Allemagne : les 5 casse-tête d'Angela Merkel après l'élection berlinoise

Les élections de Berlin ont sonné une nouvelle défaite pour la chancelière. Elle rend de plus en plus complexe sa situation politique. Explications en 5 points.
Si la politique migratoire est sans doute un déclencheur du mécontentement, le maintien du vote Die Linke traduit un rejet plus global d'une politique économique qui permet d'afficher un relatif succès des grands agrégats, mais qui, en réalité, conduit à un mécontentement de population contraints à enchaîner les emplois précaires et les bas salaires dans un environnement dégradé.

Le résultat des élections berlinoises de ce dimanche 18 septembre ressemble à s'y méprendre à celui des précédentes : effondrement de la CDU et la SPD, les deux partis de la « grande coalition » fédérale qui, en cumulé, perdent pas moins de 12,4 points et poussée du parti eurosceptique et xénophobe AfD qui, pour sa première participation à ce scrutin, recueille 14,2 % des suffrages exprimés, un score conforme aux prédictions des suffrages. Cette nouvelle défaite des deux grands partis, deux semaines après la débâcle en Mecklembourg-Poméranie Occidentale, est très préoccupante pour la chancelière Angela Merkel à plus d'un titre, car elle confirme que c'est non seulement l'élection fédérale de septembre 2017 qui sera difficile, mais aussi la constitution d'une majorité. Tour d'horizon des casse-têtes de la chancelière.

1. La perte de la « formule magique » de la CDU

A Berlin, la chute de la CDU date de 2001 lorsque le parti avait perdu 17 points en passant de 40,8 % à 23,8 %. La capitale fédérale est un bastion traditionnel de la gauche. Dans le contexte actuel et compte tenu des divisions du parti berlinois, la défaite de ce 18 septembre n'est guère surprenante. Il n'empêche, ce scrutin de 2016 marque une nouvelle inflexion qui confirme des éléments inquiétants déjà identifiés dans les autres élections régionales.

Dimanche, la CDU berlinoise a perdu 53.156 voix, soit 15,6 % de son électorat de 2011, alors même que l'élection a été mobilisatrice puisqu'on compte 175.111 électeurs de plus. A 17,9 % des suffrages, le parti chrétien-démocrate enregistre le pire score de son histoire dans la capitale fédérale, en-dessous des 19,4 % de 1948. Il y a donc conjonction de deux phénomènes : fuite d'une partie des électeurs et incapacité à mobiliser les anciens abstentionnistes. Un double phénomène très inquiétant, car la force de la CDU depuis sa création est, précisément, cette capacité d'unité à droite et au centre. Son fondateur, Konrad Adenauer, avait ainsi pu concentrer les représentants et les électeurs des grands partis de droite de la République de Weimar : catholiques du Zentrum, nationaux-libéraux de la DVP et conservateurs de la DNVP. Sur cette base solide venait s'ajouter une grande partie des électeurs centristes ou du centre-gauche pour qui la CDU restait une option. La CDU pouvait ainsi dépasser les 40 %. Konrad Adenauer, Helmut Kohl et, en 2013, Angela Merkel, avaient parfaitement profité de cette « formule magique ».

Cette fois, la formule ne fonctionne plus. Indéniablement, la frange la plus conservatrice de la CDU a abandonné le parti par rejet de la politique migratoire d'Angela Merkel. Le parti est donc sur le point de perdre une de ses composantes historiques, ce qui risque de poser de graves problèmes internes, car une partie de ses cadres se définissent encore comme « conservateurs ». Mais il y a plus inquiétant encore : cette fuite à droite n'est pas compensée par une capacité à regrouper les électeurs centristes favorables à la politique migratoire de la chancelière. Autrement dit, les électeurs qui soutiennent cette politique ne soutiennent pas la CDU ni Angela Merkel. Dans le contexte actuel, le vote CDU était un vote pro-Merkel, mais ce réflexe n'a pas fonctionné. Les électeurs ont préféré se tourner vers d'autres options, notamment les Libéraux de la FDP qui gagnent 5 points et 73.000 voix, à 6,7 % des voix. C'est là le principal problème de la chancelière : elle a perdu cette capacité d'unifier les électorats qui a longtemps été sa grande force.

