LA TRIBUNE - Plus d'un an après le début de la crise sanitaire, comment vont Air Caraïbes et French Bee ?
MARC ROCHET - Air Caraïbes et French Bee ont été touchées sévèrement par l'impact des trois confinements, mais elles sont toujours debout. Des mesures de réductions de coûts ont été prises, et nous avons bénéficié l'an dernier d'un prêt garanti par l'Etat (PGE) obtenu par le Groupe Dubreuil. Nous allons prochainement arrêter nos comptes de l'année 2020, mais il est clair que nous avons laissé plusieurs années de bénéfices.
L'Etat a sauvé Air France, Corsair, Air Austral... Demandez-vous le soutien de l'Etat ?
L'aviation est l'un des secteurs les touchés par la crise. Nous aussi, nous nous tournons vers l'Etat, mais notre démarche est un peu différente de celle de certaines compagnies. Nous demandons à l'Etat d'être aidés parce que nous avons subi quelque chose d'exceptionnel et parce que nous subissons les conséquences de mesures qu'il a prises, comme la fermeture de l'aéroport d'Orly l'an dernier, ou l'obligation aujourd'hui pour les passagers de justifier d'un motif impérieux pour voyager. Nous demandons surtout deux choses : de l'équité, tout d'abord, car nous constatons qu'il n'y a pas de règle commune dans les aides accordées à Air France, Corsair et Air Austral. Cela a été fait dans d'autres secteurs, comme celui des remontées mécaniques par exemple, où l'Etat a aidé tous les acteurs, qu'ils soient publics ou privés, en appliquant une règle simple en fonction de plusieurs critères comme le chiffre d'affaires, l'évaluation des frais fixes ou encore la durée de la fermeture... Je regrette qu'il n'y ait pas eu une mesure similaire dans le transport aérien. Cela aurait permis d'attribuer des aides en fonction de critères valables pour tous. La deuxième chose que nous demandons, c'est le respect fondamental des règles de concurrence loyale. Les sommes colossales données à Air France doivent permettent de les respecter.
Quelle aide demandez-vous concrètement et pour quel montant ?
Nous avons fait des demandes à l'Etat. Je ne dirai pas lesquelles car ce sont des discussions compliquées, ni le montant. Quand on fait un geste pour Air France, Air Austral ou Corsair, il faut que ce soit à peu près la même chose pour tout le monde. L'Etat a la main, car il dispose de nombreux outils pour intervenir qu'il peut d'ailleurs combiner. Il y a plusieurs mécanismes et nous sommes assez ouverts. Nous sommes prêts à regarder les outils qui permettraient à l'Etat de soutenir tout le monde de façon équitable. Nous demandons d'être traités comme les autres.
Dans le traitement de certains dossiers, l'Etat a demandé aux actionnaires de mettre la main à la poche. Dans le cas d'Air Caraïbes et de French Bee, l'aide de l'Etat est-elle conditionnée à une contribution du Groupe Dubreuil ?
L'aide du Groupe Dubreuil est déjà acquise. Son support est déjà là et il est total. Air Caraïbes et French Bee sont les seules entreprises privées françaises sur le long-courrier (il y a aussi la Compagnie, Ndlr). Je n'ai pas compris quel soutien à Air France était conditionné à l'accord des contribuables.
Combien de temps peuvent encore tenir Air Caraïbes et French Bee ?
Nous sommes capables de traverser le troisième confinement actuel et de rebondir cet été. Nous n'avons pas de butée. Nous ferons le maximum pour survivre le plus longtemps possible. Nous avons fait beaucoup d'efforts à travers des accords de performance collective (APC), signés l'an dernier. Air Caraïbes et French Bee sont les seules à avoir vraiment baissé les coûts salariaux. Nous négocions de nouveaux APC avec les représentants du personnel pour des efforts supplémentaires. Le troisième confinement nous oblige à nous serrer la ceinture.
L'an dernier, les accords signés ont permis de diminuer la masse salariale de 10% environ. Quel est l'objectif de ces nouvelles négociations ?
Les mesures négociées l'année dernièe ont permis de dépasser de 10% l'objectif prévu. Nous n'avons pas établi d'objectif pour ces nouvelles négociations. Nous avons en revanche fixé au 14 mai la date-limite pour trouver un accord. En cas de désaccord, nous prendrons d'autres mesures.
En cas d'échec des négociations, des licenciements sont-ils envisagés ?
Non, nous avons pris l'engagement de conserver nos personnels et nous le respecterons, mais il y a d'autres mesures que nous pouvons prendre pour augmenter notre efficacité. Le transport aérien vit sous une pile considérable d'accords d'entreprise remontant parfois (et ce n'est pas notre cas) à plus de 40 ans. Cela laisse des marges de travail pour améliorer la performance. Nous sommes conscients des efforts salariaux faits par nos personnels. Nous discutons beaucoup sur les jours de congés, sur le calcul des heures supplémentaires... Le monde d'après ne sera pas le monde d'avant.
Lors de l'échec des négociations sur l'entrée au capital de CMA CGM, des accords dans le cargo avaient été évoqués. Où en sont les discussions ?
Nous continuo s de discuter avec CMA CGM, mais pas de manière intense.
Recherchez-vous toujours à faire entrer quelqu'un au capital d'Air Caraïbes et French Bee ?
