Intermittents, cheminots... feux de paille ou prémisses de conflits plus durs ?

Intermittents, cheminots, mais aussi les chercheurs... Les conflits sociaux se multiplient, une première depuis l'élection de François Hollande. La situation interne à la CGT et le choix de la politique de l'offre, avec le pacte de responsabilité, expliquent ce phénomène.
Jean-Christophe Chanut
A la SNCF, au-delà de la réforme ferroviaire, le conflit s'explique notamment par la rivalité larvée entre la CGT et SUD-Rail

Il y a quelques mois, La Tribune publiait un article intitulé « Mais où sont donc passés les syndicats ? » qui tentait d'expliquer l'atonie des organisations syndicales durant les deux premières années du quinquennat de François Hollande. Et voilà qu'en ce printemps 2014, coup sur coup, se déclenchent plusieurs conflits, intermittent, cheminots, chercheurs… Que se passe-t-il ? Est-ce le retour en force des syndicats ? Le gouvernement de Manuel Valls doit-il s'attendre à de fortes secousses sociales en réaction à son « pacte de responsabilité », traduction concrète de la politique de l'offre, la nouvelle doxa du président de la République ?

Rien n'est moins sûr. En l'examinant dans le détail, la poussée de fièvre actuelle tient beaucoup plus à des raisons internes à chaque corporation (intermittents et cheminots) qu'à la signification d'un « ras-le-bol » général. Elle s'explique aussi par le climat très particulier qui règne actuellement à la CGT.

La direction de la CGT toujours à la recherche d'une ligne

Élu secrétaire général de la CGT il y a un an, Thierry Lepaon tarde à s'imposer comme véritable numéro un. Il donne encore trop l'impression d'avoir été choisi « par défaut ». Son prédécesseur, Bernard Thibault, avait une autre idée en tête en souhaitant imposer Nadine Prigent (fédération de la Santé) pour lui succéder. Sauf que les instances de la centrale n'en voulaient pas, beaucoup préférant voir Eric Aubin (le « monsieur retraites » de la CGT) devenir numéro un. Bernard Thibault a pourtant mis son véto à cette proposition. Il s'en est suivi un long psychodrame interne qui a débouché sur l'élection d'un homme de compromis : Thierry Lepaon.

Depuis, la CGT peine à trouver ses marques et le flottement est continu. Par exemple, durant l'hiver 2013, alors que la direction de la CGT se dit prête à signer l'accord sur la formation professionnelle, une partie de la base dit « niet »… Alors la direction recule. De même, Thierry Lepaon s'épuise à organiser des journées d'action qui ne « prennent » pas et décrédibilisent la CGT. Conséquence, ça renâcle dans les fédérations qui voudraient que la tête de la centrale suive une ligne plus claire. C'est notamment le cas chez les cheminots, l'ancienne fédération de Bernard Thibault, l'un des derniers fiefs de la CGT.  De surcroit, la fédération des cheminots est inquiète. Au dernières élections professionnelles organisées dans l'établissement en mars dernier, elle a encore perdu du terrain (35,6%, contre 37,4% en 2011 et 39,3% en 2009), même si elle reste la première organisation devant les réformistes de l'Unsa. Mais pour la CGT-cheminots, le vrai danger est représenté par SUD-Rail, troisième organisation de l'entreprise avec 17% des suffrages.

SUD-Rail, avec son discours radical séduit des salariés jusqu'ici fidèles à la CGT. Davantage que la réforme ferroviaire et la crainte de voir remis en cause le statut des cheminots, cette concurrence CGT/SUD-Rail explique en grande partie pourquoi le conflit à la SNCF se prolonge : aucune des deux organisations ne veut laisser paraître une faiblesse en arrêtant les hostilités… d'où l'enlisement. Surtout quand la direction centrale de la CGT se montre incapable d'afficher une ligne claire.

Les intermittents au cœur d'un imbroglio politico-juridique

Chez les intermittents - qui manifestaient à Paris ce 16 juin -, les raisons de la poussée de fièvre sont également profondes. Cela fait des années que l'on parle de réformer le statut des intermittents et leur système d'indemnisation du chômage. En 2003, déjà, un très dur conflit avait entrainé l'annulation du festival d'Avignon. Onze ans après, le même fait pourrait se reproduire. Olivier Py, le directeur du festival, ne cache plus son inquiétude.

