Jacques Chirac, le révolutionnaire du numérique

Un an avant la fin de son mandat, Jacques Chirac se sert du numérique pour laisser une trace et une autre image que celle d'un chef d'Etat usé et paralysé dans l'action par les querelles de ses ministres. Les grands chantiers du numérique en sont les premiers bénéficiaires.

Bloquée, la France? Paralysé, le gouvernement, par l'échec du CPE puis la sulfureuse affaire Clearstream? Désorientés, les Français? Stérilisée, toute réforme dans les douze mois à venir, par l'échéance présidentielle? Pas le moins du monde. Le chef de l'Etat veille. Au-dessus de la mêlée, il veut montrer qu'il continue à préparer l'avenir. Et qu'il ne craint pas de lancer des révolutions... à condition qu'elles s'appellent "révolution numérique".

En moins de deux semaines, après l'annonce de 73 projets retenus dans le cadre des pôles de compétitivité, Jacques Chirac a lancé les six programmes soutenus par l'Agence de l'innovation industrielle, dont il entend faire la "pièce maîtresse pour la refondation d'une politique industrielle européenne". Prenant de court le ministère de la Culture et de la Communication et le Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'Elysée a aussi fait savoir la semaine dernière que le projet de loi sur l'audiovisuel, qui doit permettre l'avènement de la télévision numérique hertzienne haute définition et de la télévision mobile, était en marche, avec le lancement d'une consultation publique.

Enfin, Jacques Chirac a procédé le 4 mai à l'installation d'un nouveau Comité stratégique pour le numérique. Sa mission: piloter et coordonner le basculement de la France vers la diffusion télévisuelle hertzienne 100% numérique à l'horizon 2012. Ce basculement complet suppose "une révolution économique, sociale, culturelle", que le chef de l'Etat veut engager, a-t-il expliqué, devant les responsables de l'audiovisuel.

Décrété facteur clé de la compétitivité de demain, avec l'énergie, le chantier numérique est donc ouvert sur plusieurs fronts: la bibliothèque numérique européenne, dans laquelle la Bibliothèque Nationale de France doit jouer un rôle moteur; Quaero, le moteur de recherche franco-allemand, mais surtout cher au coeur du Président français, qui fait partie des six projets labellisés par l'AII; et enfin, la télévision numérique pour tous, après que l'effort sur le haut débit pour tous a permis à la France de rattraper son retard et même de prendre de l'avance par rapport à l'Europe.

Qu'il s'agisse de conviction sincère, d'effet de communication pour redorer l'image d'une fin de règne déliquescente, du souci de laisser derrière soi, à défaut de "grands travaux", de "grands chantiers" en ordre de marche pour la mutation de la France vers le numérique... après tout qu'importe. L'essentiel est que cette volonté de Jacques Chirac de montrer que la France avance toujours se concrétise par la mise en place de véritables outils. En matière de télévision, chacun sait que l'extinction de l'analogique ne pouvait se décréter, au 1er janvier 2012, sur tout le territoire. Il faut d'abord assurer la couverture numérique de 100% du territoire, informer le public, aider les plus démunis à s'équiper, prévoir un basculement progressif, zone par zone, puis décider de l'usage des fréquences libérées.

Autant de sujets qui nécessitent un pilote et un coordinateur. Quaero, souvent décrit, à tort, comme un rival de Google, sans les moyens et ni la souplesse d'une entreprise privée, est de fait un consortium hétéroclite, au maniement lourd, de partenaires, publics et privés, entreprises ou centre de recherche. Mais les start-up qui y participent, Exalead, Vecsys, LTU technologies spécialisées dans la recherche, l'indexation de la vidéo sur Internet, y ont trouvé l'impulsion de travailler ensemble et un partenariat avec de grands laboratoires de recherche.

Il reste à espérer que chacune de ces initiatives bénéficie d'un véritable suivi, au-delà des 12 mois qui nous séparent de la présidentielle. Que la tentation des effets d'annonces ne conduise pas à empiler des comités sur des autorités déjà existantes, freinant les impulsions au lieu de les décupler. Que la multiplicité des annonces n'aboutisse pas à saupoudrer des moyens limités, sur des projets qui faute de financement ne pourront émerger. Bref, à espérer que la révolution numérique chiraquienne irrigue en profondeur et ne se contente pas de rafraîchir l'image présidentielle. A ces conditions, les chantiers numériques, promus au rang de vitrine de l'action présidentielle, devraient profiter des 12 prochains mois.

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.