Attentats : faut-il réinvestir dans l'éducation ?

Pour réduire le risque terroriste, faut-il passer outre les exigences budgétaires de Bruxelles et relancer les dépenses en matière d'éducation ?
Mathias Thépot
L'école manque-t-elle de ressources pour assurer sa mission d'éducation citoyenne?

Le choc suscité par les attentats du vendredi 13 novembre a poussé le gouvernement à prendre des mesures sécuritaires de premier ordre pour rassurer la population et limiter les risques de futurs attentats. L'exécutif assume même qu'il outrepassera, pour ce faire, ses engagements budgétaires pris dans la pacte de stabilité européen. Dont acte. Mais l'urgence ne saurait se concentrer uniquement sur la sécurité. Le combat doit se mener sur d'autres terrains, et notamment celui de l'éducation des populations, dont le retour sur investissement est, certes, invisible à court terme.

Autrement dit, il est urgent de penser à long terme. Et le fait que certains des terroristes du 13 novembre aient grandi en France, conjugué à la capacité de l'Etat islamique à recruter des jeunes sur le territoire français, nous rappelle que l'école éprouve parfois les pires difficultés à inculquer un cadre citoyen aux jeunes.

Apprentissage de la citoyenneté

Certes, l'école ne peut pas être désignée comme responsable de tout, et surtout pas des pires atrocités, mais sa capacité à remplir sa mission fondamentale peut-être questionnée. « L'apprentissage de la citoyenneté à l'école, capable de dresser un rempart contre les barbaries doit tout d'abord être ausculté », jugeait déjà après les attentats de janvier Nathalie Mons, la présidente du conseil national de l'évaluation du système scolaire (Cnesco).

Et il apparaît que cet apprentissage de la citoyenneté a été mis à rude épreuve. Au fil des dernières décennies, la mission éducative de l'école s'est en effet progressivement effacée au profit de sa mission de formation, du fait de « la montée en puissance du rôle économique de l'école : aujourd'hui on enseigne avant tout pour que les élèves trouvent un emploi plus tard », explique Marie Duru-Bellat, sociologue spécialiste des questions d'éducation. Avec la montée du chômage à partir de la fin des années 70, « priorité a  été donnée à la formation dans le secondaire », ajoute-t-elle. Le rôle fondamental de l'éducation qui consiste, comme l'expliquait l'un des fondateurs de la sociologie moderne Emile Durkheim, « en une socialisation méthodique de la jeune génération » s'en est trouvé durement affecté.

Former les enseignants à la pédagogie

En conséquence, les enseignants sont désormais formés à enseigner des disciplines restreintes afin de « valoriser le savoir des élèves, avec en ligne de mire l'emploi », insiste Marie Duru-Bellat. L'interdisciplinarité et le vivre ensemble sont sortis des compétences des enseignants. Pour preuve, « on a créé en parallèle des métiers de conseillers d'éducation, afin de décharger les professeurs de cette mission éducative », note Marie Duru-Bellat. C'est donc l'éducation nationale dans son ensemble qui a opéré sa mue vers l'accès à l'emploi des jeunes - une attention louable - mais qui a délaissée l'éducation citoyenne.

Ainsi, beaucoup de spécialistes estiment que les enseignants doivent aujourd'hui se réapproprier leur mission pédagogique car ils sont les premiers interlocuteurs des élèves. « La priorité doit être donnée à la formation des enseignants et au volet pédagogique de leur métier » confirme Éric Charbonnier, analyste à la direction de l'éducation de l'OCDE. Ainsi, les enseignants pourront mieux percevoir les besoins spécifiques des élèves. Une nécessité, car la mise en place d'une politique de « mixité sociale et scolaire demeure de façade si les enseignants ne sont pas, par exemple, formés à gérer dans leur classe l'hétérogénéité scolaire de leurs élèves », explique les auteurs d'une note pour le Cnesco intitulée Ecole, immigration et mixités sociale et ethnique.

Mieux payer les enseignants dans les quartiers sensibles ?

Eric Charbonnier milite notamment pour « développer la formation continue des enseignants en exercice ». Récemment, plusieurs réformes ont été prises en ce sens, notamment grâce à la création à la rentrée 2013 des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), ainsi qu'avec la récente réforme des collèges. De quoi remédier à l'affaiblissement des cursus de formation des enseignants sous la mandature Sarkozy, qui avait notamment supprimé l'Institut universitaire de la formation des maîtres (IUFM) en 2010.

Mais au-delà de la formation, un des sujets les plus épineux concerne la rémunération des professeurs dans les quartiers les plus sensibles. Dans le système actuel, beaucoup de jeunes enseignants à bas salaires sont affectés dans ces zones. Par manque d'expérience, certains sont peu rodés à la composante pédagogique de leur métier, pourtant fondamentale dans les quartiers les plus difficiles.