Mais on se trouve là face à un imbroglio politico-juridique. Le 22 mars, un accord majoritaire a été signé par le patronat et les trois organisations CFDT, CFTC et FO, fixant les nouvelles règles d'indemnisation du chômage, y compris donc celles des intermittents. C'est cette convention que doit ratifier dans les prochains jours le ministre du Travail François Rebsamen. Or, la CGT Spectacle lui demande de ne pas le faire, estimant que les droits des intermittents sont injustement remis en cause, via notamment l'instauration d'un délai de carence qui va retarder le moment où un intermittent pourra bénéficier de l'indemnisation.

Mais si le gouvernement ne ratifie pas la convention d'assurance chômage négociée par le patronat et les syndicats, cela signifierait la mort du dialogue social "à la française". Ce serait en effet un véritable coup de pied au principe de "l'autonomie des partenaires sociaux" qui sont les seuls gestionnaires de l'assurance chômage. D'ailleurs, dans un tel cas de figure, le Medef et la CFDT ont fait savoir qu'ils quitteraient l'Unedic, l'organisme qui gère l'assurance chômage. On voit donc mal Manuel Valls refuser d'appliquer l'accord du 22 mars. D'ailleurs, pour sortir de l'impasse, le Premier ministre a signifié que l'accord s'appliquerait mais que, dans la foulée, tout le dispositif de l'intermittence serait rediscuté entre l'Etat et les partenaires sociaux tant il apparaît à bout de souffle. La manœuvre est donc limpide et elle permet de ménager toutes les parties : les signataires de l'accord du 22 mars dont l'engagement sera respecté et les associations de défense des intermittents qui demandent de longue date un vrai débat de fond sur leur régime.

La CGT attaque en justice la nouvelle convention d'assurance chômage

Mais le problème n'est pas réglé pour autant. En effet, fait inédit, la CGT a décidé d'attaquer en justice l'accord du 22 mars. Premièrement pour demander sa suspension et, deuxièmement, pour demander son annulation sur le fond, pour motif de « déloyauté » durant la négociation. La CGT estime qu'elle na pas bénéficié du même niveau d'information que les autres centrales qui négociaient avec le patronat. Bref, elle estime qu'elle a été tenue à l'écart. Le Tribunal de Grande Instance de Paris ne devrait pas lui donner raison. Il n'empêche cette décision est toute de même lourde de signification sur le climat ambiant.

 Vers une multiplication des conflits?

Alors, le climat va-t-il dégénérer ? A priori non. Mais méfiance :  la prédiction sociale est loin d'être une science exacte. D'ailleurs, à Matignon, on se déclare « attentif et vigilant ». Notamment sur les évolutions dans la fonction publique. Les fonctionnaires sont très remontés sur la pérennisation du gel du point d'indice... et les syndicats de fonctionnaires pourraient être tentés par une surenchère alors que les élections professionnelles dans la fonction publique auront lieu en décembre. C'est pour cette raison que la ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, tente de désamorcer la bombe en bousculant le calendrier des négociations sociales initialement prévu pour évoquer les salaires et en accordant une baisse de cotisations sur les retraites aux fonctionnaires les moins bien rémunérés. 

Par ailleurs,  il n' y a aucun rapport entre les intermittents et la SNCF… a part la CGT. Mais il est certain que la dérouillée de la majorité socialiste aux élections municipales et européennes a libéré les esprits dans le camp syndical. Et ce, d'autant plus que l'arrivée de Manuel Valls à Matignon et l'annonce du pacte de responsabilité, traduction de la politique de l'offre, ont désinhibé des syndicats qui avaient largement participé à la victoire de François Hollande en 2012. Cette fois, les organisations CGT, FO, FSU, SUD savent qu'elles n'ont plus rien à attendre du gouvernement en place qui va continuer sa politique d'austérité. Même dans le camp réformiste, Unsa et CFDT en tête, on semble prendre quelques distances. Surtout quand une centaine de députés PS trainent ouvertement aussi des pieds. Pour autant, le risque de déflagration reste (encore) minime : la "nécessité" de réduire les dépenses publiques et l'endettement de la France semble bien entrée dans les esprits. Il y a une sorte de résignation qui n'est pas favorable à la mobilisation.