Ce n'est pas la priorité. La priorité, c'est de réussir la saison été.
Justement, quel est votre scénario de reprise ?
Nous avons appris des sorties de confinement et la vaccination est en train de faire son effet. Nous sommes optimistes pour l'été puisque nous comptons assurer un niveau d'activité proche de 100%, contre 20% aujourd'hui. Nous avons l'objectif de réaliser un été plus fort que celui de l'an dernier et d'être légèrement en dessous de celui de 2019, qui avait été exceptionnel. Il va y avoir une grosse demande et nous comptons être bénéficiaires en juillet et août, puis nous refaire une santé et continuer notre développement en 2022 pour revenir à la place qui était la nôtre avant la crise. A la fin de l'année, tous nos moyens devraient être réengagés. Ils seront supérieurs à 2019 puisque nous aurons un avion supplémentaire. En effet, nous n'avons pas changé le planning de livraison de nos avions. Quatre 4 A350-1000 vont entrer dans notre flotte, deux chez Air Caraïbes, deux chez French Bee. Air Caraïbes recevra un avion fin mai, puis un autre fin 2021. Chez French Bee, ils sont prévus en 2022, voire fin 2021 pour le premier. C'est en discussion.
Quel sera le programme de l'été ?
Il sera centré sur les lignes DOM TOM, où le trafic repartira le plus vite car il y a une vraie demande. Nous voulons conserver nos fortes positions sur Point-à-Pitre, Fort-de-France, la Réunion et Cayenne. C'est la priorité absolue. L'an dernier, nous avons fait jeu égal avec Air France, voire été un peu au-dessus sur ces lignes. Sur Papeete, nous allons augmenter notre offre. Nous allons repartir sur San Francisco et nous pensons toujours à rouvrir New York cet été.
Quelle forme prendra le développement en 2022 ?
Pour Air Caraïbes, ce sera le retour à son réseau. L'objectif de l'été 2022 sera de réengager complètement nos moyens vers des destinations comme Cuba ou la République dominicaine. Pour French Bee, c'est le développement vers l'Amérique du Nord.
Quand prévoyez-vous le retour aux bénéfices ?
Dès 2022, car nous avons les bons atouts pour repartir vite après la crise. Nous avons les bons outils, la bonne structure de coûts, et nous sommes flexibles. Sur nos routes, nos programmes, notre efficacité a été démontrée.
En contrepartie de sa recapitalisation de 4 milliards d'euros, Air France devra céder à la concurrence 18 créneaux horaires de décollage et d'atterrissage à Orly. Quel regard portez-vous sur cette opération et êtes-vous candidat à ces créneaux ?
On parle de 18 créneaux par jour et donc de 9 paires de créneaux, permettant de faire un neuf aller-retours par jour. Ce n'est pas négligeable, mais cela ne va pas non plus changer la face du monde en matière de concurrence à Orly, dont la capacité est de 300 à 350 paires de slots par jour. Au-delà de ça, j'avoue n'avoir rien compris à ce qui a été annoncé. Nous connaissons le règlement européen sur les slots. Quand j'entends qu'Air France doit céder l'utilisation des slots, je ne sais pas ce que cela signifie. Je n'ai pas compris, comme je l'ai entendu, comment on pouvait les céder des créneaux en bloc pour avoir une vraie concurrence. Nous attendons donc de voir les vrais textes et leur compatibilité avec le Règlement européen sur les créneaux qui définit le processus de distribution. Air Caraïbes et French Bee seront candidats à une ou deux paires de slots.
Comment voyez-vous le transport aérien dans le monde post-Covid ?
Nous sommes confiants dans la reprise du trafic VFR (visit friends and relatives), car il y aura une baisse des prix en raison de la surcapacité. Nous sommes également confiants dans le développement du tourisme sur des routes comme l'Amérique du nord. Concernant le trafic professionnel, il y aura en revanche un affaiblissement pendant plusieurs années. Contrairement à certaines compagnies, Air Caraïbes et French Bee ne dépendent pas de ce trafic.
Les prix ne vont-ils pas augmenter en raison du coût de la transition écologique ?
Ils augmenteront un jour, mais dans les deux ou trois ans, ils vont baisser, car la clientèle qui va repartir en premier est très sensible au prix. Et si on veut remplir les avions, il faudra baisser les prix et donc avoir des coûts plus bas.
Certaines compagnies low-cost long-courriers, comme Norwegian, ont disparu. Ce modèle est-il condamné ?
Le low-cost long-courrier va redécoller. Norwegian n'était pas une low-cost mais une compagnie qui s'est développée de manière colossale en raison de l'égo de son dirigeant. En mélangeant du court et du long-courrier, Norwegian a créé des facteurs de complexité et d'addition de coûts. Certaines lignes de son réseau posaient par ailleurs question. Elle ne pouvait qu'aller dans le mur. Les vrais low-cost sont rares. J'ai confiance dans l'avenir de French Bee que nous avons construit à partir d'une feuille blanche. De nouveaux acteurs et de vraies low-cost vont arriver en profitant des bonnes conditions d'entrée actuelles sur le marché. Il y a en effet beaucoup d'argent, les avions sont moins chers, et le personnel qualifié est disponible. En moyen-courrier, face à des compagnies traditionnelles qui se sont reposées sur la subvention publique, les low-cost vont rafler la mise.
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