Cet échec est d'abord celui de la stratégie d'équilibre de la chancelière. Cette dernière s'est aliéné sa droite en assumant sa politique d'ouverture des frontières et en refusant la « limite haute » du nombre de réfugiés demandée par la CSU bavaroise. Mais elle a aussi donné (vainement) des gages à sa droite, sur la restriction du droit d'asile, la réduction effective des entrées et la politique d'intégration. Du coup, elle n'apparaît pas forcément, pour l'électorat libéral, le porte-drapeau de l'ouverture et de la politique multiculturelle. Beaucoup n'ont pas oublié que, voici quelques années, Angela Merkel avait proclamé « l'échec de la société multiculturelle ». L'exercice de caméléon politique a parfois ses limites et Angela Merkel les a atteintes désormais. La finesse s'est muée en perte de crédibilité complète.

2. L'AfD s'implante dans le paysage politique

Berlin n'est pas un terreau favorable en théorie à Alternative für Deutschland, parti eurosceptique et xénophobe. La capitale fédérale est assez jeune et réputée plus ouverte au multiculturalisme. En 2011, le parti Pirate avait obtenu 8,9 % des voix. Or, malgré cela, AfD réunit 231.325 voix et 14,2 % des suffrages exprimés. Un tel score n'a pu se faire que par la réunion des déçus de la CDU, mais aussi par une forte mobilisation de ceux qui, en 2011, s'étaient abstenus. Cette capacité à attirer ceux qui étaient déçus par la politique est particulièrement gênante pour Angela Merkel, car elle prouve qu'AfD est désormais perçue comme une réelle alternative qui redonne de l'intérêt à la politique. Pour la chancelière, qui a fondé son action sur le consensus et l'absence effective d'alternative, la leçon est dure. On remarquera qu'à Berlin, les trois partis « anti-système », ceux qui sont soit hors du Bundestag, soit dans l'opposition complète (AfD, FDP, Die Linke) sont ceux qui progressent.

Ce scrutin berlinois confirme aussi le fait que, vraisemblablement, AfD n'est pas le « feu de paille » que certains prédisent. Comme en Saxe-Anhalt, dans le Bade-Wurtemberg ou le Mecklembourg, cette formation a été capable d'arriver en tête dans cinq circonscriptions de la capitale fédérale, ce qui est un fait extrêmement rare dans la vie politique allemande. Dans le système électoral allemand, on dispose de deux votes, un pour le scrutin « à la britannique », majoritaire à un tour, et un autre pour le scrutin proportionnel de listes. Souvent, dans le cas de vote protestataire, on constate une divergence entre les deux votes. Ainsi, les Pirates avaient en 2011 obtenu 5 % des premiers votes et 8,9 % des seconds. Ceci traduit un vote assez flottant, peu convaincu. Ce n'est pas le cas d'AfD qui, dimanche, a obtenu 14,1 % des premiers votes et 14,2 % des seconds. On est ici davantage sur un vote d'adhésion et de conviction. Le fait que les bons scores d'AfD en cette rentrée interviennent après une grave crise interne en juin prouve que son électorat n'est pas aussi volatile qu'on pouvait le penser. Plus que jamais, la loi de l'ancien ministre président bavarois Franz Josef Strauss, qui avait, dans les années 1970, promis qu'il n'y aurait « aucun parti à la droite de la CSU », semble caduque.

3. La déception des Verts

Berlin est une ville rêvée pour les Verts allemands. C'est d'ailleurs dans le cœur de la capitale que l'on trouve le seul député fédéral écologiste élu au scrutin direct. En 2011, les Verts avaient obtenu 17,6 % des voix, ce qui, alors était un record (aujourd'hui dépassé par le Bade-Wurtemberg). On attendait encore une progression des Verts ce 18 septembre et c'eût été une excellente consolation pour Angela Merkel qui s'est beaucoup rapproché des Ecologistes et de son nouvel homme fort, Winfried Kretschmann, le très « raisonnable » ministre-président du Bade-Wurtemberg, désormais à la tête d'une alliance Verts-CDU. La chancelière ne fait plus guère mystère de sa volonté d'envisager cette alliance au niveau fédéral. Une telle alliance se fonderait sur le compromis suivant : les Verts accepteraient la politique économique de la CDU et la CDU s'appuierait sur les Verts pour les réformes « sociétales » et la politique migratoire. Mais ce compromis, déjà délicat compte tenu des positions de la CSU, suppose que les Verts progressent et récupèrent une partie des déçus de la SPD.

