La bonne surprise sur l'emploi masque aussi des incertitudes

L'économie française a créé 50.000 emplois (+0,2%) au premier trimestre contre 20.000 prévus (+0,1%) selon l'Insee. À quelques semaines des élections européennes, le camp de la Macronie, à la peine dans les sondages face au RN, ne devrait pas manquer de vanter ces chiffres. Mais l'entrée en vigueur de la réforme des retraites depuis septembre dernier devrait faire bondir la population active de plusieurs centaines de milliers de personnes jusqu'en 2027. De quoi compliquer la tâche du gouvernement pour parvenir au plein emploi.
Grégoire Normand
Le président de la République Emmanuel Macron
Le président de la République Emmanuel Macron (Crédits : Reuters)

Et si le gouvernement réussissait à faire encore baisser le chômage ? La première estimation de l'emploi pour le premier trimestre 2024 dévoilée ce mardi 7 mai par l'Insee a finalement déjoué les pronostics. L'Institut de statistiques a enregistré une hausse des créations d'emplois de 0,2% entre janvier et mars, avec 50.500 emplois créés. Dans sa note de conjoncture de la mi-mars, les conjoncturistes tablaient sur une hausse de seulement 0,1% et 20.000 emplois créés. « On est surpris une fois de plus par la vigueur du marché du travail », explique à La Tribune, Mathieu Plane, économiste à l'OFCE.

« L'économie française continue de créer autant d'emplois que d'activité. Ce qui veut aussi dire qu'il n'y a pas de gains de productivité », poursuit l'économiste. Cette révision à la hausse « ne va pas nous amener à revoir fondamentalement notre prévision du chômage autour de 8% en fin d'année, puis une stabilisation. Cela va juste retarder la hausse prévue du chômage. La remontée va être décalée ».

Dans sa lettre adressée au président de la République il y a deux semaines, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, était pessimiste sur la promesse d'Emmanuel Macron de parvenir au « plein emploi » d'ici 2027. Il faut dire que l'emploi salarié avait fortement reculé en fin d'année 2023, plombé par une activité en berne. Et les perspectives économiques étaient bien sombres en France comme dans la zone euro. Les effets du durcissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) pour limiter l'inflation pesaient lourdement sur l'activité. Mais les meilleurs chiffres de croissance du PIB (produit intérieur brut) du premier trimestre (+0,2%) ont permis de soutenir les créations d'emplois sur le marché du travail. Comment expliquer cette reprise soudaine ?

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Le tertiaire tire l'emploi vers le haut

Sur l'ensemble des secteurs, le tertiaire tire incontestablement l'emploi vers le haut au premier trimestre (+0,4%) avec 48.000 emplois créés. « Il dépasse son niveau d'un an auparavant (+0,8 % soit +94.300 emplois) et excède largement celui d'avant-crise (+7,8 % par rapport à fin 2019 soit +906.600 emplois) », souligne l'Insee. Au début du printemps, les statisticiens tablaient sur une hausse nette de seulement 5.000 emplois dans le secteur marchand.

Compte tenu du poids du tertiaire dans l'économie française, cette dynamique des services devrait doper le marché du travail tricolore. L'autre bonne nouvelle concerne l'industrie (+0,2%) avec 6.400 emplois créés. « Après avoir rattrapé son niveau d'avant-crise au quatrième trimestre 2021, il le dépasse désormais de 2,9 % (soit 90.900 emplois nets créés depuis fin 2019) », complète l'Insee. « Il y a des effets sectoriels assez surprenants. L'industrie crée de l'emploi. Dans le même temps, il y a un recul de 0,6% de la valeur ajouté sur le trimestre », souligne Mathieu Plane.

En revanche, la construction continue sa descente aux enfers. L'emploi a reculé de 0,5% au premier trimestre après un précédent repli au dernier trimestre 2023 (-0,2%). Frappés de plein fouet par la crise énergétique et la hausse des taux, le bâtiment et la construction peinent à se relever. Plusieurs grands groupes ont déjà annoncé des coupes sévères dans leurs effectifs. Et d'autres mauvaises nouvelles sur le front de l'emploi pourraient venir dans un secteur en plein marasme.

