Italie : "Les populismes prospèrent sur la crise de défiance envers la politique"

Les électeurs italiens sont appelés aux urnes ce dimanche 4 mars pour élire leurs députés et leurs sénateurs avec un paysage politique très morcelé. Pour le moment, l'issue de ce scrutin paraît très incertaine. Pour La Tribune, Marc Lazar, directeur du Centre d'histoire de Sciences Po et président de la School of government de l'Université LUISS à Rome, explique pourquoi ce rendez-vous électoral est un enjeu déterminant sur la scène européenne.
Grégoire Normand
Silvio Berlusconi en compagnie de la cheffe de Fratellli D'Italia Giorgia Meloni et du leader de la Ligue du Nord Matteo Salvini lors d'un meeting à Rome, jeudi.
Silvio Berlusconi en compagnie de la cheffe de Fratellli D'Italia Giorgia Meloni et du leader de la Ligue du Nord Matteo Salvini lors d'un meeting à Rome, jeudi. (Crédits : Reuters)

À l'approche des élections législatives italiennes, Marc Lazar, professeur d'histoire et de sociologie politique à Sciences Po et spécialiste de la vie politique en Italie, revient sur les différents enjeux de ce scrutin. Le vote de dimanche vient clore un long cycle d'échéances électorales en Europe, depuis le référendum sur le Brexit aux élections législatives en Allemagne, en passant par les élections en Catalogne fin 2017. Le vote de dimanche pourrait déboucher sur un résultat sans majorité claire.

LA TRIBUNE - Pourquoi existe-il-t-il autant d'incertitudes sur l'issue des élections législatives de dimanche prochain ?

MARC LAZAR - L'incertitude tient à trois facteurs principaux. Tous les sondages réalisés avant leur interdiction de divulgation, il y a quinze jours, faisaient apparaître un haut taux d'électeurs tentés par l'abstention ou indécis. Déjà lors du précédent scrutin, un nombre important d'Italiens a fait son choix de vote dans les derniers jours de la campagne, voire le jour même. Cela atteste la profonde défiance qui existe en Italie à l'égard de la classe politique et des partis. Par ailleurs, les Italiens vont expérimenter un nouveau mode de scrutin auquel, par définition, ils ne sont pas habitués. Celui-ci prévoit que 36% des députés et des sénateurs seront élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour et le reste à la proportionnelle. Le vote pour un candidat entraîne automatiquement un suffrage au parti ou à la coalition de partis qui le soutient, et vice-versa. Pour bénéficier de la répartition des sièges, un parti qui se présente seul doit avoir obtenu 3% des voix et une coalition de partis 10%. La troisième incertitude tient précisément au nombre de sièges qu'obtiendront les partis. Il faut en effet obtenir une majorité absolue de sièges à la Chambre des députés et au Sénat. Seul le centre droit est peut-être en mesure de l'avoir, et si c'est le cas, le gouvernement qu'il serait appelé à constituer serait instable car les membres de cette coalition, Forza Italia de Berlusconi, la Ligue Nord de Matteo Salvini, les Frères d'Italie d'extrême droite et un petit regroupement centriste sont en désaccord sur des sujets essentiels.

Quel est le bilan de la précédente législature sur le plan politique et économique ?

Trois gouvernements se sont succédés grâce à une alliance parlementaire associant le centre gauche et quelques regroupements d'élus centristes. Celui d'Enrico Letta (avril 2013-février 2014), celui de Matteo Renzi (février 2014-décembre 2016) et celui de Paolo Gentiloni (commencé en décembre 2016 et toujours en activité actuellement quand bien même le Président du Conseil et nombre de ses ministres sont candidats pour ce scrutin). Cette législature a été active. Ces exécutifs ont agi sur de nombreux sujets. Par exemple, ils ont aboli le financement public des partis politiques, adopté une loi condamnant fermement les auteurs de violences au sein des familles et contre les femmes, réformé le marché du travail et l'école, instauré la reconnaissance juridique des couples du même sexe, accordé 80 euros à 11 millions d'Italiens gagnant moins de 1.500 euros par mois, donné 500 euros à tout jeune le jour de ses 18 ans afin qu'il les utilise pour des dépenses culturelles, alloué près de 20 milliards d'euros pour sauver les banques italiennes, pris des mesures pour tenter de réguler les flux de migrants et agi en faveur de l'industrie et du développement du numérique.
Toutes ces dispositions n'ont pas toujours obtenu un large consensus. Au contraire, celle dite du "Jobs act" et celle concernant l'école publique, toutes les deux promulguées par Matteo Renzi, ont provoqué des manifestations de protestation d'une partie des forces syndicales. Le même Matteo Renzi a subi une défaite cinglante avec son référendum sur la réforme constitutionnelle du 4 décembre 2016 qui visait à sortir du bicaméralisme intégral en réduisant les pouvoirs du Sénat, en changeant son mode de désignation et en modifiant sa composition : 59% d'Italiens ont voté non, entraînant la démission de son initiateur de la présidence du Conseil et de celle de son poste de secrétaire du PD qu'il a néanmoins reconquis à la faveur d'une primaire en juin 2017. Néanmoins, sur le plan économique, la croissance italienne est en train de repartir. Le FMI prévoit un taux de croissance de 1,5%, le déficit public reste inférieur à 3% du PIB, la balance commerciale est excédentaire et la confiance revient chez les chefs d'entreprises. Il reste parmi eux de nombreux points noirs, la colossale dette publique italienne, 131,6% du PIB.

