Espagne : le suspense est levé, Pedro Sanchez ne démissionnera pas

Après plusieurs jours de silence, le Premier ministre espagnol s'est finalement maintenu à la tête de son gouvernement. Cette séquence politique particulière a été provoquée par l'ouverture d'une enquête à l'encontre de son épouse, illustration, selon le chef de l'exécutif espagnol, d'une campagne de déstabilisation orchestrée par l'opposition de droite.
Au pouvoir depuis 2018, le dirigeant socialiste de 52 ans s'est exprimé lors d'une « allocution institutionnelle » ce matin à 11h.
Au pouvoir depuis 2018, le dirigeant socialiste de 52 ans s'est exprimé lors d'une « allocution institutionnelle » ce matin à 11h. (Crédits : JON NAZCA)

[Article publié lundi 29 avril 2024 à 11h14, mis à jour à 11h30] Le suspense est enfin levé... Après plusieurs jours de silence, ce lundi le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a finalement annoncé son maintien à la tête du gouvernement, malgré la « campagne de discrédit » dont il a fait l'objet, selon ses mots. « J'ai décidé de continuer » à la tête du gouvernement, a ainsi déclaré le leader socialiste de 52 ans.

Au pouvoir depuis 2018, le dirigeant s'est exprimé lors d'une « allocution institutionnelle » ce matin à 11h, depuis le palais de la Moncloa, sa résidence officielle à Madrid.

Cette séquence politique a été provoquée par l'ouverture d'une enquête à l'encontre de son épouse pour « corruption » et « trafic d'influence », illustration, selon le chef de l'exécutif espagnol, d'une campagne de déstabilisation orchestrée par l'opposition de droite.

Silence radio

Habitué des coups d'éclat et des coups de poker, Pedro Sánchez a sidéré l'Espagne en mettant mercredi dernier sa démission dans la balance, après l'annonce par un tribunal madrilène de l'ouverture d'une enquête préliminaire pour trafic d'influence et corruption contre son épouse, Begoña Gómez.

« J'ai besoin de m'arrêter et de réfléchir afin de décider si je dois continuer à être à la tête du gouvernement », avait-t-il écrit dans une lettre de quatre pages, publiée sur le réseau social X.

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Fait absolument inédit, Pedro Sánchez avait depuis suspendu toutes ses activités publiques alors qu'il devait notamment lancer jeudi soir dernier la campagne des régionales du 12 mai en Catalogne, un scrutin à la portée nationale où son Parti socialiste espère chasser les indépendantistes du pouvoir.

Scandant « Pedro, reste! », des milliers de sympathisants s'étaient réunis ce samedi devant le siège du Parti socialiste à Madrid pour demander au Premier ministre de ne pas quitter son poste.

Même s'il reste à son poste, Pedro Sánchez pourrait choisir de se soumettre à une question de confiance afin de montrer à l'opposition qu'il bénéficie du soutien d'une majorité des députés.

Une enquête visant l'épouse de Pedro Sánchez

L'enquête contre l'épouse de Pedro Sánchez, placée sous le sceau du secret de l'instruction, a été ouverte à la suite d'une plainte de l'association « Manos limpias » (Mains propres), un collectif proche de l'extrême droite.

L'instruction porte en particulier, selon le média en ligne El Confidencial, sur les liens noués par Begoña Gómez avec le groupe Globalia, parrain de la fondation dans laquelle elle travaillait, au moment où Air Europa, compagnie aérienne appartenant à Globalia, négociait avec le gouvernement Sánchez l'obtention d'aides publiques.

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Cette compagnie aérienne a effectivement touché, en novembre 2020, 475 millions d'euros, issus d'un fonds de 10 milliards destiné à soutenir les entreprises stratégiques en difficulté à cause de la pandémie de covid. Mais des dizaines d'autres ont suivi, dont plusieurs de ses concurrents (Iberia, Vueling, Volotea...).

Le parquet a demandé jeudi dernier le classement de cette enquête, tandis que l'association « Manos limpias » a reconnu que sa plainte était uniquement basée sur des articles de presse, mais le juge en charge du dossier n'a pas encore dévoilé ses intentions.

L'extrême droite espagnole à la manœuvre

Figure honnie par l'opposition, Pedro Sánchez - qui gouverne avec l'extrême gauche et bénéficie du soutien des indépendantistes basques et catalans - veut voir dans cette affaire une campagne orchestrée par « une coalition d'intérêts de droite et d'extrême droite » qui « n'acceptent pas le verdict des urnes ».

« Il s'agit d'une opération de harcèlement et de démolition(...) pour me faire vaciller politiquement et sur le plan personnel en s'attaquant à mon épouse », a-t-il écrit dans sa lettre.

Très polarisé, le contexte politique s'est fortement tendu ces derniers mois en Espagne en raison de l'opposition farouche de la droite à une loi d'amnistie pour les indépendantistes impliqués dans la tentative de sécession de la Catalogne en 2017.

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Concession très controversée du Premier ministre aux séparatistes catalans, en échange de leur soutien à sa reconduction pour un nouveau mandat en novembre, cette loi a été votée en première lecture par les députés au mois de mars et devrait être adoptée définitivement fin mai.

L'opposition de droite tourne depuis mercredi Pedro Sánchez en ridicule, l'accusant de vouloir se faire passer pour une victime.