Et, c'est justement pour limiter le danger d'une multiplication des conflits que Manuel Valls s'est drapé dans la posture de « celui que ne lâche rien » face aux revendications des intermittents ou des cheminots. Reculer serait en effet interprété comme un signe de faiblesse, ouvrant la porte à d'autres revendications. Le Premier ministre va donc plutôt jouer sur le « pourrissement » du conflit à la SNCF, espérant que ce mouvement impopulaire va s'étioler… En attendant, la grève à la SNCF est reconduite mardi 17 juin… jour où l'Assemblée nationale commence l'examen de la réforme ferroviaire.        

 

Jean-Christophe Chanut
Commentaires 16
à écrit le 19/06/2014 à 14:06
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Prémisses ou prémices ? Je voterais pour le second choix. Dites au stagiaire de corriger !

à écrit le 17/06/2014 à 13:26
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Fini les régimes spéciaux qui ruinent la France et mettent en esclavage le peuple de France.

à écrit le 17/06/2014 à 11:59
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Coût du régime des intermittents.......... 150 millions d'euros Coût du CICE (aide aux entreprises)... 40 milliards d'euros Qui sont les mendiants ?

le 17/06/2014 à 13:22
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et pourtant, d’après la cour des comptes le trou du régime est de 1 milliard par an et représente 1/3 de l'assurance chômage( alors que 3% des demandeurs d'emplois 2010). Sur les 10 dernières années le déficit cumulé correspond au montant total du...

le 17/06/2014 à 13:35
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Qui crée la richesse et donne du travail à des millions de français et finance l’essentiel des charges de la France ? Posez-vous la question…

à écrit le 17/06/2014 à 11:31
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le risque de la rentree ou tout les salaries public et privee sont a bout de souffle restriction atous les niveaux sauf celui de ceux qui ont mis le pays en faillitte je parle des ministre actuel ou ancien de droite et d gauche des deputes...

à écrit le 17/06/2014 à 10:48
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Il faut tenir face a la greve....... Il faut reformer et mettre tout le monde au meme regime. Il faut en finir avec ces regimes speciaux.......

à écrit le 17/06/2014 à 9:52
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Prémisses d'actions plus dures, ou tout simplement derniers soubresauts du poisson mort sur la rive..les syndicats brulent leurs dernières cartouches, sur deux dossiers extrêmement impopulaires. On en est même à se demander si le droit de grève, impo...

à écrit le 17/06/2014 à 9:29
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Alors que des entreprises privés et leurs salariés déposent le bilan ou se retrouve au chômage dans un contexte de crise économique sans précèdent. Une minorité d'assisté de l'état c'est-à-dire 5,5 millions de fonctionnaires, territoriaux, contractue...

à écrit le 17/06/2014 à 4:28
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A propos des intermittents, pourquoi le monde du showbiz (cinéma, chanson etc...) chantre de la solidarité, ne prendrait-il pas en charge les revendications de celles et ceux qui travaillent avec et pour lui, par solidarité bien sûr !

à écrit le 16/06/2014 à 19:11
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Il faut entendre Mr Filoche, le dernier stalinien de la CGT, membre de la direction du parti socialiste. Ce type veut dézinguer ce qui reste d'économie en France. On se croirait vraiment revenu à l'époque de George Marchais et de Leonid Brejnev; Ce s...

à écrit le 16/06/2014 à 18:31
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Allez Manuel résiste !!

le 16/06/2014 à 20:46
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Comme cela il montera en l'air encore plus haut.

le 17/06/2014 à 8:32
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Avec ses petits coups de menton et ses escouades de gorilles à chaque déplacement, Manolo me fait de plus en plus penser à un sous Sarkozy... Jamais tu ne seras président Manolo, même avec les meilleurs communiquants et le soutien du système !

à écrit le 16/06/2014 à 17:54
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Les grévistes sont ma partie visible d'un système archaïque appelé la SNCF. Je peux en témoigner de mon travail quotidien. Cette institution est composée à sa tête de cadres ingénieurs, qui ont pour particularité une condescendance et un mépris to...

à écrit le 16/06/2014 à 17:22
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Et à propos de délai de carence, que dire de syndicats qui acceptent quasiment son doublement pour ceux qui touchent des dommages et intérêts lors de la rupture conventionnelle qui n'est en réalité qu'un licenciement déguisé !!!! Il est inadmissible ...

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