Pour inverser la tendance, il semble indispensable d'attirer des professeurs qui ont plus d'expérience par une hausse des rémunérations. « Il faut susciter des vocations pour que les enseignants viennent dans les quartiers populaires. Et pour cela, il faut notamment les payer davantage », estime Stéphane Beaudet, maire de Courcouronnes, dans l'Essonne, où l'un des kamikazes français du Bataclan a grandi. « On ne manque pas d'enseignants en France. En revanche, il faut débloquer des moyens supplémentaires pour ceux qui exercent », ajoute-t-il.

Une question de moyens ?

«On a échoué tous ensemble », regrette aussi Stéphane Beaudet, qui milite pour le retour de l'instruction civique dans les écoles. « Il y a désormais un travail d'acculturation à mener sur la jeunesse ». Et cela « il faut que le gouvernement l'affirme, y compris en matière de financements », ajoute-t-il. On ne saurait donc occulter la question des moyens financiers alloués à l'éducation : en 2014, la dépense intérieure d'éducation représentait 6,8 % du PIB français (comme en 2013), soit 146 milliards d'euros, dont près de 100 milliards dédiés à l'enseignement scolaire. Cette part a baissé depuis 15 ans puisqu'elle était de 7,3 % en 2000 et de 7 % en 2010.

Mais malgré les problématiques liées à la rémunération des enseignants, des spécialistes, tels Marie Duru-Bellat et Eric Charbonnier, affirment que les maux de l'école citoyenne ne proviennent pas d'un manque de moyens, mais bien d'une utilisation inadéquate des ressources. « Les ressources et les initiatives ne manquent pas sur le terrain, mais sont souvent affaiblies par de faibles coordinations entre le ministère de l'Éducation nationale et ses nombreux partenaires », confirment d'ailleurs les auteurs de la note du Cnesco.

Peut-être faudrait-il en fait avoir une vision plus élargie que celle, restreinte, des seules dépenses d'éducation. Car l'école n'est pas le seul intervenant dans le parcours éducatif des plus jeunes. Les collectivités locales ont aujourd'hui un rôle de premier plan pour faire le lien avec les parents et soutenir le tissu associatif.

Peut-on imposer des restrictions budgétaires en temps de guerre?

Sur ce point en revanche, il y a beaucoup à redire. L'Etat impose une cure d'austérité aux collectivités locales avec la baisse de ces dotations de 12,5 milliards d'euros entre 2014 et 2017. Sans oublier l'assèchement des financements directs aux associations, qui pour beaucoup contribuent à la pérennité du tissu social en France.

Faut-il alors dépenser aveuglement ? Certes non. Mais comme l'a dit François Hollande, la France est en guerre, et si elle veut assumer ce statut, elle ne fera pas l'économie d'une politique de dépenses publiques non contraintes. Et ce dans tous les secteurs publics, éducation et collectivités locales compris. Car comment assurer qu'une minorité de la jeunesse marginalisée ne sombrera pas dans la haine si les secteurs éducatifs sont désinvestis ?

Mathias Thépot
Commentaires 6
à écrit le 27/11/2015 à 16:47
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Le maire de Courcouronnes "milite pour le retour de l'instruction civique à l'école". S'il connaissait un peu son sujet (il suffit d'ailleurs simplement de consulter les programmes), il verrait que l'instruction civique fait partie du cursus des élèv...

à écrit le 26/11/2015 à 14:42
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L EDUCATION EST PRIMONDIAL POUR LA JEUNESSE ?LE PROBLEME EST CONBIEN Y A T IL DE FILS D EMIGRES EN TANT QUE PROFESSEURS? MEDECINS FONTIONNAIRE? LA SOCIETE FRANCAISSE DOIT INTECRES CES JEUNES DANS TOUTES LES FILIERES DE L EDUCATION? ?LES MAIRIES DE GA...

à écrit le 26/11/2015 à 13:44
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1 enseignants sur 2 n'est pas devant un élève!!! Absentéisme record dans cette administration !!!!!!! Gaspillage des moyens alloués Co gestion de l'éducation avec des syndicats qui font plus de corporatisme et de politique que s'occuper des conditio...

le 27/11/2015 à 16:43
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D'où tenez-vous toutes ces brillantes affirmations (un enseignant sur deux n'est pas devant élèves !!!!) ? citez-vos sources, SVP.

à écrit le 26/11/2015 à 11:20
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La question ne se pose même pas! Les français ne sont plus propriétaire de leur pays mais de simple locataire dont le syndic est a Bruxelles!

à écrit le 26/11/2015 à 10:06
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Mettre dans le même lit de Procuste budgétaire de pays avec des taux de natalité différents est totalement absurde. Il serait temps de le dire.

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