Pourquoi les Espagnols passeront trois fois à la caisse

Toujours captive de la fragilité du secteur financier, l'Europe préfère faire payer les contribuables espagnols plutôt que faire contribuer les investisseurs institutionnels à la déconfiture du secteur bancaire ibère.
Des manifestants devant une agence de la banque Santader à Sabadell protestant contre le risque d'expulsion d'une famille de son appartement, qui ne peut plus honorer le remboursement de son crédit bancaire /Copyright Reuters

Les Irlandais avaient aimé. Les Espagnols adoreront. Le mémorandum adopté la semaine dernière par les ministres des Finances de la zone euro ne laisse aucun doute : le plan en 18 mois pour la restructuration des banques espagnoles va tondre le peu de laine qui reste sur le dos des Ibères. Comme au moment de l'effondrement des banques irlandaises, elles aussi minées de l'intérieur par l'éclatement d'une bulle immobilière, la potion la plus amère sera bien sûr administrée aux actionnaires des banques et autres quasi-actionnaires ainsi qu'aux créanciers « junior ».

Répétition du drame irlandais

En revanche, les créanciers senior, en clair les investisseurs institutionnels qui ont fait mine de croire pendant des années au miracle immobilier ibère, devraient sortir totalement indemne de la purge. C'est la répétition du drame irlandais que les commentateurs avaient qualifié à l'époque de « bail out » des banques continentales et notamment allemandes lesquelles avaient vu rembourser au centuple leurs créances sur les banques irlandaises remboursées.... grâce aux sommes colossales versées par le gouvernement irlandais dans ces trous sans fonds ouverts par le « miracle celtique ».

La même mécanique se met en place en Espagne. Pour se protéger des conséquences qu'auraient sur le secteur financier européen l'enregistrement de pertes qu'entraînerait une restructuration de la dette senior des « Caixas » et autres banques en perdition, la décision a été prise d'augmenter la facture publique.

Pourquoi les analystes ont salué le mémorandum

En pratique, comme l'indique très clairement le mémorandum, salué pour cette raison par les analystes bancaires, les premières pertes seront prises par les actionnaires (ce qui est la moindre des choses), les suivantes par les détenteurs d'actions hybrides et autres titres de dette subordonnée, autrement dit tous ces titres à la fois plus rémunérateurs et plus risqués que des obligations classiques parce que leur rendement est lié aux performances de l'entreprise. Les derniers créanciers bancaires à passer à la caisse seront les créanciers junior. Ensuite, fini! Le reste des passifs sera de fait garanti par l'Etat espagnol et par l'Europe, que ce soit les salaires des employés, les dépôts des Espagnols... ou les créances des banques, assureurs et autres fonds de pension.

Triple sanction

Les Espagnols vont donc passer trois fois à la caisse. D'abord, leur patrimoine immobilier a fondu aussi surement qu'un glaçon oublié sur une plage de la Costa Brava. Il avait augmenté à un rythme délirant. L'atterrissage est douloureux mais inévitable. Ensuite ils vont perdre les avoirs qu'ils avaient sur les banques. Pas ou peu leurs dépôts puisque ces derniers sont garantis jusqu'à 100.000 euros par personne. En revanche, leurs actions ou leurs parts sociales vont se volatiliser. Or, en Espagne, comme jadis en Belgique quand Fortis se sentait vaciller, les caixas ne se sont pas gênées pour fourguer leurs propres titres à leurs clients dans des « produits d'investissement » packagés de telle manière que l'épargnant n'y voit que du feu. Une bonne partie sinon tout cet argent sera perdu. Enfin, les Espagnols passeront à la caisse une troisième fois, en tant que contribuable, pour financer le passif restant des banques une fois que tous ceux qui avaient pu éponger des dettes auront été essorés.

Bref. Non seulement ils vont perdre leurs avoirs mais ils vont contracter de nouvelles dettes pour.... rembourser les investisseurs institutionnels. Pour l'instant, il est impossible de dire dans quelles proportions ces transferts vont avoir lieu car l'évaluation des actifs des banques est en cours. Mais on parle en milliards d'euros, sinon en dizaines de milliards d'euros. C'est beaucoup pour un pays dont un quart de la population active est au chômage et dont le gouvernement n'en finit pas de couper dans les bénéfices sociaux pour tenter de conserver un étroit accès aux marchés de capitaux.

