L'été dernier, Huawei n'était pas en odeur de sainteté en Europe. Confronté à des accusations d'espionnage par le pays de l'Oncle Sam, ce qu'il a toujours nié, le géant chinois des télécoms suscitait déjà la méfiance d'une bonne partie du Vieux Continent. Le groupe de Shenzhen a donc accentué ses efforts de lobbying dans certains pays clés, dont le Royaume-Uni et la France. Son état-major a dépêché de nouveaux responsables des affaires publiques à Paris et à Londres. Leur mission : convaincre les gouvernements britannique et français que Huawei ne présente aucun risque de sécurité, et décrocher de bonnes parts de marchés dans le déploiements des réseaux 5G. Dans l'Hexagone, c'est Linda Han qui a pris la direction des affaires publiques. A La Tribune, elle arguait qu'« aucune preuve n'a jamais été apportée sur les accusations d'espionnage », et indiquait que le groupe souhaitait investir massivement dans le pays.
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Ce n'est pas un hasard si cette initiative de Huawei visait notamment la France et le Royaume-Uni. Le groupe chinois considère depuis longtemps ces pays comme stratégiques. Outre la taille importante de leurs marchés, si Paris et Londres disent « oui » à Huawei, alors il sera plus difficile pour les autres pays européens de justifier une exclusion ou un bannissement. A l'inverse, s'ils ferment la porte au dragon chinois, d'autres pays européens pourraient être incités à se mettre dans leur roue... Ce qui pourrait accoucher d'un dévastateur effet domino pour Huawei. Or c'est ce scénario, tant redouté par le groupe de Shenzhen, qui semble aujourd'hui se mettre en place.
Pression américaine
Ce mardi, le Royaume-Uni a décidé d'exclure Huawei du pays. Concrètement, les opérateurs n'auront plus le droit de se fournir auprès de lui en équipements 5G dès la fin 2020. Les infrastructures existantes du groupe chinois, elles, devront toutes être retirées d'ici à 2027. Oliver Dowden, le ministre de la Culture et du Numérique a clairement justifié ce choix pour des raisons de sécurité. « Le meilleur moyen de sécuriser notre réseau est que les opérateurs cessent d'utiliser les équipements Huawei pour construire le futur réseau 5G britannique », a-t-il déclaré.
C'est un sacré retournement de situation. En janvier dernier, Londres avait pourtant autorisé Huawei à participer au déploiement de la 5G, moyennant certaines limitations. Mais cette décision a suscité l'ire des Etats-Unis et d'une partie de la classe politique britannique, qui ont mis une pression monstre sur le gouvernement de Boris Johnson pour le pousser à faire machine arrière.
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Sans surprise, la Maison-Blanche a sablé le champagne après la décision britannique. Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, a annoncé qu'il se rendra lundi prochain à Londres, en faisant, au passage, un pied de nez à Pékin. « Je suis sûr que le Parti communiste chinois et les menaces qu'il représente pour les peuples libres autour du monde seront en tête de l'agenda », a-t-il déclaré. Pour Huawei et la Chine, en revanche, c'est la douche froide. Ce mercredi, Hua Chunying, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a jugé que Londres s'était fait « berné » par les Américains. D'après elle, cette décision ne sera pas sans conséquence. « [Pékin] prendra une série de mesures pour défendre les droits et les intérêts légitimes des entreprises chinoises, a insisté la porte-parole. Il y a un prix à payer. »
Quoi qu'il en soit, les ambitions de Huawei au Royaume-Uni s'évaporent. Alors qu'en parallèle, elles s'assombrissent très sérieusement de l'autre côté de la Manche. Autre pays clé pour le géant chinois, la France a fait le choix de limiter l'empreinte de Huawei dans les réseaux 5G. Ces restrictions, présentées comme telles, ont vraisemblablement un objectif : pousser progressivement, sur plusieurs années, l'équipementier hors du pays. Ce qui permettra à Bouygues Telecom et SFR, qui devront démonter des équipements Huawei, d'étaler ces coûteux démantèlement dans le temps.
Parmi les grands pays européens, seule l'Allemagne n'a pas encore tranché sur le sort de Huawei. Si certains souhaitent l'évincer pour des raison de sécurité, d'autres s'inquiètent des conséquences commerciales. Berlin redoute, en particulier, des mesures de rétorsion à l'égard de sa puissante industrie automobile, qui écoule chaque année des millions de véhicules dans l'empire du Milieu... Pour Huawei, une exclusion de l'Europe constituerait un gros revers économique. Confronté à de lourdes sanctions américaines, le groupe joue aujourd'hui sa « survie », comme l'a souligné Guo Ping, son actuel président en exercice, en mai dernier.
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