Incertitudes sur le chômage

En dépit de cette bonne surprise sur l'emploi, beaucoup d'incertitudes planent sur les perspectives du chômage. Au cours de l'année 2023, le taux de chômage au sens du bureau international du travail (BIT) est remonté, pour passer de 7,2% à 7,5% en fin d'année. Et il s'est stabilisé depuis à ce niveau. Cette remontée s'explique par un essoufflement de la croissance, de plus faibles créations d'emplois et une population active dynamique. D'autres facteurs pourraient peser sur l'emploi. La fermeture du robinet des aides mises en place depuis le Covid et les moindres aides à l'apprentissage ont poussé les entreprises à réduire la voilure sur les embauches.

Il faut rappeler que pendant plusieurs trimestres, au cours des années 2021 et 2022, la croissance de l'emploi a été nettement supérieure à celle de l'activité. Beaucoup d'entreprises faisaient de la rétention de main-d'oeuvre en attendant que l'économie reparte. Mais cette perspective s'est assombrie avec l'inflation et le durcissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Plusieurs instituts de prévisions à La Banque de France et l'OFCE parient également sur une hausse du chômage. En effet, l'entrée en vigueur de la réforme des retraites depuis le premier septembre dernier devrait faire bondir la population active, estimée à 500.000 actifs en plus par l'Insee d'ici 2027. Cette hausse attendue pourrait jouer en défaveur du chef de l'Etat si la dynamique des créations d'emplois reste inférieure à celle de la croissance. « La croissance modeste, la politique budgétaire restrictive, et les carnets de commande orientés à la baisse » pourraient faire grimper le chômage, complète Mathieu Plane.

Une baisse de la productivité amenée à durer ?

Cette amélioration de l'emploi repose en grande partie sur une baisse spectaculaire de la productivité. En effet, la productivité horaire est encore loin d'avoir retrouvé son niveau d'avant crise sanitaire. Dans une récente étude, la Banque de France parle même d'un « décrochage » depuis 2019. Les débats entre économistes sont encore vifs sur les facteurs qui peuvent expliquer ces pertes de productivité.

A la Banque de France, les experts évoquent des facteurs dont les effets sont amenés à perdurer dans le temps comme les embauches massives d'apprentis ou encore les changements de composition de main-d'oeuvre. Face aux difficultés de recrutement, les entreprises ont eu tendance à recruter la main-d'oeuvre moins qualifiée. Ce qui pourrait avoir des conséquences sur la productivité des emplois à moyen terme.  D'autres facteurs temporaires comme la rétention de main-d'oeuvre peuvent expliquer cette moindre productivité. Plus inquiétant encore, l'industrie où se trouvent les emplois « les plus productifs » est également frappée par ces moindres gains de productivité.

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L'épineuse question des bas salaires et des emplois faiblement rémunérés

Derrière les chiffres de l'emploi mis en avant par le gouvernement, il existe l'épineuse question des bas salaires. A son arrivée Matignon, le Premier ministre Gabriel Attal a fait de la lutte contre la « smicardisation » de la société une de ses priorités lors de son discours de politique générale en janvier dernier. Le chef du gouvernement promettait de défendre les classes moyennes pour que le travail « paie mieux et toujours plus que l'inactivité ».

Mise en place sous l'ex-Première ministre Elisabeth Borne, une mission pilotée par l'économiste Antoine Bozio (IPP) et Etienne Wasmer (New York University) doit remettre ses conclusions sur les pistes visant à améliorer l'efficacité des exonérations sociales sur l'emploi. En effet, l'indexation du salaire minimum ( SMIC) sur l'inflation a provoqué un « écrasement » de l'échelle des salaires depuis l'envolée des prix en 2022.

Résultat, de plus en plus de personnes ont certes obtenu ou gardé un emploi mais elles se retrouvent avec des salaires proches, voire inférieurs au SMIC dans certaines branches. La semaine dernière, les deux chercheurs ont fait un point d'étape sur l'avancée de leurs travaux. A cela s'ajoute l'explosion du travail indépendant et de travailleurs des plateformes parfois rémunérés en deça du seuil du pauvreté. Au final, la question du « plein emploi » pourrait s'avérer bien plus complexe que la baisse du chômage.

