Danone, les prédateurs s'observent

L'OPA est de nouveau à la mode. Et dans un tel contexte, les groupes jugés les plus vulnérables font inévitablement l'objet de spéculations. Danone en a fait l'expérience depuis pratiquement deux semaines. A tel point qu'après un article de presse prêtant à Unilever l'intention de s'emparer du Français et après l'offensive de Sanofi-Synthélabo sur Aventis, le patron du groupe agroalimentaire, Franck Riboud, a dû réaffirmer sa détermination à rester indépendant. "Si vous me demandez si je veux [faire l'objet d'une offre], la réponse est non ; je combattrai cela", a-t-il déclaré au Wall Street Journal Europe la semaine passée.Mais, en dépit des propos de Franck Riboud, l'idée récurrente d'une OPA sur Danone semble faire son chemin au sein de la communauté financière. Et il y a à cela plusieurs raisons. D'abord, l'actionnariat éclaté du groupe le rend techniquement "opéable". Le premier actionnaire (Eurazeo) représente 3,97% du capital, soit moins que les 5,86% d'autocontrôle. Ensuite, un rachat serait un moyen pour l'actionnaire d'obtenir rapidement de la valeur. "Danone répond aux attentes des actionnaires en matière de rentabilité, mais le cours ne monte plus", souligne un analyste parisien ayant requis l'anonymat. Enfin, quel que soit l'acquéreur, l'affaire pourrait s'avérer très profitable. "Danone affiche un taux de croissance organique élevé (voisin de 7%), alors que plusieurs de ses concurrents sont à la peine dans ce domaine", poursuit-il. Bref, compte tenu du dynamisme et de la rentabilité du Français, l'analyste affirme qu' "une OPA sur Danone serait relutive pour tous les prétendants jusqu'à 250 euros, qu'ils soient Européens ou Américains". Ce qui manifestement laisse de la marge.Des objectifs et des moyens différentsReste que tous ne seraient peut-être pas prêts à mettre le même prix. "Les Américains ne sont a priori pas les mieux placés pour dégager des synergies, d'autant qu'il y a un écart de culture important entre Danone et eux", fait remarquer Joseline Gaudino, analyste à la Société Générale. De surcroît, si la majorité des acteurs du secteur ont été évoqués, tous n'ont pas les mêmes intentions. "Par exemple, Coca-Cola pourrait se servir de Danone pour pénétrer le marché de l'eau en Europe. Pour Nestlé il s'agirait plutôt de consolider ses positions. Evidemment, le coût n'est pas le même dans les deux cas. Un groupe qui souhaite pénétrer un marché dégage moins de synergies que celui qui veut simplement consolider ses parts de marché", ajoute Joseline Gaudino.Il faut aussi prendre en compte l'état des finances de chaque prédateur potentiel. Si les géants du secteur ont les reins solides, l'argument a été opposé à la rumeur avançant le nom d'Unilever. "Unilever n'a pas les moyens", fait-on remarquer dans un bureau d'études en rappelant que de toute façon "le groupe n'a pas profité de sa trésorerie pour se lancer dans un rachat lorsqu'il a vendu sa chimie fine". Cependant, tous ne sont pas de cet avis. "Unilever peut trouver les moyens de financer un rachat. Il peut vendre des activités et il ne faut pas oublier que l'agroalimentaire génère du cash-flow", répond Joseline Gaudino.Un point de vue que partage l'analyste parisien. D'autant que d'après ses calculs, avec une offre à 220 euros par titre et sans cessions, un ensemble Danone-Unilever afficherait une dette correspondant à huit fois le cash-flow attendu pour 2004. Rien d'insurmontable donc, même si les Américains Coca-Cola et PepsiCo - en surcapacité de cash selon lui - ainsi que Nestlé auraient dans le même cas de figure une situation moins tendue, avec des ratios allant de 3,9 à 5,3. Un groupe convoité Chacun aurait donc en théorie les moyens et des raisons de mettre la main sur Danone. C'est d'ailleurs là le principal obstacle que les analystes voient au scénario de l'OPA. La concurrence freine les initiatives, car une première OPA risquerait de déclencher une longue bataille boursière. Ce qui peut expliquer qu'Unilever ne se soit pas encore déclaré, contrairement à ce que pronostiquaient les rumeurs récentes. "Le vainqueur ne sera probablement pas celui qui part le premier. Unilever ne voudrait pas faire gagner un concurrent", explique Joseline Gaudino. Quant à Nestlé, que certains voient bien comme un chevalier blanc, il peut se contenter de la situation actuelle, Danone constituant un rempart efficace face aux Américains sur le marché européen. Bref, "personne n'ose faire le premier pas", résume l'analyste parisien.S'il serait étonnant de voir Nestlé prendre l'initiative (il devrait plutôt rester à l'affût), il est néanmoins difficile dans ces conditions de dire qui de Coca-Cola, PepsiCo, Kraft Food ou Unilever osera prendre la responsabilité de déclencher les hostilités. D'autant qu'il n'y a pas urgence. "Danone réalise 50% de ses ventes dans des secteurs (produits laitiers) où il n'a pas de concurrence. Et pour l'heure, il n'est gêné ni par sa taille ni par sa situation financière", précise Joseline Gaudino. En fait, pour que la bataille s'engage, il faudra un élément déclencheur ou des circonstances particulières. L'analyste parisien cite un exemple: "la mobilisation temporaire de l'un des acteurs sur un autre dossier pourrait être une occasion". Mais, insiste Joseline Gaudino, "il n'y a pas aujourd'hui d'éléments nouveaux. Fondamentalement, rien n'a changé dans l'environnement du secteur au point de justifier le déclenchement d'une OPA". La guerre de positions pourrait donc durer. C'est apparemment l'avis des investisseurs qui, au vu du cours de Danone, sont encore loin de s'emballer.
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