Bénéfices, salaires et justice

Les dix entreprises françaises les plus bénéficiaires ont dégagé l'an dernier un profit net cumulé de 33,5 milliards d'euros. De quoi doubler le salaire annuel d'un peu plus de 1,2 million de smicards. Injustice flagrante ou raccourci trompeur?Jeudi dernier, de 600.000 à un million de personnes sont descendues dans la rue, clairement convaincues que la première hypothèse est la bonne. Elles ne manquent pas d'arguments. En 2004, le pouvoir d'achat de la masse salariale des entreprises du CAC 40 a progressé de 0,6%, a calculé Patrick Artus d'Ixis CIB (La Tribune du 14 mars). Dans le même temps, le résultat net de ces mêmes entreprises a progressé de 21% en moyenne, et Patrick Artus estime que "les deux tiers de cette croissance des profits ont été obtenus par la limitation de la masse salariale locale". Sa conclusion: pour soutenir la croissance, "il faut augmenter le pouvoir d'achat des salariés".Frappé au coin du bon sens, un tel raisonnement se heurte toutefois à plusieurs limites. Qu'on le veuille ou non, dans une économie de marché, les bénéfices des entreprises ont de multiples usages légitimes - au rang desquels investir et rémunérer les actionnaires figurent en bonne place. Il arrive également - ce fut le cas en 2004 - que des bénéfices importants mais nullement exceptionnels rapportés au capital employé succèdent à quelques années de résultats médiocres sinon préoccupants.Deux nuances supplémentaires méritent d'être ajoutées. Les résultats des valeurs cotées au CAC 40 ne sont pas représentatifs de la rentabilité des entreprises dans leur ensemble, notamment des PME. Ensuite, les plus grands groupes ne rendent pas publique la proportion de leurs bénéfices réalisée en France, et prétendent souvent ne pas savoir la mesurer avec exactitude, notamment en raison des échanges intra-groupe et des transferts de valeurs.Il y a donc de nombreuses raisons de rejeter un lien mécanique entre bénéfices et salaires. Mais il serait tout aussi absurde d'écarter toute corrélation entre les résultats d'une entreprise et la rémunération de ceux qui en sont à l'origine. Mieux rémunérer, ce n'est pas seulement récompenser, c'est aussi investir.
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