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L'économie allemande retrouve aussi quelques couleurs

Il n'y a pas que la France qui retrouve quelques couleurs.  L'activité économique allemande a recommencé à croître au premier trimestre de 2024, avec une progression de 0,2% du Produit intérieur brut (PIB), après un recul en fin d'année dernière et sur l'ensemble de l'année 2023, selon des chiffres officiels publiés fin avril. Le taux de croissance de la première économie européenne est un peu meilleur que les prévisions de Factset, qui attendait une progression de 0,1%. Côté marché du travail, la situation demeure stable. Le taux de chômage en avril est resté à 5,9%, le niveau auquel il campe depuis décembre en attendant que la reprise espérée se matérialise, selon des données corrigées des variations saisonnières (CVS), publiées également fin avril par l'Agence pour l'emploi.

Grégoire Normand
Commentaires 14
à écrit le 09/05/2024 à 19:41
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╭∩╮(︶︿︶) Des emplois pour qui ?

le 10/05/2024 à 7:54
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C'est écrit : "des salaires proches, voire inférieurs au SMIC" sans parler des CDD permanents de très courte durée, obligation de refuser la mutuelle par un document rédigé par le recruteur…on est pas loin du contrat 0 heure ̑b̑̑ȓ̑ȋ̑t̑̑ȃ̑n̑̑n̑̑ȋ...

à écrit le 08/05/2024 à 12:06
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C'est dommage que Renaissance fasse la campagne électorale du RN, parce que je viens d'écouter Hayer et elle semble pas mal au final. Mais bon que ce osit Brune Poirsson, Kate Borlogan, Axelle Lemaire également, dès qu'on trouve des gens compétents i...

le 10/05/2024 à 13:22
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il se gosse de résultat en progression sauf qu'il n' y est pour rien c'est un simple réajustement et puis il a toujours cette parole ou les francais sont des fainéants mais ceux qui produise n'avait pas a nourrir autan de non productif comparons a...

à écrit le 08/05/2024 à 9:49
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La baisse de la productivité, si elle est vraiment liée à des embauches massives d'apprentis ou encore à des changements de composition de main-d'oeuvre, ne me semble pas qu'elle va perdurer. Ce que je veux dire est qu'elle va se stabiliser mais elle...

le 08/05/2024 à 13:19
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Maintenir au travail tout le monde avait conduit à la prolifération d'emplois administratifs inutiles dans une Union Soviétique prise dans la contradiction d'une travail obligatoire et d'une économie stagnante. D'où la tolérance française pour le non...

le 09/05/2024 à 22:53
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La baisse de la productivité est aussi liéeà l âge.. vous ne pouvez être à 55-65 ans ce que vous êtes à 30-40 ans.. surtout pour les emplois de charges ou physiques .ou pour les salariés malades 37% à partir de 57 ans selon la dares ….or Macron a fa...

à écrit le 08/05/2024 à 7:35
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Derrière un tel chiffre avec une croissance atone il ne faut pas regarder les chiffres de la productivité

à écrit le 08/05/2024 à 7:34
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"L'économie française a créé 50.000 emplois" 50000 pile ! LOL ! A la Pasqua quand il avait supprimé un million de chômeurs d'un coup de crayon ! ^^

le 08/05/2024 à 9:17
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Je préfère 50 000 global que 49 783 qui de toute façon, va augmenter (ou baisser ?) dans les 5 minutes, ça donne un ordre de grandeur. Comme la vitesse de la lumière on dit 300 kkm/s, c'est arrondi, c'est pas la vraie valeur (299 792 458m/s) mais plu...

le 08/05/2024 à 9:45
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Des vœux pieux Photo tout ça, des vœux pieux tu vois bien qu’à part nous prendre notre fric rien d'autre ne les motive. Ah oui et avoir des caresses des actionnaires milliardaires ils aime également. Si on pouvait avancer sur les dossiers maintenant ...

à écrit le 07/05/2024 à 19:31
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Son but est de dire, mais pas de faire ! Et l'on s'en apercoit une fois que le sabotage a fonctionné !

à écrit le 07/05/2024 à 19:05
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Comment le plein emploi peut il devenir réalité avec une croissance molle ? Il y a quelque chose qui m’échappe.

le 08/05/2024 à 9:21
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Il faudrait demander à un prix Nobel d'économie. :-) C'est peut-être le système vertueux qui pourrait ruisseler, en embauchant plus on produira plus (?) et la croissance bondira. S'il y a des acheteurs de ce qui est produit. Voir l'immobilier, ça ne...

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