Or, les élections de Berlin et du Mecklembourg montrent que le compte n'y est pas. S'il y a une vraie dynamique en Bade-Wurtemberg, où les Verts ont bien repris une partie de l'électorat des grands partis, l'étoile des Verts pâlit partout ailleurs. Le tournant « réalo » incarné par Winfried Kretschmann ne séduit pas une grande partie des électeurs écologistes. Le 4 septembre, les Verts étaient passés de 8,7 % à 4,8 % des voix au Mecklembourg, étant éjectés du parlement régional. Ce dimanche, le nombre d'électeurs des Verts à Berlin a progressé de six voix et sa part de l'électorat est passée de 17,4 % à 15,2 %. C'est une amère déception pour les Ecologistes, alors que, parallèlement, Die Linke, le parti de gauche, attaqué dans ses bastions de l'est par AfD et affaibli en 2011, parvient à les dépasser avec 15,6 % des voix et 66.000 voix de plus. Ceci signifie que Die Linke peut, à l'ouest, davantage profiter de l'affaiblissement de la SPD (qui a perdu 6,9 points et 61.000 voix) que les Verts. Si ce phénomène se confirme au niveau fédéral, la CDU devra renoncer à son rêve de coalition fédérale « noire-verte » en 2017.

4. Les migrants ne sont pas la seule cause de la défaite d'Angela Merkel

Comme on l'a souligné, Berlin est, globalement, un Land assez favorable à la politique migratoire d'Angela Merkel. Le bon score d'AfD ne doit pas faire oublier que 85 % des électeurs ont choisi des partis favorables à l'accueil des migrants. Pourtant, comme on l'a vu, ceci n'a pas conduit à un renforcement des partis qui ont mené l'actuelle politique migratoire. C'est que d'autres phénomènes ont motivé le vote des électeurs, notamment le rejet de la politique de la grande coalition sur le plan économique.

Berlin souffre, comme les autres Länder, du sous-investissement chronique de l'Etat fédéral et régional. La hausse vertigineuse des prix de l'immobilier depuis quelques années a aussi renforcé l'exode du centre vers les périphéries des populations les plus fragiles. Et c'est dans ces banlieues que le rejet des parties traditionnels est le plus fort : à Lichtenberg ou Marzahn, Die Linke et AfD cumulées approchent ou dépassent la majorité absolue. Si la politique migratoire est sans doute un déclencheur du mécontentement, le maintien du vote Die Linke traduit un rejet plus global d'une politique économique qui permet d'afficher un relatif succès des grands agrégats, mais qui, en réalité, conduit à un mécontentement de population contraints à enchaîner les emplois précaires et les bas salaires dans un environnement dégradé. C'est une réaction que l'on remarque également dans d'autres Länder, notamment en ex-RDA. La chancelière en est devenue subitement consciente et son ministre des Finances Wolfgang Schäuble a annoncé un plan de baisse d'impôt. Cela suffira-t-il alors qu'il ne prévoit de redistribuer que 15 des 100 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires prévues dans les 5 prochaines années ?

5. L'impossible équation de coalition

L'Assemblée des députés de Berlin pourrait préfigurer en partie la situation du Bundestag après les élections de septembre 2017, même si les rapports de forces pourraient être différents. En tout cas, l'Assemblée va compter désormais sept partis représentés (SPD, CDU, Verts, Die Linke, FDP et AfD), ce qui devrait être le cas du prochain Bundestag. Avec dans le cas fédéral, une donnée supplémentaire : l'existence de la CSU bavaroise, de plus en plus tentée par le cavalier seul et dont le président, par ailleurs ministre président de Bavière Horst Seehofer, a indiqué qu'elle pourrait prendre son indépendance si Angela Merkel ne cédait pas sur la limite haute des entrées de réfugiés.