Pourquoi les populismes italiens rencontrent-ils un tel succès ?

Les populismes sont multiples en Italie. Il y a par exemple le populisme de l'entrepreneur Silvio Berlusconi, qui toutefois ne se résume pas à cette seule caractéristique. Le populisme de droite extrême de la Ligue du Nord et des Frères d'Italie. Le populisme inclassable, attrape-tout, mêlant l'horizontalité de la toile à la verticalité des chefs, du Mouvement 5 étoiles. Les populismes prospèrent sur la profonde crise de défiance envers la politique, l'euroscepticisme croissant et la situation sociale, un chômage élevé, des inégalités de toute nature qui se creusent, la pauvreté qui s'étend et l'immense inquiétude des Italiens, leurs peurs, leurs angoisses face à l'immigration et les arrivées de flux de migrants. Non seulement les populistes exploitent ces motifs d'exaspération mais, délibérément, ils ne cessent de les amplifier car ils savent que cela leur profite.

Pourquoi ces élections représentent-elles un enjeu important à l'échelle européenne ?

L'Italie a longtemps été un pays europhile. Elle est devenue un pays eurosceptique. Les Italiens sont désormais plus eurosceptiques que les Français. Et des partis ont fait de l'euroscepticisme l'une de leurs grandes ressources politiques : la Ligue du Nord, Frères d'Italie, le Mouvement 5 étoile et une partie de la petite coalition de la gauche de la gauche, qui s'appelle Libres et égaux. Aux lendemains du 5 mars, ces eurosceptiques pèseront lourd dans le Parlement italien. Et si le centre droit obtient une majorité de sièges, le gouvernement qu'il composera oscillera entre des positions souverainistes et des positions pro-européennes au sein de Forza Italia. Cela nuirait à la crédibilité de l'Italie au sein de l'Union européenne. En fait, la question est de savoir si l'Italie restera ce grand pays qui a toujours joué un rôle important en Europe ou si elle prendra un peu de distance par rapport au projet européen.

Pourquoi ces élections représentent-elles un enjeu pour la France à la fois sur le plan économique et sur le plan politique ?

Sur le plan économique, le résultat de ces élections n'aura guère d'impact pour la France, 2ème partenaire commercial de l'Italie, comme l'Italie est notre deuxième partenaire commercial. Business is business. Sauf évidemment, si l'Italie en venait à avoir un gouvernement composé du Mouvement 5 étoiles, de la Ligue du Nord, d'une partie de la gauche de la gauche qui penserait à une sortie de l'euro. Mais c'est quasiment impossible. Peut-être, également, un gouvernement de centre droit protesterait contre la trop grande présence française en Italie, selon lui. Mais sans conséquence grave. En revanche, si l'Italie a un gouvernement de centre droit, ou pire un gouvernement avec le Mouvement 5 étoiles, les projets d'Emmanuel Macron pour  relancer l'Union européenne, en s'appuyant d'abord et avant tout sur l'Allemagne mais aussi sur l'Italie, seraient entravés du côté de Rome.

Grégoire Normand
Commentaires 9
à écrit le 07/03/2018 à 9:43
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Il faut «  péter » l’abcès sous- jacent en Europe... Les populistes sont soutenus «  en cachette » depuis de nombreuses années par des groupes d’inffluences très riches. C’est bien que «  enfin » les gens assument les «  idées populistes » Peu...

à écrit le 03/03/2018 à 13:14
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Par contre pour la définition de populiste, ça sera un autre jour... Amoins qu'un populiste soit quelqu'un qui ne propose pas de suivre la ligne TINA évidemment...

à écrit le 03/03/2018 à 9:53
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Certes mais la droite populiste a tendance à devenir beaucoup moins eurosceptique sur la dernière ligne droite sans compter qu'un gouvernement en Italie ne tient qu'un an.

à écrit le 02/03/2018 à 14:12
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On se demande en 2019 , quel va être la composition du nouveau parlement Européen? En Italie, France, Allemagne , Autriche , Pays-Bas , l’extrême droite monte en flèche. Toujours les mêmes revendications que les partis traditionnels refusent de pr...

à écrit le 02/03/2018 à 13:10
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Les populismes mais néanmoins sous contrôle, il y a t-il quelqu' un dans ces mouvements qui propose la sortie unilatérale de la trilogie mortifère Ue, euro, otan à l' image de l' UPR ..? Si non, alors basta !

le 02/03/2018 à 21:00
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L'accusation de " populisme " est un paravent commode utilisé par les classes dirigeantes pour se prémunir des critiques de ceux qui ne se sentent pas représentés dans la politique suivie. Terme à connotation méprisante .

à écrit le 02/03/2018 à 11:30
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" Les Italiens sont désormais plus eurosceptiques que les Français" Hum c'est loin d'être gagné puisque même le mac a avoué que si les français devaient revoter pour cette UE ils voteraient non. Mais bon il est vrai que l'on sait les citoyens eur...

le 02/03/2018 à 13:29
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Cher Monsieur d'ou sortez vous des telles nouvelles ? Le 500 eur alloués à la cultures n'ont pas été donnés en cash mais il s'agissait de reduction pour des activités culturelles. Informez vous mieux avant de dire n'imp

le 02/03/2018 à 14:18
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"Cher Monsieur d'ou sortez vous des telles nouvelles ?" Je l'ai totalement imaginé pour la blague et je pensais que c'était suffisamment visible pour ne pas faire d’amalgame mais il est vrai que j'ai oublié qu'il y a de nombreux mal comprenant ic...

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