La méthode Greenspan

Clé numéro un : priorité à la croissance. Lorsqu'il prend les commandes de la Fed, le 11 août 1987, Alan Greenspan est à peine plus de deux mois de son baptême du feu : le krach boursier du mois d'octobre de la même année. Il lui faudra aussi faire face, entre autres, à la crise du peso mexicain en 1994, la crise financière asiatique à l'été 1997, la faillite du fonds LTCM l'année suivante, l'explosion de la bulle Internet à partir du printemps 2000, et, bien sûr, au contrecoup des attentats de septembre 2001. Bilan de ces dix-huit années mouvementées : deux courtes récessions (au début des années 90 et des années 2000) qui séparent la plus longue période de prospérité de l'histoire américaine ; un chômage frappant en moyenne 5,5% de la population active ; une croissance d'au moins 2% par an, hors périodes de récession.Imputer ce bilan à la seule Fed serait injuste. Ne pas y voir la marque d'Alan Greenspan serait insensé. Sa réactivité fut souvent immédiate, comme en témoigne une baisse des taux dès le 17 septembre 2001. Les taux d'intérêt américains ont été ajustés à 27 reprises depuis le 1er janvier 2000, de manière particulièrement vigoureuse quand la récession menaçait - le taux cible sur les fonds fédéraux a démarré l'année 2001 à 6%, et l'a terminé à 1,75%. Le souci de préserver un niveau de liquidité suffisante dans l'économie américaine et mondiale a également été permanent et ne peut se résumer à la seule arme des taux.Clé numéro deux : l'indépendance n'interdit pas la concertation. Nommé par Ronald Reagan, parfaitement à son aise sous Clinton, Greenspan s'apprête à faire une sortie triomphale sous Bush. Sous tous ces régimes, républicains comme démocrates, le président de la Fed a travaillé de concert avec l'administration en place. "Nos équipes travaillaient ensemble régulièrement," raconte l'ancien secrétaire au Trésor Robert Rubin dans son livre "In An Uncertain World". "Nous prenions un petit déjeuner ensemble au moins une fois par semaine, dans mon bureau ou dans le sien. On parlait de tout." Sans ces rapports étroits, la réaction américaine à la crise mexicaine de 1994, asiatique de 1997 et au scandale LTCM n'aurait pas été aussi efficace.Clé numéro trois : l'économiste en chef, c'est lui. Si Greenspan a la réputation d'être un "républicain conservateur" - c'est ainsi que Bill Clinton le décrit dans ses mémoires -, il n'est l'otage d'aucun modèle ; mais il ne laisse le soin à personne de dresser un diagnostic sur l'état de l'économie américaine. C'est chaque matin, dans son bain, selon la légende, qu'il absorbe une quantité industrielle de statistiques obscures. Celles qui lui ont permis d'observer, par exemple, que des gains exceptionnels de productivité permettraient une croissance élevée sans risque pour l'inflation.Clé numéro quatre : chaque mot compte. Pour un journaliste, le constat n'est pas agréable à dresser, mais c'est ainsi : Alan Greenspan n'a jamais accordé d'interview en tant que président de la Fed, et cette discrétion lui a parfaitement réussi. Ses propos publics tiennent pour l'essentiel aux discours millimétrés prononcés pour la plupart devant les élus du Congrès, sans jamais rien dévoiler de ses intentions. On connaît la boutade prêtée à Greenspan : "Si vous m'avez compris, c'est que je me suis mal exprimé". Dans le livre qu'il consacre au "Maestro", le journaliste du Washington Post Bob Woodward raconte même comment il dut s'y reprendre à deux fois pour faire comprendre à sa future épouse qu'il la demandait en mariage... Au-delà de la plaisanterie sur le langage obscur, Greenspan a néanmoins parfaitement su se faire comprendre des marchés.Dans un contexte international particulièrement délicat, face aux premiers signes d'un retour de l'inflation, Ben Bernanke n'aura pas la partie facile. Avant de démontrer sa capacité à s'émanciper, se montrer un élève appliqué de la méthode Greenspan serait un premier pas unanimement apprécié.
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