« Un chef du gouvernement ne peut pas se donner en spectacle comme un adolescent afin que tout le monde se mette à lui courir après en l'implorant de ne pas partir et de ne pas se fâcher », a ironisé le chef du Parti populaire (droite), Alberto Núñez Feijóo.

Un bilan économique relativement bon

Au pouvoir depuis six ans, le chef de l'exécutif espagnol est comptable d'un bilan économique relativement bon. En 2023, avec 2,5%, le taux de croissance de l'Espagne a ainsi été cinq fois supérieur à la moyenne de la zone euro. Un chiffre qui confirme le dynamisme de la quatrième économie de la zone euro et qui tranche par rapport à l'atonie des pays européens voisins. Pour comparaison, l'an passé, la croissance française s'est, elle, laborieusement stabilisée à +0,9%.

Poule aux œufs d'or du PIB espagnol, le tourisme, qui atteint des sommets. Le pays a en effet reçu en 2023 un nombre record de 85,1 millions de touristes internationaux, soit 18,7% de plus qu'en 2022. Motif de satisfaction supplémentaire pour l'Espagne : les dépenses des touristes étrangers ont augmenté de 24,7%, atteignant le niveau record de 108,6 milliards d'euros, contre 91,9 milliards en 2019, dernière année avant la pandémie. Et d'après l'organisation patronale Exceltur, cette dynamique devrait en effet se poursuivre cette année, avec un niveau de recettes touristiques nationales et internationales attendu autour de 200 milliards d'euros.

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Enfin, la demande intérieure a contribué à hauteur de 1,7 point à la croissance espagnole enregistrée en 2023, contre 0,8 point pour la demande extérieure. Mais le pays ibérique doit tout de même composer avec une inflation persistante : celle-ci a de nouveau accéléré en avril pour atteindre 3,3% sur un an, en raison principalement de la hausse des prix du gaz et de l'alimentation, selon une première estimation officielle publiée ce lundi.

La persistance de ce contexte inflationniste a conduit le gouvernement du Premier ministre socialiste à prolonger des mesures d'aides au pouvoir d'achat. L'exécutif a ainsi maintenu jusqu'au 30 juin 2024 la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, et prolongé jusqu'à la fin 2024 la réduction de 30% sur les tarifs des transports en commun. L'objectif du gouvernement espagnol est de se rapprocher de la cible des 2% d'inflation fixée par la Banque centrale européenne (BCE).

Expert en rebondissements politiques

Depuis son entrée en politique, le chef de l'exécutif espagnol a déjà fait face à plusieurs situations difficiles, se forgeant une réputation d'expert en survie politique. Né le 29 février 1972 à Madrid d'une mère fonctionnaire et d'un père entrepreneur, cet économiste - dont la thèse a été accusée de plagiat, ce qu'il a toujours nié - a pris en 2014 les rênes du PSOE à l'issue des premières primaires de cette formation.

Mais cette première expérience se solde par un échec : le parti enregistre alors les pires résultats électoraux de son histoire et Pedro Sánchez se retrouve poussé vers la sortie. Alors que beaucoup annoncent la fin de sa carrière politique, il parvient pourtant à reprendre la tête du PSOE à peine six mois plus tard, après avoir sillonné l'Espagne dans sa Peugeot 407 pour aller à la rencontre des militants, qui lui apportent leur soutien.

Cette ténacité le conduit au pouvoir en juin 2018 : rassemblant autour d'une motion de censure l'ensemble de la gauche et des partis basques et catalans, il renverse le Premier ministre conservateur Mariano Rajoy, plombé par un scandale de corruption, et prend sa suite.

Gouverner en minorité

A la tête d'une majorité instable, Pedro Sánchez est alors contraint de convoquer deux élections législatives consécutives en 2019, qu'il remporte. Puis d'accepter début 2020 un mariage de raison avec ses anciens frères ennemis de Podemos (gauche radicale) pour se maintenir au pouvoir.

Gouvernant en minorité, il parvient malgré des tensions récurrentes avec ses alliés à réformer le marché du travail et les retraites, à augmenter de 50% le salaire minimum et à instaurer une loi réhabilitant la mémoire des victimes de la Guerre civile (1936-1939) et de la dictature de Franco (1939-1975). Des réformes qui ont fait monté la cote de popularité du Premier ministre espagnol.

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Donné une nouvelle fois pour mort politiquement après une débâcle de la gauche aux élections locales en mai 2023, Pedro Sánchez tente un nouveau pari en convoquant des élections anticipées deux mois plus tard, dont il arrive deuxième, derrière son rival conservateur Alberto Núñez Feijóo.

Au terme de longues tractations, il parvient finalement à se faire reconduire au pouvoir par le Parlement, au prix d'importantes concessions - dont une loi d'amnistie controversée pour les indépendantistes impliqués dans la tentative de sécession de la Catalogne en 2017, à laquelle il était jusqu'alors opposé.

(Avec AFP)

Commentaires 2
à écrit le 30/04/2024 à 16:23
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Le mantra de tous ces humanistes gauchistes, c’est la faute à la vilaine extrême droate.

à écrit le 30/04/2024 à 8:26
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Bah un larbin de gauche sert aussi bien les marchés financiers qu'un larbin de droite hein. Autant que les gars restent en place pour faire tous la même m...

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