A Berlin, la CDU est très faible, donc incapable d'être le centre d'une coalition. La SPD affaiblie reste cependant en tête et va tenter de construire une coalition avec les Verts et Die Linke, coalition qui existe déjà en Thuringe et qui fonctionne plutôt bien. C'est un problème pour la CDU et Angela Merkel : d'abord parce que, progressivement, cette option d'une alliance de gauche « rouge-rouge-verte » devient une possibilité qui pourrait menacer le maintien de la CDU au pouvoir à terme, mais aussi parce que, dans le rapport de force interne aux Verts, elle renforce le camp opposé à Winfried Kretschmann, le meilleur allié d'Angela Merkel. Enfin, ceci semble prouver que, dans un jeu à sept parties, seule une coalition à trois semble une option. Or, une telle coalition est particulièrement difficile à tenir.

Dans sa décision de se représenter à la chancellerie, Angela Merkel devra donc répondre à cette question : est-elle encore capable d'être un facteur d'unité suffisant d'une coalition à trois. Et quelle pourrait être une telle coalition alors que, désormais, l'affaiblissement de la CDU dans l'électorat et même dans l'alliance CDU/CSU fait d'Angela Merkel la cible de tous les partis. Qui acceptera de rejoindre une alliance avec une chancelière si affaiblie ? Les Verts sont, on l'a vu, déchiré. La SPD semble préoccupée de limiter les dégâts en insistant sur ce qui la sépare de la CDU, comme les traités de libre-échange. La FDP a été laminée par son alliance avec Angela Merkel et on peut se demander, alors qu'elle se redresse, si elle renouvellera l'expérience. Die Linke et AfD ne veulent pas d'une alliance avec la CDU. Même la CSU prend ses distances. Cette nouvelle défaite rend désormais l'équation politique de plus en plus impossible pour une chancelière qui devra, avant décembre et le congrès de Hanovre de la CDU, décider de sa candidature en 2017.

Commentaires 10
à écrit le 22/09/2016 à 21:19
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moi même en tant que communiste révolutionnaire, je suis surpris d'apprécier un article de la Tribune mais là il faut avouer que c'est d'excellente qualité et que ça dresse une vision pertinente et cohérente du paysage politique actuel en Allemagne, ...

à écrit le 19/09/2016 à 22:21
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Le changement d'opinion quant aux migrants dépasse largement le seul électorat d'AfD puisque déjà en avril un sondage indiquait que la moitié de l'électorat refusait d'en accueillir davantage, le terrorisme islamiste et le agressions du nouvel an ét...

le 20/09/2016 à 20:08
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C'est également mon avis, tous les partis traditionnels en lisse ont perdu des électeurs. Mais ne nous trompons pas, sur les réseaux sociaux, F. Petry et les cadres du AfD sont autant les cibles des railleries et critiques que les caciques des autres...

à écrit le 19/09/2016 à 20:42
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je n'ai pas lu aussi le montant estimé que merkel va devoir mettre sur la table pour DB en 2016

le 21/09/2016 à 11:15
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Voila la reponse : la DB ( Deutsche Bahn) anticipe une perte de 1,4 Mrd d euro en 2016, la premiere année de perte depuis 12 ans, Ceci etant dû au recul du volume de fret. On est loin des 40 mrds de perte accumulés à la SNCF et dont l ét...

à écrit le 19/09/2016 à 20:41
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Monsieur je ne sais pas si cela vous importe mais je vous lirai demain, Notre but a tous ici est de faire en sorte que la tribune soit le journal de référence et de l'élégance à la française Mais: "Alternative für Deutschland, parti eurosceptiqu...

à écrit le 19/09/2016 à 13:15
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Toujours génial ! On se régale

à écrit le 19/09/2016 à 13:09
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Ces élections en Allemagne sont un signal envoyé à la France avant les présidentielles.

à écrit le 19/09/2016 à 12:43
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Superbe analyse politique d'un Romaric Godin en grande forme (mais quand donc n'est-il pas en forme, on se le demande). On aimerait le lire plus souvent, écrivant de la même encre, sur la politique britannique, ou portugaise...

à écrit le 19/09/2016 à 12:34
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Rien ne dit qu AfD va perdurer. Ils n existent que depuis 3 ans et enecore sous une autre forme (a l origine c etait un parti anti euro de droite classique. ils ont mute vers un parti anti immigre). Le FN existe depuis 30 ans il est loin d etre sur q...

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