Une politique injuste

Est-il imaginable qu'une banque française soit remboursée au pair de ses avoirs sur, mettons, Bankia, la plus atteinte des caisses d'épargne espagnoles? On a du mal à y croire. Et pourtant c'est ce qui va se passer. Mais puisque ladite banque encourrait zéro risque de crédit sur ses obligations espagnoles, pourquoi alors les a-t-elle fait rémunérer à un prix largement supérieur au loyer de l'argent fixé par la BCE? On est en droit de se le demander.


Cette politique est injuste. C'est le commissaire européen au Marché intérieur Michel Barnier, lui-même, qui le dit. C'est pour cela qu'il a proposé le mois dernier une nouvelle législation sur la « gestion de crise et la résolution bancaire » pour que « plus jamais les contribuables ne payent en première ligne » le renflouement des banques. Dans le plan de Michel Barnier, les créanciers obligataires senior sont mis à contribution dans le cadre de ce qu'on appelle le « bail in », autrement dit l'assainissement et la reconstitution des fonds propres par absorption interne des dettes et non par injections de capitaux venant de la puissance publique (bail-out). Mais le « bail-in », s'il est adopté, n'entrera en vigueur qu'en... 2018, le temps, explique-t-on à Bruxelles, que le calme revienne sur les marchés. En attendant, il faut tout faire pour éviter de faire fuir ces investisseurs et de rallumer un foyer de contagion financière.

Les frais de l'"aléa moral"

Comme hier les Irlandais, les Espagnols font les frais de cet « aléa moral » qui plombe la politique économique et financière depuis le début de la crise et qui fait qu'en raison de la fragilité du secteur financier, elle-même causée par l'excès de dettes de toutes sortes, il faille convertir encore et encore de la dette privée en dette publique, puis transformer la dette nationale en dette européenne.

Pour éviter un risque financier immédiat, tel que la panique provoquée il y a tout juste un an par la restructuration de la dette publique grecque (où les investisseurs senior ont perdu jusqu'à 75% de leur investissements), on augmente les risques macro-économique et politique futurs. Risque macro-économique d'abord parce que l'essorage des avoirs des Espagnols va évidemment peser sur la demande. Il était fatal que les Espagnols, qui s'étaient enrichis trop vite, s'appauvrissent. Mais le rythme de cette déflation alimente le cycle infernal de la récession et de l'endettement. Risque politique ensuite car les Espagnols ne sont pas les Irlandais. Ils n'ont pas pour habitude d'émigrer quand la roue de la fortune se remet à tourner dans le mauvais sens. Ils ont plutôt tendance à marcher sur Madrid.

Commentaires 6
à écrit le 13/07/2012 à 11:27
Signaler
La disparité des compétitivités à l'intérieur de l'Union Monétaire est surtout due à des facteurs naturels et immuables (taille du marché intérieur, position géographique, richesse naturelles et matières premières, taille du pays, etc, etc.) S'il est...

à écrit le 13/07/2012 à 9:21
Signaler
et ce n'est pas fini, d'autres pays vont suivre ce chemin... dont la France...

le 13/07/2012 à 10:49
Signaler
Une des différences c'est que la France n'a pas une bulle immobilière telle que celle de l'Irlande et de l'Espagne. L'unique risque c'est une sortie de l'euro de ces pays et l'exposition de nos banques à ces marchés, et bien sûr l'impact de leur réce...

le 13/07/2012 à 11:33
Signaler
A 9000 Euros/m2 à Paris, c'est osé de dire qu'on n'a pas vraiment de bulle immobilière ... ! Je rappelle juste qu'entre 1995 et 2000, on pouvait acheter un beau 100m2 dans le 7è arrondissement parisien pour moins de 500 000 Euros (si si, vérifiez ......

à écrit le 13/07/2012 à 6:45
Signaler
Il y a un autre acteur qui va payer et qui n'est que partiellement évoqué dans l'article : c'est le contribuable européen.

à écrit le 12/07/2012 à 23:50
Signaler
Je vous conseille le film : Les femmes du 6ème étage Bonne soirée

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.