peu de talent in fine). Oui dans son réseau SFR voulait du 100% Huaweï s'en foutant de tout juste pour payer moins, c'est l'Etat qui lui a imposer un minimum d'acha...

à écrit le 12/03/2021 à 16:58
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"soit près d'un salariés sur cinq." un salarié sur cinq

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