Voie ouverte, mais sinueuse, pour une candidature Valls

reuters.com  |   |  1005  mots

par Simon Carraud et Elizabeth Pineau

PARIS (Reuters) - Passé la sidération provoquée par le renoncement de François Hollande, les regards des socialistes se tournent vers Manuel Valls, qu'une partie de son camp presse de prendre la relève en se présentant à la primaire de la gauche.

S'il n'a rien dit de ses intentions depuis l'allocution présidentielle de jeudi soir, le Premier ministre n'a pas fait mystère ces derniers temps de sa volonté d'entrer dans la danse.

S'il franchissait le pas, la question du départ de Matignon du chef de la majorité se poserait.

Celui qui affirmait ce week-end dernier être "prêt" à en découdre dévoilera peut-être ses intentions samedi à Paris, dans son discours de clôture du meeting de la Belle alliance populaire, organisatrice de la primaire censée désigner le représentant du PS et de petits partis affiliés pour la présidentielle de 2017.

En déplacement à Nancy, Manuel Valls n'a pas abattu ses cartes, se contentant de rendre hommage à la décision de François Hollande, un "homme d'Etat" qui a "toujours privilégié le rassemblement".

"Nous devons défendre le bilan, nous devons défendre cette action et je le ferai, comme je le fais inlassablement dans les fonctions qui ont été les miennes depuis 2012", a-t-il dit.

En attendant sa décision, les socialistes s'organisent, certains pour le soutenir par avance, d'autres pour s'opposer à la ligne politique qu'il incarne, plus à droite que le centre de gravité du parti majoritaire.

"Pour moi, celui qui a la force de pouvoir y aller aujourd'hui, c'est Manuel Valls", a estimé sur RTL le ministre de la Ville, Patrick Kanner, tout en suggérant à son supérieur hiérarchique de patienter encore avant de se dévoiler.

"J'ai le sentiment que les particules doivent un peu retomber, que chacun doit prendre conscience de la décision exceptionnelle qui a été prise par François Hollande", a-t-il justifié, alors que le chef de l'Etat vient d'entamer un voyage de deux jours à Abou Dhabi.

"UN PETIT CÔTÉ IZNOGOUD"

Elle aussi favorable à l'option Valls, Juliette Méadel met en avant la proximité entre président et Premier ministre.

"Manuel Valls est le candidat qui est solidaire de François Hollande sur le projet que nous portons en majorité au Parti socialiste. Et, aujourd'hui, il a évidemment toute sa légitimité pour prolonger le travail qui a été fait", a jugé la secrétaire d'Etat à l'Aide aux victimes sur Europe 1.

Un avis loin d'être unanime, en particulier à l'aile gauche du PS où l'on s'oppose depuis deux ans et demi à ce Premier ministre tenu pour l'un des premiers responsables des maux de la gauche et aujourd'hui accusé d'avoir poussé François Hollande vers la sortie.

"Il a un petit côté Iznogoud depuis un mois", a persiflé sur France Info le député "frondeur" Pascal Cherki, rejoint sur ce point par de nombreux soutiens "hollandais".

"Lorsque j'ai lu l'interview du Premier ministre au Journal du dimanche, là j'ai trouvé que la coupe était pleine, et que ça débordait même", a déclaré sur France 2 Bernard Poignant, un proche du président.

Dans son interview au JDD, Manuel Valls n'excluait pas de se présenter à la primaire des 22 et 29 janvier, au risque de semer la discorde au sommet de l'exécutif.

Benoît Hamon et Arnaud Montebourg, ministres de François Hollande jusqu'en 2014 et aujourd'hui prétendants à la succession, considèrent que Manuel Valls n'a pas le profil lui permettant d'incarner l'avenir de la gauche.

Selon Benoît Hamon, le sort de la gauche tout entière est en jeu derrière cette querelle de personnes.

"Ce que nous allons trancher, ce n'est pas rien : savoir si le Parti socialiste se trouve toujours au centre de gravité de la gauche ou est-ce qu'il se déporte progressivement vers une préférence au centre", a estimé l'ex-ministre de l'Education, interrogé sur RTL. "Une préférence au centre qu'a parfaitement incarnée Manuel Valls".

PRIME À VALLS DANS LES SONDAGES

Pour l'heure, les sondages accordent une prime à l'ex-Premier ministre face à ses possibles adversaires.

Selon une étude Harris Interactive réalisée dans les heures suivant l'allocution de François Hollande, 33% des sympathisants de gauche souhaitent une victoire de Manuel Valls, contre 20% de partisans d'Arnaud Montebourg et 13% de Benoît Hamon.

L'écart est encore plus net parmi les seuls sympathisants socialistes, qui espèrent à 57% une victoire de l'ancien maire d'Evry (Essonne).

Mais, entre les pro et les anti-Valls, un contingent d'élus entend réfléchir devant le choix pléthorique, qui inclut le candidat de "La France insoumise" Jean-Luc Mélenchon et l'ancien ministre Emmanuel Macron, qui a entamé une campagne "ni de droite, ni de gauche".

"Je me donne un petit délai de réflexion", a dit à Reuters le député PS Philippe Duron. "On va voir sur quel discours Valls va être candidat. Théoriquement je ne rejoindrai pas Macron, parce que je suis dans le parti".

Rien n'est donc joué dans cette campagne où rien ne se passe décidément comme prévu, selon une formule du président sortant.

"François Hollande n'a pas dit que c'était Manuel Valls qui était son successeur", rappelle Stéphane Rozès, de la société d'analyses CAP.

Même si les deux hommes se sont parlé avant et après l'allocution présidentielle, le chef de l'Etat s'est gardé de désigner le Premier ministre comme son successeur.

"Ça aurait été plus facile s'il avait adoubé Manuel Valls parce qu'alors il lui aurait transmis le flambeau. Il ne l'a pas fait. C'est sans doute la preuve que pour lui Manuel Valls avait peut-être dépassé des lignes", analyse Stéphane Rozès.

"Les risques que la gauche soit éliminée dès le premier tour subsistent, sauf si lors de la primaire un candidat arrive à dégager une dynamique suffisante".

(Avec Emmanuel Jarry et Gilbert Reilhac à Nancy, édité par Yves Clarisse)