On prédisait à Liz Truss un automne chaotique. Les présages étaient en dessous de la réalité. A l'image de la mort soudaine d'Elisabeth II deux jours après leur rencontre, rien ne s'est passé comme prévu pendant son premier mois aux affaires. Et quand la Première ministre a voulu reprendre en main la situation économique, celle-ci s'est... aggravée.
L'acmé de ce début de mandat calamiteux a été atteinte le 23 septembre. Au Parlement, le ministre des Finances fraîchement nommé Kwasi Kwarteng a dévoilé un « mini budget » dont il est l'architecte. Ce paquet de mesures économiques s'est fixé deux objectifs : la protection du pouvoir d'achat des ménages et une relance de la croissance.
Liz Truss a ainsi choisi de plafonner les factures d'énergie pendant deux ans à 2.500 livres pour les ménages. Les entreprises verront, elles, leur coût énergétique pris en charge pour moitié pendant six mois. Ces décisions dispendieuses ont été perçues comme un premier revirement chez celle qui n'avait presque pas évoqué de plan anti-inflation pendant sa campagne électorale. Elles paraissaient néanmoins inévitables quand près de 45 millions de Britanniques sont menacés de « pauvreté énergétique » cet hiver, selon l'Université de York.
« Mini-budget » non chiffré, cadeaux fiscaux... et tollé général
Ces milliards qui sortent des caisses publiques ne sont pas compensés par des économies ou des rentrées fiscales équivalentes. La facture totale n'est pas établie. Le « mini-budget » prévoit en plus un stimulus fiscal avec des exonérations pour 45 milliards de livres de charges sociales pour les entreprises et les ménages. L'abaissement du taux maximal d'imposition sur le revenu de 45% à 40%, interprété comme un cadeau à ceux qui souffrent le moins de l'inflation, a provoqué une colère unanime dans le Royaume.
Dix jours d'un feu nourri de critiques, y compris du camp conservateur, ont contraint le gouvernement à remballer sa baisse d'impôt au bénéfice des plus riches. « Liz Truss doit déjà affronter des frondeurs chez les conservateurs. Cette frange craint de perdre l'électorat populaire conquis par Boris Johnson dans les anciens bastions travaillistes du nord de l'Angleterre », analyse l'universitaire Aurélien Antoine, président de l'Observatoire du Brexit, qui pointe la fracture entre la frange populaire du parti conservateur et les autres parlementaires néolibéraux et thatchériens.
Le congrès annuel des Tories, qui se tient actuellement à Birmingham, a offert le spectacle de ces tensions. D'ordinaire très policé, l'évènement a été le théâtre de manifestations. Certains membres du gouvernement comme le secrétaire d'État à l'Énergie Jacob Rees-Mogg ont été chahutés par les protestataires. « On a entendu, et on a compris », a répondu sur la scène du congrès Kwasi Kwarteng pour justifier le retrait de ses allègements fiscaux pour les plus riches. Le ministre a regretté que cette mesure « ait éclipsé » les autres volets de son programme.
Tempête sur la dette et la monnaie
Effectivement, le plus grave est ailleurs. L'absence de chiffrage précis du « mini budget » a jeté l'effroi sur les marchés financiers. La livre s'est effondrée comme jamais, tombant le 26 septembre au plus bas niveau jamais atteint par rapport au dollar. Les taux souverains à 10 ans sur la dette britannique ont été catapultés de 3,5% à 4,5% après le dévoilement du plan anti-crise.
Face à ce naufrage, la Banque d'Angleterre a dû racheter le 28 septembre de la dette pour secourir ses taux et éviter les faillites de fonds de pension détenteurs d'obligations britanniques. Cette intervention inédite a provoqué une relative accalmie sur les taux. Le taux à 10 ans est retombé à 4% quand la livre est légèrement remontée.
Mais la tempête financière a laissé des stigmates. Les taux de crédit étant indexés sur les taux souverains dans l'économie réelle, les emprunts immobiliers grimpent déjà dans un pays où un quart des foyers emprunte à taux variable. De quoi obérer un peu plus leur budget. « La réaction très vive des marchés a fait des mesures de soutien à la croissance une catastrophe. Le gouvernement a réussi à aggraver la crise économique, qui était déjà très sérieuse. Le pouvoir d'achat coule, diminué en plus par la chute de la livre qui alourdit leur coût des importations. C'est une catastrophe sur des produits comme les fruits et légumes venus de l'étranger », s'inquiète l'universitaire Aurélien Antoine.
Impression d'amateurisme
L'échec est d'autant plus cinglant qu'il se double d'un sentiment d'amateurisme. « Liz Truss a licencié début septembre le directeur du Trésor britannique, qui n'était pas en phase avec son plan budgétaire. De même, elle n'a pas soumis son "mini-budget" à la validation de l'Office for budget responsibility (organe de contrôle des finances publiques, Ndlr) qui n'a pas pu établir de prévisions budgétaires », observe Sophie Loussouarn, professeure de civilisation britannique à la faculté Jules-Verne d'Amiens.
« Seuls deux ministres dont Kwasi Kwarteng ont été associés à la conception de ce "mini budget", sans prendre la peine de consulter le reste des ministres. Cela témoigne d'une impréparation totale et donne une impression d'incompétence qui affaiblit l'autorité de Liz Truss un mois après la formation de son gouvernement », poursuit la spécialiste du Royaume-Uni, qui déplore que la facture totale du mini budget ne soit « toujours pas connue ». Le gouvernement de Liz Truss a bien fini par rencontrer l'Office for budget responsibility vendredi dernier. Les prévisions budgétaires de l'organisme indépendant ont bien été transmises à Downing Street, qui ne les publiera pas avant fin novembre.
Les revirements de Liz Truss amenuisent déjà son crédit politique, alors qu'elle voulait s'inscrire dans la continuité d'une Margaret Thatcher capable d'assumer des décisions hautement impopulaires. Les craintes de son ancien concurrent au poste de Premier ministre Rishi Sunak, se sont réalisées, lui qui qualifiait cet été les baisses d'impôts promises par Liz Truss de « fantaisistes » et « irresponsables ». Il n'imaginait pas que les faits lui donneraient raison si vite.