L'armée irakienne aurait laissé des Chiites massacrer 72 hommes

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L'armee irakienne aurait laisse des chiites massacrer 72 hommes[reuters.com]
(Crédits : © Stringer Iraq / Reuters)

par Ahmed Rasheed et Ned Parker et Stephen Kalin

BAGDAD (Reuters) - Les survivants racontent tous la même chose : ils ont été emmenés par des hommes en uniforme dans un champ et forcés de s'agenouiller tandis que certains étaient abattus.

Le gouvernement irakien a annoncé mercredi l'ouverture d'une enquête sur ce qui s'est passé lundi à Barouanah, village situé dans l'est de l'Irak. Cette opération qui ressemble à une exécution programmée est mise sur le compte de milices chiites et d'éléments des forces de sécurité par des témoins du drame.

Selon les habitants et les autorités de la province, il y aurait eu au moins 72 morts.

La tuerie présumée a fait suite à une offensive de trois jours lors de laquelle milices chiites et forces de sécurité irakiennes ont repris une vingtaine de villages à l'Etat islamique près de la ville de Moukdadiya, dans la province de Diyala.

Reuters a pu interroger séparément cinq témoins.

Il était environ 15h30 quand une dizaine de Humvees sont arrivés à Barouanah, ou réside Abou Omar, un homme d'affaires ayant fui Sinsil, ville située à cinq kilomètres de là. Les uniformes noirs et marrons suggéraient l'appartenance des hommes à des milices chiites et aux forces de sécurité du gouvernement. D'autres semblaient être des civils.

CONDUITS DANS UN CHAMP

Sous les insultes et les coups, ils ont fait sortir de chez eux les habitants âgés de moins de 70 ans, raconte Abou Omar, joint par téléphone. Téléphones mobiles et papiers d'identité ont été confisqués. Abou Omar a été attaché par une corde à son fils de 12 ans, handicapé mental.

Les otages ont ensuite été conduits dans un champ non loin de là, où une centaine d'autres étaient déjà rassemblés. Pendant environ deux heures, les assaillants ont choisi leurs cibles avant de les emmener derrière un mur de terre.

"Ils les emmenaient derrière le mur. Moins d'une minute, puis un coup de feu", raconte Abou Omar. "Tout ce qu'on entendait, c'étaient les coups de feu. On ne pouvait pas voir."

Les victimes ont également été emmenées dans des petites rues, des maisons, derrière une mosquée, près d'une école ou dans un lieu de collecte des déchets, pour être ensuite abattues.

Abou Maz'el, 25 ans, un agriculteur de Sinsil déplacé à Barouanah il y a cinq mois, donne un témoignage quasi identique.

Il raconte que certains des combattants portaient des bandeaux verts avec le nom Hussein, ce qui a trait à l'histoire chiite.

COMME DES DOMINOS

Abou Maz'el a été emmené avec son cousin, âgé de 35 ans, dans le champ, ils marchaient en file indienne tête baissée, une main sur l'épaule de l'autre.

A genoux à côté de son cousin, Abou Maz'el a entendu d'autres captifs supplier qu'on les épargne alors que des hommes armés les traînaient sur le sol avant de les abattre.

"Mon cousin a relevé la tête, alors quelqu'un l'a giflé", dit il. "Cinq minutes plus tard, ils sont venus, l'ont éloigné et l'ont exécuté."

La région de Diyala est déchirée par la violence confessionnelle, avec d'un côté les combattants de l'Etat islamique et de l'autre des milices chiites qui se disputent le contrôle de ce territoire situé au nord-est de Bagdad.

Le massacre de lundi s'est produit, disent les témoins, en présence des forces de sécurité irakiennes, ce qui donne corps aux accusations de ceux qui estiment qu'elles n'ont que peu de contrôle sur les agissements des milices chiites aux côtés desquelles elles se battent pour repousser les combattants de l'Etat islamique.

Abdallah al Joubouri, jeune diplômé de 23 ans, arrivé il y a un mois à Barouanah en provenance de Sinsil, dit que l'armée l'a laissé repartir. D'autres témoins disent que des soldats, dont certains pleuraient, ont assisté aux massacres de civils sans réagir.

Abdallah al Joubouri raconte s'être caché sous une pile de déchets. Il a pu voir des soldats et des miliciens abattre 13 hommes alignés près d'une école.

"Je les ai vus tomber comme des dominos."

Il explique que les tirs et les cris ont duré jusqu'à sept heures du soir, quand les véhicules militaires ont quitté la localité. Il a alors retrouvé un voisin et ses deux fils parmi les corps des hommes abattus près de l'école.

35 DISPARUS

Femmes et enfants sont peu à peu sortis pour recouvrir les cadavres des victimes. Certains ont passé la nuit dans les rues pour veiller les morts.

Abdallah al Joubouri dit avoir retrouvé le corps sans vie d'un autre voisin devant chez lui avec des blessures à la tête et au menton. Il a vu d'autres corps avec des blessures semblables dans un champ et dans cinq autres rues.

L'homme d'affaires Abou Omar a regagné son domicile où il a pu retrouver ses fils après le départ des combattants. Il a appris que six frères, eux aussi originaires de Sinsil, avaient été tués, l'un chez lui, les cinq autres derrière un tas de boue dans le champ.

Un vendeur de produits cosmétiques et quatre enseignants ont eux aussi été tués dans ce champ aux côtés de trois autres frères et de leur cousin, a dit Abou Omar.

Selon Hakki al Jobouri, membre du conseil provincial de Diyala, au moins 72 hommes ont été tués à Barouanah et 35 autres sont portés disparus, peut être détenus par les milices chiites.

(Danielle Rouquié et Nicolas Delame pour le service français, édité par Gilles Trequesser)